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Pour écrire et réaliser son troisième film Heureux comme Lazzaro, Alice Rohrwacher semble avoir adopté la même stratégie que l’iPad, le Cirque du Soleil, Nespresso et Emmanuel Macron, une stratégie hybride – (Philippe de Villemus, The Conversation). De multiples ingrédients se croisent avec bonheur dans cette fiction aussi envoûtante que déconcertante.

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Lazzaro et les autres

Lazzaro est trop bon. Il ne dit jamais non, s’acquitte sans barguigner de toutes les tâches qu’on lui confie en rafale au sein de la petite communauté paysanne où il vit. La Marquise de Luna, propriétaire de ce lieu totalement isolé, coupé du monde, connu sous le nom de l’Inviolata, peut se rassurer : « je les exploite, mais eux l’exploitent à leur tour ». Pourtant ce n’est pas si simple. Lazzaro a son jardin secret. Là-haut dans la montagne, dans un décor à couper le souffle, il a aménagé un abri, un refuge. Personne n’en soupçonne même l’existence. Lazzaro peut s’y cacher, y faire du café, y rêver… Il y est chez lui et peut se soustraire un moment à l’emprise de ceux qui en ont fait l’ultime subalterne. Le trop crédule et trop obéissant Lazzaro a son quant-à-soi.

Tancredi est un héritier, le fils de la Marquise. Son chemin semble tracé. Il en prendra un très différent, entre crise d’adolescence et amitié pour Lazzaro, rêves de grandeur et ruine financière, escroquerie et pouvoir des banques.

Le film est un hymne à la nature, les paysages sont grandioses, mais la vie de ceux qui y vivent est misérable. Ils sont dans un extrême dénuement, sans école et sans perspective. Ils sont férocement exploités. Ça ne les rend pas meilleurs, ils ne se révoltent pas et retiennent ceux qui veulent partir. Ils n’en acquièrent aucune conscience politique. Ils volent à l’occasion plus faible qu’eux et la générosité n’est pas leur fort.

Leur savoir-faire semble très limité. A l’Inviolata, ils cultivent le tabac, c’est nocif, et d’ailleurs ils constatent que le nombre de fumeurs diminue. Ce n’est qu’une fois en ville, dans un environnement de tôle, de ligne de chemin de fer, de barrières, qu’ils découvriront, grâce à Lazzaro, que des plantes comestibles poussent sur le talus et qu’un trésor est à portée de mains.

Un film hybride

Le film se passe d’abord à la campagne puis à la ville, mais toujours dans les marges. Pourtant il ne traite pas de la marginalité, des minorités ou des exceptions. Le fond est universel. Alice Rohrwacher nous parle de la domination, de la violence, de la difficulté à s’adapter au monde tel qu’il va. Lazzaro et son infinie bonté est une victime et en « même temps » celui qui peut les sauver. C’est un conte. La logique ordinaire n’y a pas sa place. Antonia et ses compagnons peuvent vieillir de quelques décennies et Lazzaro rester le jeune homme qu’ils rudoyaient. Mais c’est aussi une fable politique et sociale. Le régisseur qui réduisait les paysans au servage recrute maintenant selon une procédure d’enchères inversées, celui qui accepte la rémunération la plus basse est pris.

On pourrait continuer ainsi. Lazzaro est heureux comme le dit le titre, mais c’est une tragédie, le film est noir, mais Lazzaro, Antonia ou Tancredi sont attachants, c’est un fourre-tout et c’est un enchantement, ça semble se passer il y a longtemps, mais il y a des téléphones portables, on craint la confusion, mais on retient la poésie, etc. Heureux comme Lazzaro est un film hybride. C’est sans doute pour ça qu’il nous parle si bien de notre époque.

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.