par Irina Terzyiska
Cela fait maintenant presque un an que la Bulgarie est en révolte, et rien ne semble pouvoir calmer les manifestants. Après avoir fait tomber un gouvernement de droite en février 2013, c’est sous les fenêtres de la nouvelle coalition entre le Parti Socialiste Bulgare et le DPS (qui représente la minorité turque du pays) que le peuple se rassemblait pour protester en mai dernier. Depuis, plus de 10 000 Bulgares occupent quotidiennement les rues de Sofia, à la recherche d’un nouveau modèle politique.
Au départ, les mouvements de protestation avaient été initiés par des environnementalistes et des activistes verts pour s’opposer à la nomination du Ministre de la Planification des Investissements, suite à son implication dans de nombreuses affaires de corruption. La nomination de Delyan Peevski à la tête de l’Agence de Sécurité Bulgare (DANS) eut l’effet d’une giclée de kérosène sur un feu naissant. Ce parlementaire DPS est très critiqué du fait qu’il représente aux yeux du peuple la collusion entre la politique et les médias : il est non seulement parlementaire, mais aussi propriétaire d’un grand groupe médiatique, d’une compagnie de communication et d’approximativement 40% des industries nationales d’imprimerie. Suite à l’indignation générale, il a décidé de démissionner de la DANS, mais malgré cela, les troubles civils persistent.
Les partis politiques tentent de récupérer la colère populaire. Si l’on en croit une enquête menée par Alpha Research, plus de 60 % des Bulgares soutiennent les manifestants et leur contestation de la pauvreté et de la corruption ambiantes. Ils ne s’apparentent ni au gouvernement en place, ni à son opposition. Les origines de cette indignation se décryptent en lisant les panneaux de certains des contestataires : « La mafia, c’est fini, » « Nous restons, vous émigrez, » et « 24 ans de fausse démocratie, c’est assez ! »
Les facteurs économiques jouent également. La Bulgarie demeure l’Etat le plus pauvre de l’Union Européenne, alors que la crise économique persiste dans tous les Etats membres, la situation ne semble qu’empirer pour le peuple bulgare. Les programmes d’austérité inspirés du Fond l Monétaire International et les plans de privatisation (en Bulgarie, ce sont des compagnies privées pour la plupart étrangères qui fournissent l’électricité nécessaire) se poursuivent et captent le peu d’argent public que le pays possède encore. Pire, la Bulgarie souffre d’une corruption profonde qui atteint tous les niveaux de gouvernance, des représentants locaux aux élus gouvernementaux. Dans ce contexte, on voit mal comment les choses pourraient changer.
Il y aussi a le problème de l’immigration. En tant que nouveau membre de l’Union Européenne, la Bulgarie peine à trouver les moyens de s’occuper de ses demandeurs d’asile. En 2012, ils n’étaient que dix mille, mais leur nombre a été multiplié par sept depuis l’entrée de la Bulgarie dans l’Union. Ces chiffres alarmants ont causé de nombreuses manifestations de la part de groupes d’extrême-droite, ainsi qu’un nombre croissant d’agressions racistes sur le territoire bulgare.
De nombreux observateurs locaux déplorent le manque de clarté et de précision des exigences du mouvement de contestation : les manifestants ne soutiennent aucun des partis existants et rejettent le modèle politique actuel mais, en même temps, ils ne présentent aucune solution concrète pour l’avenir de leur pays. Les manifestations continuent donc aujourd’hui, des mois après la démission de Peevski, et attirent régulièrement entre 10 000 et 15 000 personnes dans les rues de Sofia.
6 mois dans les rues : le fil des évènements
Dans la nuit du 23 au 24 juillet 2013 : la violence s’invite dans les manifestations. Plus de 100 parlementaires, ministres et journalistes passent la nuit barricadés au Parlement avant que la police ne les autorise à sortir au petit matin.
Vacances annuelles du Parlement : de nombreux contestataires suivent leurs élus jusqu’à leurs résidences sur la côte de la Mer Noire.
Septembre 2013 : à la réouverture du Parlement, les manifestations continuent, mais avec moins de participants. Ils ont eux-mêmes parfois à affronter des mouvements de contre-protestation.
Début octobre 2013 : la Cour Constitutionnelle autorise Peevski à retourner au Parlement après s’être heurtée à une impasse quant à sa destitution. Des milliers de personnes sortent dans la rue pour le 117ème jour de manifestation.
23 octobre 2013: les étudiants de l’Université de Sofia se joignent au mouvement. Ensemble, ils occupent leur auditorium principal et protestent contre ce qu’ils appellent « La démocratie de façade. » La jeunesse revitalise le mouvement de contestation et les étudiants fêteront leurs trois semaines de protestation en enchaînant les grilles de leur université.
Ces mouvements étudiants de Sofia reçoivent le soutien de professeurs et d’intellectuels, mais aussi d’étudiants dans tout le pays. En signe de solidarité, des auditoriums seront bloqués dans dix-huit universités partout en Bulgarie.
12 novembre 2013: nous en sommes à 151 jours de manifestation continue et les étudiants envahissent la place adjacente au Parlement pour y organiser un sit-in pacifique. Ils bloquent le passage des rues alentour et sont rapidement entourés par les forces de police anti-émeute. Dans la soirée, les étudiants et d’autres manifestants convergent sur les bâtiments dans l’idée de déloger le gouvernement socialiste. On rapporte que certains des contestataires ont été battus et arrêtés par les forces de l’ordre.
13 novembre 2013 : un nouveau scandale éclate avec la divulgation d’un email interne du BSP contenant des instructions sur les façons de discréditer les manifestants.
16 novembre 2013 : après 155 jours de manifestations, deux grands rassemblements politiques sont organisés dans le pays :
– D’un côté, l’ancien parti au pouvoir, le GERB, qui fait maintenant partie de l’opposition, organise un évènement à Plovdiv, la deuxième ville du pays, et rassemble plus de 35 000 participants.
– De l’autre, à Sofia, le BSP et le DPS lancent un rallye pro-gouvernemental auquel plus de 40 000 personnes ont participé.
Photos: Irina Terzyiska
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