par Johannes Kirsch
Et si l’Allemagne se dotait d’un salaire minimum légal ? Le débat sur la question s’est ouvert en 2004 et se poursuit depuis. Les partis politiques au pouvoir sont divisés. Alors que la CDU est contre l’introduction d’un salaire minimum, la plupart des responsables du SPD y sont favorables. Les deux grands partis s’accordent cependant sur un point : appliquer aux salaires inférieurs à un seuil donné une aide de l’Etat, sous forme de diminution de charges sociales. Le SPD pense pourtant qu’il est indispensable de combiner ce système avec un salaire plancher légal pour éviter les effets d’aubaine.
Le patronat est strictement opposé à un salaire minimum légal, alors que la majorité des syndicats y est favorable. En 2006, les syndicats NGG (alimentation, boisson, restauration) et Ver di (services) ont lancé une campagne en faveur d’un SMIC à 7.50 euros. NGG déclare que le système actuel ne peut plus empêcher la croissance d’un salariat sous payé. Quand à la vice présidente de Ver di, elle reconnaît qu’un SMIC à 7.50 euros serait bien supérieur à certains salaires négociés par les partenaires sociaux, mais que l’on ne peut retenir comme une norme acceptable les salaires à 3.90 euros qui existent en Allemagne de l’Est. Seul le syndicat Mines Chimie Energie rejette le principe d’un SMIC. Il craint une mise en cause du principe d’autonomie des négociations et conteste la pertinence même d’un salaire minimum, étant donné l’impact que cela aurait sur les niveaux de salaires fixés par accords collectifs.
Quelle est la situation actuelle ?
Le nombre de salariés allemands percevant des salaires réputés « bas » augmente depuis dix ans. Ils sont passés de13.8% en 1993, à 17.3% en 2003, (16.6% en Allemagne de l’Ouest pour 19% en Allemagne de l’Est). Lorsqu’on fait le calcul sur une base horaire, en incluant les temps partiels et les salariés occasionnels, le taux monte à 20.5%. Notons que le seuil de qualification des bas salaires est de 9.83 euros en Allemagne de l’Ouest et de 7.15 euros en Allemagne de l’Est, soit des salaires inférieurs à deux tiers du salaire brut médian. Ainsi, l’Allemagne se classe parmi les cinq pays européens employant la plus forte proportion de main d’oeuvre à bas revenus, derrière le Royaume Uni, l’Irlande, les Pays Bas et la Grèce (Commission européenne 2004).
Quelles sont les grandes caractéristiques de ces salariés ? Ce sont principalement des travailleurs non qualifiés, des femmes, des jeunes et des étrangers. Ils sont de moins en moins nombreux dans l’industrie manufacturière alors qu’ils augmentent dans les services et les petites entreprises (transport, service à la personne…). Près de la moitié d’entre eux travaillent à temps partiel, alors qu’ils représentent 28% des salariés.
Pourquoi cette croissance des bas salaires ?
Différentes hypothèses sont avancées. On constate une externalisation d’emplois depuis des secteurs et entreprises bénéficiant d’une forte représentation du personnel vers de petites entreprises de service, dont le système de représentation est faible et les syndicats trop fragiles pour instaurer un salaire minimum.
Seconde hypothèse, un relatif déclin de la négociation collective. D’après une étude patronale, (IAB establishment panel), le pourcentage d’employés de l’Ouest couverts par un accord collectif a reculé de 76% en 1998 à 68% en 2004, la convention collective de l’industrie couvrant à elle seule 61% des salariés. Le processus est similaire à l’Est, 63% en 1998 pour 53% en 2004, 41% des salariés relevant de la convention collective de l’industrie. En matière de couverture des salariés par un accord collectif, l’Allemagne est au sein de l’Union européenne en avant dernière position, précédant de peu le Royaume Uni.
Il est un autre facteur décisif : l’adhésion effective des entreprises qui relèvent d’une convention collective aux normes négociées. Il n’y a malheureusement pas d’étude précise sur la question. D’après les travaux de WSI (Institut de recherche sociale et économique) et l’étude du Staff council 2004/2005 (Bispink 2006), l’application des conventions collectives pose problème, notamment quand il s’agit de questions salariales. 11% des comités d’entreprise ouest allemands et 16% des comités est allemands font état d’une application « à la baisse » des conventions collectives dont relèvent leurs entreprises.
Le meilleur moyen d’imposer un salaire plancher a été, jusqu’à la fin des années 90, l’extension des accords collectifs par décision du ministre du travail. Il s’agit d’étendre les minimas négociés à des secteurs et à des régions dans lesquels les entreprises non couvertes par des accords collectifs mettent en péril le caractère normatif de la négociation. Au cours des dix dernières années, le nombre d’accords collectifs étendus a baissé de près de 30%. La responsabilité en revient aux syndicats patronaux dans les comités qui décident des extensions. Les syndicats patronaux ont effet marqué une hostilité toute particulière à l’extension des accords salariaux.
Vers un salaire minimum européen ?
L’Allemagne est l’un des sept pays de l’Union à ne pas avoir de salaire plancher légal et à ne pas disposer d’une alternative institutionnalisée pour garantir un revenu minimal. Pour œuvrer dans le sens de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux, le WSI et la fondation syndicale Hans Böckler réclament une politique européenne en la matière, l’objectif étant que chaque pays ait un salaire plancher à hauteur de 50% du salaire national moyen. Le WSI demande au gouvernement, pendant que l’Allemagne exerce la présidence de l’Union, de militer en faveur d’un tel projet. Un engagement de cette nature supposerait alors l’introduction rapide d’un SMIC en Allemagne à un niveau comparable à celui de ses voisins.
Johannes Kirsch
Institut Travail et Qualification (IAQ) Université Duisburg-Essen
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