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par Christian Juyaux

L’industrie du tourisme est particulièrement sensible au dumping social via le détachement temporaire de travailleurs. Le secrétaire CFDT du CEE du Club Med revient sur la genèse d’un accord mondial qui encadre la mobilité transnationale.

C’est un scoop. L’UITA (Union Internationale des Travailleurs en Alimentation), l’EFFAT (Fédération Syndicale Européenne du Tourisme) et la direction générale du Club Med ont signé un accord mondial sur les droits fondamentaux au travail mais aussi sur la mobilité transnationale dans la zone Europe-Afrique. Un accord avec tous les pays d’Europe, la Tunisie, le Maroc, l’Egypte, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et l’Ile Maurice. Comment y est-on arrivé ?

Retour sur la réalité des stations alpines

En tant que local de l’étape, je vais vous parler des réalités, non pas vues de Bruxelles mais vues des stations alpines, ou comment les directives décidées à Bruxelles s’appliquent ou plus exactement ne s’appliquent pas chez nous. On l’a dit aux Bruxellois, mais manifestement, ils ont du mal à entendre.
Dans les stations alpines, un certain nombre de tour-opérateurs britanniques ou allemands viennent avec leur propre personnel en détachement temporaire, du personnel saisonnier avec des contrats de moins de 6 mois. Ils ne respectent pas la législation sociale, même si les directives requièrent le contraire et ils abusent de la directive européenne sur le détachement temporaire. C’est lié directement au caractère saisonnier de l’activité, puisque dans les stations alpines c’est surtout l’hiver qu’il y a de l’activité.

Evidemment, les inspecteurs du travail, en particulier en Savoie, Haute-Savoie et Hautes-Alpes, ont dressé des procès-verbaux sur du travail dissimulé, des salaires inférieurs au SMIC, des bulletins de paie non conformes ou des défauts de visites médicales. Tout cela figure dans la directive, rien de cela n’est appliqué. D’où un jugement du tribunal d’Albertville en 2007, à l’instigation de l’Urssaf, des Assedic, des partenaires sociaux, y compris les chambres patronales françaises, contre Marc Warner, gros tour-opérateur britannique. Au tribunal d’Albertville, on a gagné, mais en cour d’appel à Chambéry, la directive est sortie et on nous a dit : « mais non, tout ça est tout à fait normal, tout à fait légal ». Finalement, Marc Warner et les tour-opérateurs ont été blanchis de l’ensemble des accusations.

On a regardé ce qu’était cette directive et comment elle s’appliquait. On a découvert un gros problème : tout ce qui concerne la sécurité sociale et la protection sociale. En la matière, c’est la réglementation du pays d’origine de l’entreprise qui s’applique. On a donc regardé les différentiels de cotisations, autrement dit le coût social : en 2006 pour la France, il s’élève à 37,44 %, pour la Pologne (même pour les plombiers) à 20,78 %, mais pour les Britanniques c’est 12,8 %. Le dumping social se fait là-dessus. Alors, comme disent les juristes européens : « la rencontre entre la libre circulation des travailleurs et la libre prestation de services, s’avère être problématique ». C’est plus que problématique, c’est contradictoire. Depuis des années nous demandons que quelque chose de concret soit fait. Le tourisme est en effet un secteur qui connaît une forte mobilité transnationale parce que les touristes sont mobiles et que les entreprises gèrent une partie de leur main-d’œuvre à l’échelle internationale.

L’action syndicale au Club Med

cjuyaux

Au Club Med, entreprise où j’ai des responsabilités syndicales, les mêmes problèmes de mobilité transnationale se posent. Le Club Med, c’est 80 villages de vacances dans 30 pays et deux destinations : le soleil et la neige. L’hiver, l’entreprise faisait venir du personnel du Maroc et de Tunisie pour travailler dans les stations alpines. Mais que les choses soient claires, c’était en contrepartie de travailleurs français ou européens, les G.O, qui allaient travailler en Tunisie et au Maroc, un équilibre se faisait.

On a connu des conflits assez importants, notamment en 1982 dans les Alpes avec des travailleurs tunisiens et marocains. Des accords ont été signés. En 2004, la direction, lors d’une réunion du comité d’entreprise européen nous a dit : « on a du mal à recruter du personnel en France, en Italie et en Suisse et on a du personnel qui travaille pour nous l’été, en particulier en Turquie, on voudrait le faire venir, qu’en pensez vous? » Nous avons répondu « A première vue, on sait bien comment ça se passe – on avait eu le cas des Tunisiens et des Marocains – nous ne sommes pas contre cette mobilité, à condition qu’elle soit encadrée dans un accord social pour que ça ne soit pas un moyen de dumping ».

Un accord social a donc été négocié, il comporte trois parties.
Première partie : le respect des droits fondamentaux au travail. Les règles de l’OIT ont été reprises dans l’accord. On peut croire comme ça que ce sont des règles appliquées dans l’ensemble des pays, pourtant on a déjà eu l’occasion de s’en servir deux fois : une fois pour l’Italie où il y avait des problèmes de droits syndicaux et une seconde fois pour la Tunisie.

Deuxième partie : les conditions sociales de la mobilité. On a repris beaucoup des critères de la directive, en particulier salaire identique, durées du travail du pays d’accueil dans lequel on travaille, mais aussi temps de prévenance pour la mobilité, parce qu’avant, on disait « vous avez 48h pour partir à l’autre bout du monde ».

Troisième partie : l’expérimentation. La direction a déclaré : « on voudrait d’abord faire une expérimentation entre la France et la Turquie ». Cette expérimentation a duré trois ans. Le Secrétaire du comité d’entreprise européen avait la possibilité de venir contrôler dans les villages l’application de l’accord, avec une interprète pour savoir exactement comment les choses se passaient, et ça s’est fait. Au bout de trois ans, il s’avère que les travailleurs turcs sont très demandeurs pour venir l’hiver en France parce que dans leur pays il n’y a pas de travail l’hiver au Club Med (sur 800 salariés, 600 demandent à venir). La direction trouve là du personnel plutôt fidélisé dans un secteur où c’est très difficile de fidéliser. Quant à nous, syndicalistes, nous avons trouvé par la négociation un moyen d’avancer et de pouvoir contrôler concrètement cette mobilité internationale.

Le 6 mai, l’UITA et l‘EFFAT, les deux fédérations, internationale et européenne, qui couvrent le secteur du tourisme, ont en effet annoncé leur décision de parapher ce document élaboré avec la direction du voyagiste et qui succède à celui de 2004, alors établi pour trois ans. 

Lire ici l’accord

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