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Comme toujours Jean-Louis DAYAN est à la fois bien informé, avec une culture et une réflexion sur l’emploi comme on en rencontre peu et son texte, « Assurance chômage : ajustement économique ou nouveaux droits sociaux ?  » (Metis, 09/07/19), est un bel apport sur la réforme de l’indemnisation du chômage qui donne lieu à de nombreux commentaires très convenus, voire très sommaires. A le lire, me sont venues quelques remarques qui relèvent de l’historique factuel ou du complément.

Sur l’affaiblissement du paritarisme

Il est clair que le paritarisme se trouve très fortement affaibli par la définition directe par le gouvernement d’une réforme de fond qui va à l’encontre des souhaits — des volontés — à la fois du patronat et des centrales. Le précédent de 1982 était d’une tout autre nature. Le déficit se creusait avec déjà des débats enflammés sur des charges indues, les partenaires avaient eu des discussions interminables sans pouvoir s’accorder sur un objet conflictuel : la réduction des droits pour réaliser des économies. Il faut se rappeler que c’était l’époque où les licenciés pour cause économique étaient indemnisés à 90 % de leur salaire pendant un an, Jacques Chirac et Valery Giscard d’Estaing ayant pensé en 1974 que c’était le prix à payer pour que les restructurations post-premier choc pétrolier se fassent dans une relative paix civile et cela avait effectivement fonctionné en y ajoutant les préretraites du Fond national pour l’emploi où l’âge d’admission ne cessait d’être abaissé. Pierre Bérégovoy et son cabinet se sont alors mis d’accord avec les principaux partenaires à la suite de multiples rencontres discrètes pour prendre la main, publier la réforme et rendre la main pour la gestion. Ce fut la première réduction de droits acquis, d’autant plus symbolique qu’elle intervenait très près de l’élection de François Mitterrand et l’espérance de progrès de la protection sociale (voir dans le n° spécial de Droit social de 1983 consacré à cette réforme un article anonyme qui situait les conséquences sur la morphologie du chômage et sur le marché du travail de cette réforme). Tout ceci a relevé d’une chorégraphie délicate, permise d’une part par la confiance renouvelée des syndicats à l’égard d’un gouvernement de gauche et par la confiance nouvelle du patronat envers Pierre Bérégovoy et son cabinet.

En dehors de ces deux épisodes de 1982 et d’aujourd’hui, le paritarisme a été largement affaibli par la fusion de l’ANPE et des Assedic. Le grand rêve d’une Arbeitsagentur à la française qui avait porté les réformateurs s’est d’abord écorné sur la crise de l’AFPA, mais il s’est surtout fracassé sur ce qui reste d’une culture de l’ex-ANPE au moins autant portée sur le travail social que sur la recherche active du reclassement pimentée d’une large dose de bureaucratie que la digitalisation n’a pas allégée. Certes les apparences restaient sauves, mais devenue le financeur de Pôle Emploi à raison de 10 % de ses recettes au prétexte de « l’accompagnement des chômeurs » censé activer leur sortie du chômage et donc de l’indemnisation, l’UNEDIC a perdu de son autonomie à due concurrence sans que personne n’ose relancer avec la virulence qui eut convenu le débat sur les charges indues qui, très au-delà des batailles de décimales entre experts, est une réalité ancienne, mais de plus en plus douloureuse. Et sur ce point très précis, la réforme ne prend pas de gants puisque cette ponction sera portée à 11 %. La volonté de puissance de Pôle Emploi ne trouve là qu’un de ces champs d’application puisque sa prochaine cible vise les CapEmploi qu’il veut absorber, mettant ainsi la main sur les financements de l’AGEFIPH, le véritable objectif, sans la moindre considération pour l’efficacité de l’action de placement des travailleurs handicapés qui, avec l’échec patent des « équipes de préparation et de suite du reclassement professionnel » créées par la loi de 1975, reste la marque d’une des impuissances majeures du service public de l’emploi.

Sur le recul des droits des précaires

Il est incontestable et d’une grande portée. Il est hors de doute que le patronat, ou plutôt un certain patronat pour certaines activités, joue à fond des facilités que lui donne le système de l’activité réduite et des droits rechargeables pour flexibiliser au maximum sa consommation de main d’œuvre. En face les précaires, en particulier les jeunes, ont parfaitement intégré cette donne, notamment par l’utilisation de l’intérim. Entre activité réduite avec moins de 78 heures dans le mois ou avec plus de 78 heures dans le mois il peut y avoir un deal employeurs/employés plus ou moins explicite, mais en tout cas diffus dans la conscience collective. On sait quelle est la difficulté des titulaires de CDD récurrents pour prendre de vraies vacances. Mais une saine utilisation du CDD pendant lequel on reste inscrit à Pôle Emploi en catégorie B ou C grâce à quoi on réintègre l’indemnisation sans temps mort peut être une manière efficace de prendre des congés de durée limitée. Il faut avoir présent à l’esprit qu’à la fin de chaque CDD il y a paiement de la prime de précarité, mais aussi des droits à congés acquis au cours de ce contrat. Peut-on parler de libre choix ? Sans doute pas. Mais entre hôtellerie-restauration ou grande distribution, nombre de jeunes expriment leur satisfaction d’échapper à l’emprise du patron stable, des collègues de travail stables, du lieu de travail stable et des routines dans lesquelles il est si vite fait de s’installer jusqu’à l’ankylose (je renvoie à l’article que j’ai publié dans Metis en 2015 : Nouveaux désirs de travail ou résignation à l’inéluctable ?). Ce que Jean-Louis Dayan appelle un « écosystème » récemment développé. Reste qu’à côté d’une précarité assumée, il y a une immense précarité subie et que le durcissement des règles de durée d’emploi et donc de droits rechargeables — une des réformes les plus porteuses de progrès pour les précaires — va frapper très directement le pouvoir d’achat de cette catégorie de salariés. Et, dans le même temps, le régime des intermittents du spectacle — faut-il rappeler à quel point il pèse depuis des décennies sur les charges de l’UNEDIC ? – reste intouchable : le risque politique est ici soigneusement soupesé et le Nouveau Monde fait preuve de la même prudence pour préserver les festivals d’été que l’ancien.

Sur le bonus-malus

Son introduction est timide, certes. Mais il est introduit. Là aussi cela fait des années qu’il est en question. Le cabinet de Pierre Bérégovoy en 1982 y avait réfléchi et y avait renoncé tant était forte la résistance patronale qui ne s’est pas affaiblie depuis. L’important est de l’introduire et sauf à imaginer une improbable alternance encore plus pro-business que la majorité actuelle il est destiné à croître progressivement, ne serait-ce que par la démonstration que les taux actuels ne seront pas dissuasifs. Mais on ne s’étonnera pas que ce gouvernement choisisse un durcissement autrement plus accentué pour les droits des individus que pour les pénalités des employeurs.

Sur les cadres

Il y a peu à craindre que les cadres viennent renforcer massivement à la rentrée les Gilets Jaunes. Voilà bien la seule explication à la réforme qui les frappe, sauf à se souvenir qu’il y a à Pôle Emploi une très vieille et très enracinée hostilité aux montants d’indemnisation que perçoivent les cadres supérieurs, indemnités plus élevées que les salaires des conseillers qui les accompagnent, hostilité qui a imprégné l’encadrement supérieur de Pôle Emploi largement issu de la promotion interne et une bonne part de la délégation à l’emploi. Quiconque a fréquenté l’agence de Nanterre a pu l’observer. Aberrante en termes politiques puisqu’elle frappe le noyau dur des électeurs Macron, cette restriction drastique est de surcroît aberrante aussi bien au regard des comptes de l’Unedic que du fonctionnement des reclassements des cadres licenciés. Tout a été dit sur la faible consommation des dépenses de l’Unedic dans l’indemnisation de cette population et sur le surplus de recettes qu’elle y accumule. S’il faut à tout prix faire des économies, le principal gisement potentiel ne se trouve pas là.

Mais surtout il faut voir comment se passe un reclassement de cadre. Même s’il dispose des services d’un cabinet d’out-placement, loin du cas général, il lui faut d’abord préciser son projet professionnel que dans la plupart des cas il voit d’abord comme un prolongement en droite ligne de son expérience antérieure. Contrôleur de gestion dans l’automobile, il lui faudra un moment pour concevoir qu’il pourrait postuler à un poste de contrôleur de gestion dans les assurances, voire à un poste de responsable administratif et financier d’une PME. Quand il aura posé sa candidature à plusieurs reprises et reçu enfin une proposition de premier entretien, le rendez-vous sera rarement immédiat. Si celui-ci se déroule bien, il sera suivi d’un deuxième, souvent d’un troisième avant qu’une décision d’embauche lui soit signifiée. Entre chacun de ces rendez-vous, s’écouleront les délais qu’imposent les agendas chargés et la concertation entre les différents interlocuteurs de l’entreprise recrutante. Sans parler des révisions budgétaires de l’entreprise qui annuleront toute perspective d’embauche. Une durée de six mois est un strict minimum observable sauf si le cadre a pu préparer sa mobilité alors qu’il se trouvait encore en poste. S’il se trouve dans un bassin d’emploi suractif comme la région parisienne, sa sortie du chômage peut être rapide. Mais dans un bassin d’emploi somnolent ? Et il s’y heurtera alors au risque de devoir envisager une mutation géographique avec toutes les difficultés familiales, mais aussi toutes les difficultés immobilières pointées depuis longtemps et qui ne font que s’aggraver faute d’une politique publique consistante d’aide à la mobilité géographique.

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Universitaire spécialisé en finances publiques (et en histoire des idées politiques), je suis appelé au ministère du Travail en 1974 pour y créer un département d’études permettant d’adapter le budget à l’explosion du chômage. Très vite oubliées les joies subtiles du droit budgétaire et du droit fiscal, ma vie professionnelle se concentre sur les multiples volets des politiques d’emploi et de soutien aux chômeurs. Etudes micro et macro économiques, enquêtes de terrain, adaptation des directions départementales du travail à leurs nouvelles tâches deviennent l’ordinaire de ma vie professionnelle. En parallèle une vie militante au sein d’un PS renaissant à la fois en section et dans les multiples groupes de travail sur les sujets sociaux. Je deviens en 1981 conseiller social de Lionel Jospin et j’entre en 1982 à l’Industrie au cabinet de Laurent Fabius puis d’Edith Cresson pour m’occuper de restructurations, en 1985 retour comme directeur-adjoint du cabinet de Michel Delebarre. 1986, les électeurs donnent un congé provisoire aux gouvernants socialistes et je change de monde : DRH dans le groupe Thomson, un des disparus de la désindustrialisation française mais aussi un de ses magnifiques survivants avec Thales, puis Pdg d’une société de conseil et de formation et enfin consultant indépendant. Entre-temps un retour à la vie administrative comme conseiller social à Matignon avec Edith Cresson. En parallèle de la vie professionnelle, depuis 1980, une activité associative centrée sur l’emploi des travailleurs handicapés qui devient ma vie quotidienne à ma retraite avec la direction effective d’une entreprise adaptée que j’ai créée en 1992.