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Jamais, une élection n’aura véhiculé des représentations aussi hétérogènes de la relation au travail et du modèle de société qui en découle. Jusqu’ici, ce qui démarquait les candidats, c’étaient les solutions qu’ils préconisaient pour créer plus d’emplois et réduire de la sorte le chômage : via l’offre, pour la droite, via la demande et le partage du temps de travail pour la gauche. Ce vieux clivage est en train de voler en éclats. Pas seulement parce qu’une partie de la gauche se serait ralliée aux thérapies de l’offre. Mais aussi, plus profondément, parce que le bouleversement numérique, et la lecture qu’on fait de son impact est là, en arrière-plan des programmes, comme jamais jusqu’ici. Il constitue l’un des éléments différenciant parmi les plus forts aujourd’hui. Metis reprend avec son autorisation l’article de Olivier Passet, Directeur des synthèses Xerfi, qui présente les positions en rupture des différents candidats.

 

Du côté de Fillon, ce qui prévaut c’est le paradigme du travail mal mobilisé. Il n’y a pas d’autre crise que celle du déclin de la valeur travail et de sa perte de compétitivité… un procès à la préférence pour le loisir, qui a les 35 heures et l’hypertrophie de l’État improductif en ligne de mire. Ce point de vue relaie le soupçon d’une partie de la société vieillissante, inquiète pour le socle de ses retraites. Soit le chômage est volontaire. Soit, pour le moins, il est lié aux multiples désincitations fiscales ou réglementaires de notre État providence. Redresser la France, c’est d’abord faire sauter des verrous, remettre la France récalcitrante au travail.

Du côté de Macron, c’est la lecture optimiste voire candide de la destruction-créatrice qui prévaut. Un monde meurt, mais le vivier des start-ups et des nouveaux usages fournit de multiples opportunités pour qu’émergent en nombre de nouveaux emplois. L’économie n’a pas besoin d’une baisse de la durée du travail, mais d’une flexibilité des temps, adaptée à chaque âge et à chaque activité. La projection de l’emploi de demain, s’inscrit dans l’idée de la fin du salariat, mais non pas du travail. Ce qu’il faut, d’abord, c’est déverrouiller le droit, laisser place au sur-mesure au sein de l’entreprise. C’est adapter notre droit pour qu’il laisse se déployer les nouvelles formes de travail que réinvente l’économie numérique. Au salariat, à la carrière linéaire se substitue un nouveau monde : celui du « tous entrepreneurs », offrant des prestations, multiples. Avec un fort risque d’intermittence. Avec la possibilité d’activités multiples. Notre protection sociale doit elle-même s’adapter pour couvrir ces nouveaux aléas, au risque d’être plus coûteuse. Son financement doit être assis sur une base large, déconnectée du salaire.

Côté Hamon, on valide la thématique de la fin du travail et de son partage nécessaire. C’est une posture forte. Premièrement, les robots, les algorithmes vident le travail de sa substance. Il va se raréfier. Deuxièmement, il est de plus en plus difficile d’objectiver sa valeur monétaire dans un monde où tout est connecté, et où tout dépend de tout. Troisièmement, la rente technologique est captée aujourd’hui par quelques-uns, qui concentrent les fruits de la croissance numérique. Il nous faut donc repenser notre fiscalité. Taxer le capital, notamment les robots, les hyper-riches, et distribuer un revenu de subsistance à tous ceux qui sont exclus du travail, ou qui travaillent sur des durées de plus en plus courtes, ou qui collaborent bénévolement sur des plateformes.

Chez Mélenchon il existe d’abord une crise de la valeur travail. Il ne s’agit pas de lutter contre la paresse insidieuse de notre société du loisir, mais de renouer avec une éthique du travail. 1/ Mettre le cap sur des enjeux qualitatifs et environnementaux. 2/ Limiter les possibilités de rémunération exorbitante. Il y a ensuite un problème de mobilisation du travail, mais dont les causes doivent être recherchées du côté de la demande et non de l’offre. Avec notamment la préconisation d’une hausse forte du SMIC.

Je reste volontairement sommaire : mais disons que Fillon est le candidat du travailler plus avec des recettes traditionnelles tournées vers l’offre. Que Mélenchon est le candidat de la relance du travail par la demande et le partage. Ni pour l’un, ni pour l’autre, il n’y a de mutation substantielle, qui amènerait à revoir en profondeur nos logiciels d’action. Macron, lui, s’inscrit dans le paradigme de la fin du salariat. Tandis que Hamon valide celui de la fin du travail, de sa raréfaction. Mais à travers ces postures péremptoires, et hasardeuses à ce stade, il faut bien l’avouer, la véritable réflexion sur ce que sera le travail de demain, son contenu, sa formalisation juridique, son mode de rémunération est aux abonnés absent. Le mot travail s’est invité dans le débat. Mais pas sa substance. Et c’est dommage.

 

Pour en savoir plus :

– Martin Richer, « Le travail, passager clandestin des campagnes présidentielles », Metis, 24 Octobre 2016

– Le site internet de Xerfi

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