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Le Brexit en est la preuve, l’information claire et largement diffusée des avantages apportés par la construction européenne au fonctionnement des sociétés et au bien-être des citoyens manque. La raison tient à la complexité des influences et des avancées, mais aussi aux réticences de nos gouvernants à attribuer à l’Europe des mérites qu’ils préfèrent revendiquer comme leurs, tout en en faisant le bouc émissaire des difficultés rencontrées. La politique européenne dans le secteur de la formation professionnelle est un bon exemple : il est bon d’en rappeler les étapes et de démêler les fils des influences croisées avec les politiques nationales.

La préhistoire : de la Communauté européenne charbon-acier au traité de Maastricht en passant par la question des professions réglementées.

 La coopération européenne en matière de formation professionnelle est une vieille histoire, aussi vieille que la construction européenne en tant que telle puisque des mesures concernant la réduction des obstacles à la mobilité des travailleurs qualifiés figuraient dans les règlements de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) dès 1951. Plus tard la formation professionnelle est consacrée comme un domaine d’action communautaire dans le Traité de Rome en 1957. Et la création du Fonds social européen (FSE) doit favoriser une collaboration étroite entre les pays membres dans le domaine social, y compris la formation professionnelle, au service du développement économique. En même temps, la volonté d’éliminer les barrières à l’établissement des ressortissants d’un pays de la Communauté dans un autre pays membre justifie qu’on mette l’accent sur l’harmonisation et la reconnaissance mutuelle des qualifications dans les professions réglementées ; ce qui donne lieu à une série de directives sectorielles ou générales (relatives à un niveau sans spécification de secteur) à partir de 1964. L’affaire sera réglée en 2005 avec l’adoption d’une directive portant sur « la reconnaissance des qualifications professionnelles » abrogeant les textes précédents tout en reprenant l’essentiel des dispositions [1]. Un peu plus tard, en 1975, est créé le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (CEDEFOP), dont le travail s’oriente d’emblée sur les questions de qualification et de certification.

1989 marque une nouvelle étape avec le lancement du programme PETRA (devenu plus tard LEONARDO puis « Apprentissage tout au long de la vie » ou Lifelong learning [LLL] en 2004 avant d’être intégré en 2014 dans l’ensemble ERASMUS +) appelé à développer les échanges dans le domaine de la formation professionnelle et en même temps la création de la Fondation européenne pour la formation (ETF pour European training foundation) destinée à appuyer les réformes de la formation professionnelle dans les pays de l’Europe centrale et orientale suite à la chute du rideau de fer.

En 1992, le Traité de Maastricht est doté d’un nouveau chapitre consacré à l’éducation et à la formation professionnelle et va fournir le cadre juridique de la « méthode ouverte de coordination » (MOC) : cette méthode s’appuie sur la définition de lignes directrices au niveau européen assorties de calendriers de réalisation par les États membres dans leurs politiques nationales, l’établissement d’indicateurs et de benchmarks, et la mise en œuvre d’un suivi et d’une évaluation périodique assurés par le Conseil et la Commission. Dans le respect du principe de subsidiarité, il ne s’agit pas pour la Communauté de viser l’harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres. Les « recommandations » n’imposent aucune obligation légale. La très grande diversité des systèmes de formation professionnelle n’a pas vocation à être réduite. Si convergence il y a, c’est celle des politiques nationales à partir des obligations de résultats assumées par les États sur la base des objectifs communs librement consentis. Contrairement au processus de Bologne qui va conduire tous les pays participants à transformer leurs systèmes d’enseignement supérieur en adoptant le système LMD (à trois niveaux : licence, master, doctorat) correspondant aux durées de 3, 5 et 8 ans, rien de tel ne sera imposé aux systèmes nationaux d’enseignement et de formation professionnelle.

Le grand tournant des années 2000 : une coopération renforcée en matière de formation professionnelle (Stratégie de Lisbonne) et un espace européen de l’éducation et de la formation tout au long de la vie

La coopération en matière de formation professionnelle va alors être relancée vigoureusement. La Stratégie de Lisbonne donne à l’éducation et à la formation un rôle décisif dans le développement d’une économie de la connaissance permettant à la Communauté — devenue l’Union européenne — de « jouer le premier rôle au plan mondial en 2010 ». Comme l’indique une communication de la Commission en novembre 2001, il s’agit de promouvoir « un espace européen de l’éducation et de la formation tout au long de la vie visant, d’une part à responsabiliser les citoyens de manière à ce qu’ils puissent passer librement d’un environnement d’apprentissage, d’un emploi, d’une région ou d’un pays à un autre afin d’utiliser au mieux leurs connaissances et leurs compétences et, d’autre part à permettre à l’Union européenne et aux pays candidats d’atteindre leurs objectifs en termes de prospérité, d’inclusion, de tolérance et de démocratie ». L’accent est mis sur la libre circulation des personnes, mais aussi sur les mesures à prendre pour développer l’éducation et la formation tout au long de la vie au service de la stratégie européenne de l’emploi lancée précédemment.

Six priorités sont fixées :

  • Valoriser l’éducation et la formation (les apprentissages formels, non-formels et informels,
  • Information, orientation et conseil par le développement de services
  • Investir du temps et de l’argent dans la formation et l’éducation (incitations et investissements)
  • Rapprocher les offres d’éducation et de formation des apprenants (notamment par la formation sur les lieux de travail),
  • Les compétences de base (les mettre à la portée des personnes en difficulté et des jeunes en décrochage scolaire)
  • Pédagogies novatrices (conférant à l’apprenant un rôle central)

Cette vision est reprise et détaillée dans une résolution du Conseil sur la formation tout au long de la vie adoptée à Barcelone en 2002. Puis un programme de travail dénommé « éducation et formation 2010 » (E & F 2010) est bâti qui sera doté en 2003 de 5 benchmarks parmi lesquels figurent la réduction de la part des 18-24 ans NEETs (not in employment, education or training), à 10 % en 2010, ainsi que la croissance du pourcentage de jeunes de 22 ans dotés d’au moins une qualification de niveau moyen, et de celui d’adultes de 25 à 64 ans en formation (objectif 12,5 %). Et en novembre 2002 est adoptée à Copenhague une déclaration sur la coopération renforcée en matière d’enseignement et de formation professionnels (EFP ou VET pour vocational education and training) ; elle associe les ministres des pays de l’Union européenne, mais aussi des pays de l’Espace économique européen et des dix pays candidats à l’adhésion, ainsi que les organisations européennes des partenaires sociaux et la Commission. Des réunions de suivi se tiendront tous les deux ans dans cette configuration, chacune donnant lieu à un Communiqué. Le « Processus de Copenhague » est né.

Dans le cadre des grands objectifs du programme de travail E & F 2010, la coopération renforcée dans le domaine de l’enseignement et de la formation professionnels a une double finalité : contribuer à la réalisation du marché intérieur et à la liberté de circulation des personnes (marché du travail européen), mais aussi adapter et renforcer les systèmes nationaux d’EFP pour mieux servir les objectifs de compétitivité et de cohésion sociale. Les qualifications et les compétences doivent constituer une sorte de « monnaie commune » sur le marché du travail à l’instar de l’Euro sur le marché des biens et des services. Faute de pouvoir identifier et développer des « certifications européennes » (des expériences seront tentées, mais resteront marginales) et dans le respect de la très grande diversité des systèmes, le processus de Copenhague s’attache à développer des approches et des outils propres à assurer la « transparence » des qualifications et des compétences, promouvoir la « confiance mutuelle » entre les pays et faciliter la « mobilité » des personnes. Ce faisant il s’inscrit ainsi dans une logique analogue à celle du processus de Bologne engagé un peu plus tôt pour l’enseignement supérieur dans un contexte intergouvernemental en 1998.

Les instruments développés progressivement vont être le cadre Europass pour la transparence, le cadre commun d’assurance qualité (aujourd’hui CERAQ pour Cadre européen de référence pour l’assurance qualité ou EQAVET pour European quality assurance in VET), un ensemble commun de principes pour la validation des apprentissages non-formels et informels de même que pour l’orientation et le conseil tout au long de la vie, et la mise au point d’un système de crédits de transfert (ECVET pour European credits in VET). A ces premiers outils va bientôt s’ajouter, en coordination avec la coopération dans l’enseignement supérieur, la mise en œuvre du cadre européen des certifications (CEC ou EQF pour European qualification framework) qui va appeler — et amener — l’ensemble des pays à bâtir leur propre cadre de certifications en correspondance avec le cadre européen, ainsi qu’à définir les certifications en termes d’acquis d’apprentissage (learning outcomes) où l’on distingue les savoirs (knowledge), les savoir-faire (skills) et les savoir-être (competences). Dès 2004, un mémo de la Commission notait une grande cohérence et une forte compatibilité entre les priorités européennes et les politiques des États membres ; seules l’Autriche, la Belgique flamande et la Grèce se distinguaient par l’absence d’influence directe du processus de Copenhague sur leur politique nationale.

La méthode ouverte de coordination à l’œuvre : une activité effervescente et de multiples échanges impulsés par la Commission  

Pour autant, la construction et la mise en œuvre de ces instruments et principes dans les contextes nationaux n’allaient pas toujours de soi. Parvenir à un consensus entre tous ces acteurs était un véritable défi compte tenu de l’extrême diversité des situations et des choix politiques de chaque pays (rappelons que les pays candidats en étaient membres). Il fallait toute l’énergie mise dans le déploiement des multiples initiatives liées à la MOC pour y parvenir. La Commission était à l’initiative et s’appuyait sur une batterie de moyens, sur les experts et les travaux du CEDEFOP, sur des recherches qu’elle avait elle-même mandatées et pilotées, sur les travaux de réseaux d’experts qu’elle avait constitués (à l’exemple du réseau ENEE d’experts européens en économie de l’éducation), sur les résultats acquis dans des groupes de travail auxquels les États membres avaient été associés, et sur l’apprentissage entre les pairs (peer learning et peer review) à l’occasion de visites d’études et de rencontres organisées en vue de l’examen des « bonnes pratiques » ou de l’approfondissement de certaines questions.

Sur ces bases, elle émettait des messages forts à l’occasion des réunions périodiques des directeurs généraux de l’enseignement et de la formation professionnels (des pays membres) ainsi que du conseil consultatif de l’EFP, mais aussi lors de conférences ad hoc organisées par les présidences tournantes de l’Union. Les échanges étaient nourris et fructueux même si les débuts avaient été parfois difficiles. Dans les premières années en effet, certains pays avaient marqué des réticences à se confronter aux autres notamment dans l’utilisation des indicateurs et des benchmarks dans la mesure où ils suggéraient des comparaisons pas toujours flatteuses ; ce fut le cas notamment avec l’utilisation des données de PISA jugées par les Allemands incapables d’apprécier à leur juste valeur les acquis des élèves entrés dans le système dual.

Mais ces résistances furent assez rapidement surmontées. De fait, la panoplie d’initiatives prises au nom de la méthode ouverte de coordination valorisait les bonnes pratiques de chaque État membre et permettait d’affiner l’élaboration des principes et la construction des instruments européens. C’est ainsi que les approches françaises de la VAE et du DIF ont inspiré la rédaction des principes concernant la validation des apprentissages non-formels, que les développements et les succès de l’apprentissage (apprenticeship) en Allemagne ou au Danemark ont alimenté les réflexions et contribué à la priorité accordée à la formation liée au travail (work-based learning) ou encore que la conception du CEC s’est appuyée sur les leçons tirées de l’introduction et des difficultés de mise en œuvre du système anglais du NVQ (national vocational qualifications).

C’est dans ce cadre institutionnel et de cette coordination « effervescente » que le processus de Copenhague s’est déployé et avec lui les principes, les instruments et les outils européens, et que la coopération s’est enrichie peu à peu de priorités nouvelles ou renforcées, au rythme des rendez-vous organisés tous les deux ans des ministres responsables de l’Union, des pays candidats et de l’espace économique européen, et des partenaires sociaux européens. En 2004, le Communiqué de Maastricht se préoccupait de la faiblesse des crédits consacrés à l’enseignement et la formation professionnels (EFP) et appelait à une augmentation des investissements publics et privés. Il insistait également sur la nécessité d’adapter l’offre de formation aux groupes défavorisés et d’assurer la formation continue des enseignants et des formateurs. En 2006, le Communiqué d’Helsinki donnait priorité à la mise en œuvre du CEC, et des instruments ECVET et EQAVET, ainsi qu’à l’amélioration de la qualité et de l’attractivité de l’EFP. En 2008, le Communiqué de Bordeaux exprimait le besoin « d’une nouvelle vision stratégique afin de mieux prendre en compte les objectifs de cohésion sociale, d’équité et de citoyenneté, de favoriser la compétitivité et l’innovation, et de faire passer l’éducation et la formation tout au long de la vie du concept à la réalité » ; en même temps, priorité était donnée au renforcement des liens avec le marché du travail. Jusque-là, les priorités fixées dans chaque communiqué étaient générales ; elles visaient les niveaux européen et nationaux sans distinguer ce qui revenait à chacun.

Une nouvelle accélération à partir de 2010 en réponse à la crise économique : des objectifs plus précis pour chaque pays et un suivi systématique  

La réunion tenue à Bruges en 2010 faisait le bilan des actions engagées. Le Communiqué de Bruges, tout en se félicitant des résultats acquis et notamment de la mise en œuvre des instruments et outils identifiés en 2002, estimait qu’on était encore loin du compte. En raison notamment de la crise économique et financière de 2008, les performances en matière de formation des adultes et d’inclusion des 18-24 ans s’étaient même détériorées. Il convenait d’identifier une nouvelle vision pour l’EFP en 2020 en continuité avec le Communiqué de Bordeaux en prenant mieux en compte les changements des marchés du travail et en renforçant les priorités à l’éradication des sorties du système d’EFP sans qualification, à l’identification et au développement des compétences et notamment à celles liées aux secteurs émergents de l’économie, à la formation continue des adultes, et à la reconnaissance de la formation liée au travail (work-based learning) comme une modalité privilégiée de développer les compétences nécessaires et d’améliorer l’identité et l’estime de soi de ceux qui choisissent la voie professionnelle. Cette vision et ces objectifs étaient assortis de 22 « livrables » par chacun des pays d’ici 2014.

Parmi les livrables au plan national figuraient à titre d’exemples les engagements d’organiser des activités propres à promouvoir l’attractivité de l’EFP, de prendre des mesures pour mettre en application le système d’assurance qualité CERAQ (EQAVET), de s’assurer que les compétences clés figurent dans les contenus des programmes de formation, de faire en sorte avec les partenaires sociaux et les institutions d’EFP que la formation basée sur le travail, y compris l’apprentissage, soit renforcée, de veiller à ce que des dispositifs incitatifs soient mis en œuvre pour favoriser la participation des adultes en formation professionnelle continue, de développer un cadre national des certifications basé sur les acquis d’apprentissage, d’encourager les jeunes en formation professionnelle initiale à s’engager dans des projets de mobilité, ou encore de prendre des mesures propres à développer l’entrepreneuriat. Pour la première fois, des objectifs précis étaient ainsi donnés à chaque pays et le rendez-vous était pris pour en évaluer la réalisation en 2004.

En même temps, l’évaluation du programme E & F 2010 avait été faite et un programme E & F 2020 avait été bâti au sein duquel le processus de Copenhague était maintenant complètement intégré. Les benchmarks avaient été adaptés, mais celui concernant les NEETs était resté fixé à 10 % tandis que celui concernant les adultes en formation tout au long de la vie passait de 12,5 à 15 %. Un nouvel objectif fixait à 82 % le taux d’insertion des jeunes diplômés. Une importante novation était l’introduction à partir de 2012 d’une évaluation annuelle des avancées du programme E & F 2020 dans le cadre de l’évaluation des résultats des politiques économiques publiée dans le « Semestre européen ». Ainsi en 2015, les recommandations pour la France portaient sur la nécessité de mieux lutter contre les disparités régionales, ainsi que sur la détérioration des conditions d’accès au marché du travail pour les populations issues de l’immigration, et sur le besoin de développer l’apprentissage pour les bas niveaux de qualification. Plus généralement la Commission observait que les niveaux de littératie et de numératie des adultes peu qualifiés étaient parmi les plus faibles en Europe et nous appelait à lutter plus vivement contre le décrochage scolaire.

Enfin en 2015, les Conclusions de la réunion tenue à Riga confirmaient les objectifs formulés dans le Communiqué de Bruges tout en insistant notamment sur le renforcement du partenariat avec les parties prenantes et principalement les partenaires sociaux, sur des modalités de financement efficaces, et sur l’usage des instruments et des principes développés en commun. Elles resserraient la liste des livrables à cinq dits de moyen terme : (1) la promotion de la formation liée au travail et notamment de l’apprentissage, (2) le développement des mécanismes d’assurance qualité basés sur le CERAQ (EQAVET), (3) l’augmentation de l’accès à l’EFP et aux qualifications, (4) le renforcement des compétences clés dans les programmes et (5) la mise en œuvre d’approches systématiques visant la formation initiale et continue des enseignants/formateurs, y compris des tuteurs en entreprise. Peu après, en 2016, la Commission était à l’initiative du lancement d’une nouvelle stratégie pour les compétences (A new skills agenda for Europe) mettant en évidence le rôle premier de l’EFP et en particulier de la formation liée au travail. Et en 2017 elle formulait « une proposition de recommandation du Conseil relative à un cadre européen pour un apprentissage efficace et de qualité » visant à donner à ce dernier une priorité politique.

Des résultats considérables dans la plupart des pays : la « machine à convergence » est à l’œuvre

A l’issue de ce parcours, il apparaît qu’un effort considérable a été entrepris au sein de l’Union européenne en matière d’éducation et de formation professionnelle dans le cadre de la méthode ouverte de coordination pour faire converger les politiques des États membres vers des objectifs communs concernant l’achèvement du marché unique du point de vue des travailleurs et plus généralement la réussite de la stratégie de croissance inclusive. Il n’est pas certain que l’objectif de mobilité des travailleurs au sein du marché unique ait été atteint ; loin s’en faut et les récentes controverses sur la question des travailleurs détachés ont montré que les démarches entreprises pour assurer la transparence des qualifications et leur mise en correspondance n’étaient pas les seules et peut-être pas les plus importantes à engager pour assurer cette mobilité. En revanche les effets du processus de Copenhague sont patents sur les politiques nationales d’EFP, mais aussi sur les systèmes.

Comme on l’a vu plus haut dans les documents fondateurs de cette coopération renforcée, si convergence il y a, c’est d’abord au niveau des politiques. « Conformément à l’article 166 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (consolidé en 2009 avec le Traité de Lisbonne), l’Union met en œuvre une politique de formation professionnelle, qui appuie et complète les actions des États membres, tout en respectant pleinement la responsabilité des États membres pour le contenu et l’organisation de la formation professionnelle ». De fait les systèmes restent extrêmement différents ne serait-ce que dans les définitions qui leur sont données dans leurs pays respectifs comme l’ont bien montré les travaux du CEDEFOP publiés en 2018 (The changing nature and role of vocational education and training in Europe. Volume 1 : conceptions of VET : an analytical framework. Volume 2 : Results of a survey among European VET experts). Dans le respect du principe de subsidiarité, les concepts élaborés au niveau européen s’efforcent bien de respecter cette diversité et d’assurer une position de plus grand commun dénominateur. On le voit bien avec la définition large donnée à « la formation liée au travail » (work-based learning) qui traduit à la fois des apprentissages sur le poste de travail (on the job) des apprentissages dans des dispositifs de simulation et même des apprentissages hors de toute production réelle ou simulée, mais qui sont acquis à l’occasion de tâches qui relèvent précisément de la production. On le voit également avec les cadres nationaux de certification qui peuvent comporter autant de niveaux qu’ils le souhaitent à condition qu’ils soient mis en correspondance avec les 8 niveaux du cadre européen. On le voit avec l’instrument CERAQ qui ne fait qu’énoncer une démarche logique assortie d’un certain nombre d’indicateurs et qui peut s’accommoder de dispositifs variés.

Cependant, l’adoption d’instruments communs et de politiques conformes aux priorités énoncées dans les Communiqués ainsi que les échanges multiples développés dans le cadre de la MOC et en particulier les opérations d’apprentissage par les pairs (peer learning) ont produit des effets sur l’architecture des systèmes. Une étude publiée récemment par le CEDEFOP donne un éclairage sur les résultats acquis depuis 2010 (European cooperation in VET : one process, many stops. Developments in VET policy. CEDEFOP. 2018). Selon cette étude, le processus de Copenhague a agi comme un « catalyseur » de la modernisation des systèmes nationaux d’EFP ; ce faisant il a contribué à leur revalorisation. Parmi les 28 pays de l’Union, 23 avaient entrepris des réformes systémiques depuis 2010, notamment par l’introduction de nouvelles qualifications, de nouveaux programmes et/ou de nouvelles filières. Et depuis 2015, les 5 livrables de moyen terme identifiés dans les Conclusions de Riga ont donné lieu à des actions conséquentes et en premier lieu, le premier d’entre eux, la formation liée au travail (work-based learning). « Unité dans la diversité » note l’étude, il convient en effet de rappeler le grand écart entre des pays comme l’Allemagne ou le Danemark où cette modalité tient le premier rôle et où il s’agit de poursuivre son adaptation aux changements rapides du marché du travail, et un pays comme la Suède où l’apprentissage n’avait jamais été développé avant ces dernières années (voir « Suède : la longue marche vers l’apprentissage », Metis, décembre 2018).

Dans un document (The changing nature and role of vocational education and training in Europe. Volume 3 : the responsiveness of European VET systems to external change (1995-2015) / 2018) le CEDEFOP identifie les effets de convergence ou de divergence entre les systèmes. Parmi les premiers, il relève l’intérêt croissant accordé à l’EFP depuis 2010, l’élaboration de programmes au contenu plus large en même temps que la réduction du nombre de certifications, une autonomie croissante accordée aux institutions de formation, l’extension de l’EFP aux niveaux supérieurs de qualification, ainsi qu’une distinction de moins en moins nette entre formation professionnelle initiale et continue. En revanche il note des mouvements de décentralisation dans certains pays tandis que la gouvernance s’est plutôt « recentralisée » dans d’autres. On peut ajouter que des différences fondamentales se maintiennent en Europe pour l’apprentissage, avec des pays comme l’Allemagne et le Danemark où il s’agit d’un système en soi doté de certifications spécifiques, et des pays comme la France où l’apprentissage est une des modalités de formation permettant d’obtenir une certification donnée au même titre que la voie scolaire, la formation continue ou encore la VAE (voir « L’apprentissage en France : mission impossible ? » Metis, Octobre 2018). De même, la voie professionnelle continue d’être privilégiée dans des pays comme l’Allemagne tandis qu’elle reste un second choix dans la plupart des pays.

Pour la France, on voit bien à l’examen des réformes récentes de la formation professionnelle et en particulier de la dernière en 2018 (voir « Le big bang de la formation vu d’Europe » Metis, Avril 2018) combien les principales mesures sont pleinement en phase avec les orientations de la politique européenne : qu’il s’agisse de l’individualisation des parcours de formation, de la mise en place du Compte personnel de formation (CPF) en euros, du rôle accru des entreprises (au détriment des régions) pour le développement de l’apprentissage et de son ouverture à des adultes jusqu’à 30 ans, du développement d’initiatives concernant des apprentissages en situation de travail (AST), ou encore du renforcement des mesures d’assurance qualité au sein de l’Agence France Compétences.

Citant la Banque mondiale, dans un article intitulé « l’Union européenne, la plus formidable machine à convergence » (Metis, Avril 2019), Martin Richer analysait le phénomène en s’appuyant sur des indicateurs du domaine social (emploi, conditions de travail, conditions de vie et facteurs socio-économiques) rassemblés par l’agence Eurofound. Il semble qu’il en aille de même avec l’éducation et la formation professionnelle grâce à la coopération renforcée instituée par le processus de Copenhague et appuyée sur une méthode ouverte de coordination puissante et dynamique où s’est forgé un véritable apprentissage politique (policy learning).

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.