On peut lire les fameuses ordonnances Travail sous deux angles : ce qu’elles disent bien sûr, mais aussi ce qu’elles ne disent pas. Sur ce qu’elles disent, tout a été dit ou presque.
Qu’il s’agisse, à ce stade et avant les réformes annoncées de la formation professionnelle et de l’assurance chômage, des nouvelles facilités données aux employeurs et donc d’un déséquilibre avéré en leur faveur. De la fameuse décentralisation du dialogue social dans l’entreprise qui ne va faciliter ni la vie des syndicats ni celle des employeurs pour qui le réflexe premier, en France, n’est jamais de négocier, qu’elles qu’en soient les conditions ou modalités. De l’instauration d’un référendum sur l’utilisation duquel les quelques travaux existants autorisent plus qu’un doute. Sans parler de bien des référendums où la réponse donnée est bien loin de celle attendue et en décalage par rapport à la question posée (sauf en Catalogne ou au Kurdistan, quoique là encore…). De la fusion des IRP dont il est difficile d’évaluer l’impact faute d’en savoir plus sur les moyens de fonctionnement qui leur seront garantis. De tout cela quantité d’experts ont abondamment saturé les médias.
Mon propos est plutôt de revenir sur le non – dit de ces ordonnances, qu’il s’agisse de leurs fondements socio-économiques ou des sujets qu’elles se sont bien gardées de traiter.
Elles sont tout d’abord assises sur une croyance ancienne, jamais étayée à ce jour en France ou en Europe : la réforme du marché du travail est censée en améliorer l’efficacité et, partant, les embauches. Elles ne saisissent ensuite le travail que sous son angle marchand – qui existe bien entendu -, mais qui est très loin d’être le seul. Et s’il n’est pas impossible que cette réforme participe d’une nouvelle confiance des employeurs (si tant est que la reprise de l’activité, des investissements et des commandes se confirme) il serait miraculeux que ses effets-emplois soient significatifs. Elles se réclament en outre de la flexisécurité, concept dont elles abusent, mais qui n’est pas, n’est plus, à la hauteur des problèmes posés : celle-ci se propose surtout de répondre aux problèmes de ceux qui perdent leur emploi, mais elle n’intègre pas le fait que l’emploi lui-même est un droit et que le travail est constitutif de l’identité des personnes. Adossée au concept de marché du travail, la flexisécurité ne parvient pas à imaginer les institutions qui pourraient répondre aux nouvelles structures productives et au besoin de traduire le caractère social de l’activité économique. Ajoutons pour en finir sur ce point que penser la loi en ces termes participe d’une lecture économiste de la norme et, ce faisant, d’une dévalorisation des cadres de référence collectifs dont par ailleurs le politique ne cesse de se plaindre !
Enfin et c’est bien là le problème central, cette nouvelle loi Travail, peut-être plus encore que la précédente qui avait au moins le mérite d’embrasser un champ plus large, ne traite que très marginalement du travail. Du travail contemporain – numérisation, fragmentation, nouvelle autonomie et nouvelles subordinations – et de la remise en cause du contrat dans ses dimensions juridiques, psychologiques ou sociales, la nouvelle loi ne souffle mot. Et ce ne sont pas les dispositions sur le télétravail ou sur le compte de prévention – qui continue à ignorer les affections psycho-sociales et leurs conséquences sur la santé mentale dans l’univers professionnel – qui apportent ici un quelconque contrepoids.
Enfin, appréhender le dialogue social qu’il s’agisse de l’entreprise ou de la branche fait l’impasse sur l’organisation économique : c’est des chaînes de valeur et d’approvisionnement qu’il faut parler et de l’entreprise réseau. Sur ce point la loi est silencieuse et la négociation d’entreprise ou de branche impuissante. Le besoin en la matière dépasse une loi sur le travail: ce sont des normes sur l’entreprise dont nous avons besoin aujourd’hui tant la diversité de ses parties prenantes est large et leur interdépendance forte.
Les effets dévastateurs des récentes ordonnances prédits par certains ne seront peut-être pas au rendez-vous tant elles vont dépendre de leur utilisation effective et du comportement des acteurs économiques et sociaux. Mais ce qui est certain c’est que nous sommes très loin d’une refondation du code du travail. L’opportunité d’un code à la hauteur des défis présents ou prévisibles n’a pas été saisie. Tout ça pour ça ?
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