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Erigé en priorité à l’échelle européenne, le système de validation des acquis de l’expérience s’appuie sur la confiance mutuelle entre les parties prenantes, systèmes nationaux de développement des compétences. Dans la première partie de son analyse, Jean Raymond Masson mettait en évidence les progrès de la VAE en Europe, en en soulignant son importance dans les politiques européennes. La suite de son article nuance les avancées de la VAE et cible les difficultés qui gèlent l’essor des pratiques de validation en Europe, dans un marché du travail de plus en plus complexe. 

 

 

VAE europe

Les développements de la validation des ANFI dépendent beaucoup du consensus entre les différentes parties prenantes. C’est ainsi que des priorités politiques différentes, des questions d’ordre culturel, des situations socioéconomiques particulières peuvent nuire à ces développements, même s’il existe un cadre légal adapté.

 

C’est le cas en Roumanie où une situation confuse règne en ce moment suite à la création d’une autorité nationale des certifications et d’un conflit de pouvoir entre les ministères de l’Education et du Travail (comme on a pu le voir en France au début des années 2000) ou en Espagne où les décisions prises par un décret royal en 2009 s’accommodent mal des différences régionales.

 

 

Des difficultés limitent les développements des pratiques de validation

 

 

La CES et son institut d’études ETUI considèrent que la validation des ANFI est une nouvelle voie qui s’ajoute aux dispositifs de formation (initiale ou continue) et les complète. Cesont des voies complémentaires et on doit établir des connexions entre elles. Encore faut-il que les établissements de formation donnent une égale considération aux deux approches ? Ainsi, il faut parfois lutter contre les préjugés des enseignants qui craignent d’abaisser la valeur des diplômes s’il devient possible de les obtenir par la validation des acquis. Globalement, il importe de mettre en place un système fiable et crédible permettant d’assurer un traitement égal aux titulaires des diplômes, quelle que soit la voie par laquelle ils les ont obtenus. Pour le moment, cette équivalence est loin d’être garantie.

 

L’impact de la validation est substantiel sur l’économie, dans la mesure où elle accroit l’autonomie et la confiance des travailleurs, améliore la qualité de leur travail et contribue à leur développement personnel. L’identification et la mobilisation des compétences acquises dans un cadre de travail peuvent constituer un investissement rentable susceptible d’améliorer la productivité et peu coûteux pour l’entreprise. Elle peut aussi favoriser une meilleure adéquation entre l’offre et la demande d’emplois. Mais les employeurs peuvent être réticents par crainte des demandes d’augmentation des salaires ou du risque de « brain drain » par la concurrence.

 

Ainsi, tout dépend de l’engagement des entreprises dans l’identification et la validation des compétences des travailleurs. De fait, dans la plupart des pays analysés dans les monographies, la situation n’est pas satisfaisante. Les grandes entreprises développent leurs propres procédures pour la reconnaissance et le développement des compétences sans chercher à les valider, afin de se protéger contre les risques. Quant à l’engagement des PME, il est rendu difficile pour des raisons pratiques d’organisation et de financement, mais aussi par le manque de culture des managers sur les questions relatives aux compétences, et leur éloignement des mécanismes institutionnels. Cette contrainte est particulièrement flagrante au Portugal et au Danemark. Les syndicats ont ainsi un rôle essentiel à jouer.

 

 

Des relations problématiques avec le marché du travail 

 

 

L’implication des partenaires sociaux dépend d’abord de leur participation au sein de comités ou conseils sectoriels où les référentiels d’emploi et de compétences sont définis en termes de résultats d’apprentissage et selon les niveaux du cadre national des certifications, lui-même articulé avec le cadre européen des certifications . Elle dépend également de la négociation collective au sein des branches et des entreprises. C’est pourquoi la négociation collective est nécessaire afin de responsabiliser les employeurs et d’inscrire la validation dans les carrières professionnelles en offrant ainsi une meilleure sécurité dans l’emploi. Cependant l’enquête conduite par ETUI n’a identifié qu’un petit nombre d’exemples de telles négociations. Dans la plupart des pays, la formation n’est pas une priorité dans le champ de la négociation collective décentralisée et la question des ANFI reste marginale. Un exemple plus encourageant est donné par l’approche de la Fédération européenne des travailleurs de la métallurgie au sein des multinationales du secteur notamment au sein de Thalès, en Allemagne ; elle bute cependant sur la diversité des situations nationales.

 

Dans ce contexte, les syndicats interviennent de différentes façons. Au niveau des entreprises par la formation de syndicalistes en entreprise sur ces questions de manière à ce qu’ils aident leurs collègues à mobiliser leurs compétences en vue de la mobilité professionnelle (Royaume-Uni et plus récemment en Roumanie) A un second niveau, par la participation active (avec celle des fédérations d’employeurs) aux campagnes d’information sur les emplois non pourvus dans certains segments du marché du travail et sur le besoin de faire valoir certaines compétences notamment par la validation des ANFI afin de les occuper (Espagne en particulier en Galice).

 

Au niveau supérieur,les syndicats peuvent contribuer au cadre général de mise en œuvre de la validation des ANFI et de ses liens avec les systèmes de formation professionnelle continue pour un vaste ensemble de métiers et de compétences. En effet, ces cadres quand ils existent souffrent d’un manque de coordination ; il est donc nécessaire, dès lors que les partenaires sociaux sont parties prenantes, qu’ils interviennent de façon active au sein des institutions en charge, éventuellement jusqu’à leur implication directe dans la mise en œuvre de la validation, comme c’est le cas en Finlande. Ils peuvent aussi contribuer à la mise en réseaux de centres de formation et de validation, voire à assurer la gestion directe de tels centres comme c’est le cas en Finlande, au Portugal et en Roumanie.

 

Ces cadres peuvent se traduire dans des programmes publics ambitieux tels que la VAE en France ou les Novas Opportunitades au Portugal qui insistent sur la valorisation des parcours professionnels et la transférabilité des compétences entre entreprises et secteurs ; mais ces initiatives restent limitées au Portugal par la reconnaissance insuffisante des compétences professionnelles, et en France par la lourdeur bureaucratique du dispositif et par les préférences des employeurs pour les CQP dont la validité ne dépasse pas la branche. Ainsi, la situation la plus favorable à la validation des ANFI se trouve là où les incitations étatiques, la négociation collective au niveau des branches et les accords d’entreprise se complètent et s’articulent en vue de favoriser la formation tout au long de la vie. Tel est le cas dans le secteur bancaire en France avec l’accord signé en 2011 entre l’Association française des banques (AFB) et l’ensemble des syndicats du secteur. L’accord mentionne explicitement la VAE parmi l’ensemble des parcours de formation financés au titrede la formation continue. Cette initiative n’a pas d’application automatique, mais plusieurs banques promeuvent systématiquement la VAE dans la requalification des personnels en référence avec l’accord de branche. Des initiatives de nature analogue se font jour en Espagne ou au Danemark dans certains secteurs.

 

Ces actions visant à identifier, documenter et valider les compétences sont essentielles au bon fonctionnement du marché du travail. Au sein des dispositifs de « flexisécurité », elles permettent de renforcer la dimension de sécurité. Elles mettent le travailleur en meilleure position, qu’il soit employé ou en recherche d’emploi. Elles constituent aussi un avantage pour les employeurs dans la mesure où elles facilitent l’adéquation avec les besoins en compétences. Elles sont cependant mises en danger par les processus de dérégulation actuellement à l’œuvre et qui tendraient à considérer les cadres et répertoires de certification (sur lesquels s’appuient les processus de validation) comme trop rigides en regard des besoins de mobilité.Paradoxalement, une dérégulation excessive aurait pour effet d’entraver la mobilité sur le marché du travail.

 

 

Quelques recommandations 

 

 

En conclusion, les auteurs du rapport reviennent sur les difficultés rencontrées dans les développements de la validation. Ils évoquent les réticences de certains pays à l’égard d’instruments européens jugés trop exhaustifs et abstraits, les résistances des systèmes éducatifs devant le besoin de considérer les diplômes comme certifiant des compétences acquises… Le rapport se termine par un certain nombre de recommandations :

– Renforcer l’anticipation des besoins en compétences au niveau global et local ;
– améliorer la coordination entre les acteurs et institutions ainsi que le suivi et l’évaluation ;
– s’assurer qu’une information précise sur les ANFI est largement diffusée;
– veiller à ce que les établissements et organismes de formationaccordent une attention accrue aux besoins des entreprises ;
– soutenir les travailleurs dans leurs démarches de reconnaissance et de validation de leurs compétences.

 

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.