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Inconditionnels de l’esprit de sérieux, n’y allez pas. Cinéphiles tendance avant-garde, ce n’est pas pour vous. Mauvaises herbes, le film de Kheiron avec Catherine Deneuve et André Dussollier ne nous raconte pas la vraie vie, il nous dit qu’on pourrait faire autrement.

 

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Ce n’est pas vraiment une utopie, plutôt un rêve auquel on s’accroche et qui vous donne des idées et du courage, une histoire édifiante comme on en raconte à ses enfants afin qu’ils sachent qu’il y a des alternatives à la violence, au mépris et à l’échec. Pour qu’ils rêvent à leur tour. Une histoire racontée avec légèreté et humour. Une histoire qui nous fait du bien.

 

Il était une fois des losers, des solitaires, des inadaptés au nouveau monde. Il y a Waël. Ses parents ont été tués dans une guerre où les victimes sont des civils. Enfant des rues, il y apprend la débrouillardise plus que le respect des règles de droit. Il y a Monique. Elle a recueilli Waël dans l’orphelinat religieux où elle travaillait après avoir rencontré Dieu, comme elle dit. Ils s’en enfuient après que l’ami de Waël ait été la victime d’un prêtre pédophile. Il y a Victor, il veut aider les jeunes déscolarisés, mais ne sait pas comment s’y prendre. Il a connu Monique. Ils étaient jeunes, auraient pu s’aimer, mais ça ne s’est pas fait.

 

On les retrouve des années plus tard. Waël vivote de petits trafics avec l’aide de Monique. Elle n’approuve pas, mais pour rien au monde elle ne lâcherait Waël. Par un concours de circonstances qui n’arrive qu’au cinéma, ils croisent Victor. Il cherche à recruter un éducateur, celui sur lequel il comptait ayant eu un accident. Le film peut basculer. Devant ces jeunes adolescents « à problèmes » qui se cabrent face à toute parole officielle, celle qui les a disqualifiés, l’imagination, l’ingéniosité, le sens de l’à-propos de Waël font des miracles. Il faudrait projeter le film dans tous les cours où les experts en développement personnel s’échinent à expliquer aux premiers de la classe ce que sont les soft skills, ces compétences indispensables au travailleur du 21e siècle. Enfin, grâce à une frivole arnaque, Monique et Victor peuvent s’envoler vers la Sicile pour ce qui ressemble bien à un voyage de noces trop longtemps différé.

 

Les trois amis ne deviennent pas des héros flamboyants. Ce n’est pas une histoire de rédemption. Ils ne seront pas les leaders d’un nouveau mouvement d’émancipation ni d’une jacquerie désignant un bouc émissaire. L’histoire se déroule comme malgré eux. Ils ne sont pas pour autant naïfs. Ils analysent parfaitement l’enjeu que constitue la désocialisation de ces adolescents, punis parce coupables d’absentéisme, d’incivilité, de bagarres, ou de port d’armes. Grâce à leur travail, ces jeunes sont dorénavant en mesure de régler des conflits sans se battre en mobilisant tout leur quartier. Ils sont libérés de l’emprise de dealers dont certains se révèlent être des flics ripoux. Ils saisissent la main tendue et sont prêts à prendre leur chance. Waël, Monique et Victor n’ont pas de programme ni de théorie générale. Au gré des circonstances, guidés par ce à quoi ils tiennent, ils font ce qui dépend d’eux et ce faisant ils « existent et résistent » (Pascal Chabot, Exister, résister. Ce qui dépend de nous, Paris, PUF, 2017).

 

Bien sûr tout cela est improbable. Le film ne cherche pas à être vraisemblable. Il doit plus à Charlie Chaplin qu’à Vittorio de Sica, plus au Kid qu’au Voleur de bicyclette. À propos de Charlot, Guillaume le Blanc écrit dans L’Insurrection des vies minuscules : « L’hypothèse Charlot c’est cela : contester les normes du monde commun pour le rendre plus partageable, redonner vie à la démocratie. Et n’est-ce pas finalement la force ultime de Chaplin et de son personnage de nous éloigner du nihilisme qui semble à nouveau guetter notre époque » (Guillaume le Blanc, L’insurrection des vies minuscules, Paris, Bayard, 2014).

 

Au final, et tant pis si la référence à Charlie Chaplin est écrasante et sans doute disproportionnée, Kheiron réussit ce dialogue entre le pire de notre époque et le meilleur de ceux qui ne se résignent pas au monde tel qu’il va (mal). Catherine Deneuve et André Dussollier, impeccables, y sont sans doute pour beaucoup. Une phrase de Victor Hugo dans Les Misérables est en exergue du film : « Il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs ». Le film Mauvaises herbes nous dit que les bons cultivateurs ne sont peut-être pas là où on les attend, mais qu’il en existe et qu’on peut leur faire confiance. Un rêve ?

 

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.