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Victor Castellani, toujours confiné dans son Panier Marseillais, voit dans ce rude hiver, peut-être poindre un début d’été et enfin des raisons d’espérer.

Marseille confinement

Des raisons de pleurer, des raisons d’espérer

Des notes sombres, des idées noires. Plus beaucoup de raisons d’y croire. Des jours entiers, je m’étais enfermé. Me forçant à travailler, ou du moins faire semblant, pour oublier. Cuisinant, mangeant, sans envie malgré les bons petits plats d’Abdenbi. Rester au chaud, rester au lit. Mon moral faisait le yoyo, des bas et peu de hauts. Je vous avais promis pourtant des paroles moins ronchonnes, des choses plus folichonnes. Je rêvais de matins moins chagrins, de lendemains avec entrain. J’ai cru que cela ne viendrait pas et qu’avec vous j’allais en rester là. Et puis, soudain la lumière a jailli, le sursaut s’est produit. Fin de cette pluie froide et incessante, pénétrante, insistante ? Retour d’une météo, de températures plus clémentes ? Annonce de vaccins, d’une fin de pandémie qui n’avait pas de fin ? Tout a fini par remonter. Mon cœur aussi s’est allégé et s’est remis à gazouiller.

Il a pourtant encore des raisons de pleurer. Anne Sylvestre nous a quittés. Je l’avais un peu oubliée, mais dès la nouvelle, sa voix, ses textes en moi ont résonné. Ses notes n’étaient pas forcément des plus variées, mais chacune de ses paroles était pesée, pensée, ciselée. Mélange d’humour, de portraits, de faits de société. Des mots forts, mais qui jamais n’assomment, pour les grands comme pour les petits bonshommes. Je l’ai redécouverte, revue, réécoutée. Voici pour vous, pour moi, une de ses jolies ballades qui parle de balades.

Je pense à la mère de Patrice, de Didier, je pense à d’autres, proches ou lointaines qui se sont en allées. À Françoise en particulier, mère d’un ami pianiste. Présence lumineuse, regard, mots, gestes d’une grande beauté, elle était à la fois peintre et femme très engagée. Rarement pourtant nous nous étions croisés. Et à chaque fois un choc de poésie, de sensibilité. Il y a fort longtemps elle avait autorisé son fils à me prêter son logement. Je pris le train pour une ville inconnue. Tout près du port, le bâtiment qui n’avait à mes yeux rien d’impressionnant. Cependant, une fois entré, il en allait tout autrement. Mélange d’espace, de liberté, de fluidité. Une sorte de générosité qui favorisait tout à la fois l’ombre et la lumière, l’activité et la tranquillité. Un havre de douceur qui presque magiquement vous préservait de la chaleur. Une fenêtre donnait sur de l’eau, un quai et des bateaux. D’une autre se dessinaient de nombreux toits, un horizon de tuiles, des ocres, des monts, des pierres, plus de gris que de vert. À chaque journée, une aventure, une exploration, une déambulation. Parfois aussi quelques excursions vers des plages lointaines, des endroits polissons. La ville était pleine d’imprévus. Aucun urbaniste connu. Entre deux belles avenues surgissaient des passages mal fichus, des rues un peu tordues. On trouvait aussi des maisons vermoulues en face d’immeubles très m’as-tu-vu. Tout cela avait-il été voulu ? La ville tout entière semblait pourtant ainsi conçue. J’avais l’habitude d’une Europe plutôt organisée, de villes qui prenaient soin d’elles-mêmes, de leur patrimoine, de leur modernité. Au point parfois de devenir musées. Je découvrais un autre monde. D’autres mœurs, d’autres odeurs, d’autres voix. Une autre vue, une autre vie. Au bout d’une semaine, j’étais conquis. Un soir surgirent quelques lueurs dans les hauteurs. Jour après jour, l’horizon devenait plus rougeoyant, quasi sanguinolent. Le feu enveloppait la ville, se resserrait. Au balcon, je me faisais Néron. Inquiet, mais fasciné, limite hypnotisé. C’est ainsi que je la découvris. Marseille, ses rues, ses gens, ses cris, ses incendies. Françoise, si tu m’entends, je te dis mille et un mercis.

Un jardin, un campus citoyen

Une fois parti, la ville est curieusement tombée dans un certain oubli. Il y eut certes des voyages professionnels, St Charles, des réunions, des chambres d’hôtel. Mais aucun ne ressemblait à cette première fois. Le charme ne fonctionnait plus. Un jour pourtant, il y a de cela 4 ans, une invitation, une conférence. Le pas, le mot étaient hésitants, j’étais encore convalescent. Muriel m’hébergeait dans son appartement. En promenant dans son quartier je suis tombé sur une sorte d’entrée. Une fontaine, des statues, de larges escaliers, je me suis engouffré. Au bout, des pelouses, des allées, des poussettes, des bébés, des jeunes qui venaient piqueniquer et, comme moi, des touristes égarés. Il y avait là, coincé entre montées et cyprès, un charme très discret, celui de la colline Puget. Chaque jour je m’y installais muni d’une tablette où je notais ce qui me venait à la tête. J’avais voulu écrire, dire ce que j’avais traversé. Le très dur et le très beau. Les balles et l’hôpital, souffrance et résilience, Laura, Cécile, Dominique et Sylvie, famille et amis. Que de pages noircies. Mais ça n’a pas suffi. Une amie un jour m’a dit : « après le Lambeau, tu dois laisser tomber ». Ça m’a découragé. Tentative avortée.

Mais revenons au jardin. Car c’est là que se joua mon destin. De ce promontoire, de cet observatoire, j’apercevais les forts et le Vieux-Port, le Panier, la Major. Plus loin encore, la Méditerranée, ses voiles et ses rochers, ses paquebots, les scintillements des vagues et les éclats de l’eau. Et soudainement ce fut un éclair, une révélation : là était l’endroit que je cherchais depuis quelques années, l’endroit où j’irais me poser. Je rentrai plein d’excitation. Muriel fit tout pour me dissuader. Marseille n’est pas ce que tu crois, Marseille n’est pas ce que tu vois. Tu la vois fascinante, elle est aussi très irritante. Elle avait ses raisons, j’avais mon intuition. Je revins quelques mois après, pour une ultime confirmation. Puis vint la décision. Adieu Paris, salut Phocée, tremplin et lieu d’une nouvelle vie.

C’est ici que je bosse, que je me fais des amis. Ici aussi que m’est venue l’idée, la force de m’engager dans ce fameux campus de la citoyenneté. Car ça y est, nous avons démarré enfin nos deux premières activités. La première propose des débats, des échanges, des formations, des actions pour les jeunes des quartiers de France, d’Italie, de Belgique, Pologne et Roumanie. Découvrir en s’exprimant, discutant, jouant et agissant ce qu’est la citoyenneté, ce que peuvent signifier bien commun et prise de responsabilité. Pour nous aider, il y a désormais Théo, l’audace, la naïveté, l’énergie de ses 20 ans. Il devait partir en Corée ; las, la pandémie s’en est mêlée. Notre mission de service civique l’a attiré. Et depuis il découvre, s’éclate, découvre un autre monde. Une aventure que nous lui souhaitons féconde. Pas de celles qui font la une à la télévision, que pointe du doigt Cash investigation.

Notre seconde activité est dirigée vers celles et ceux se sont désocialisés, qui peu ou prou ont de tout décroché. Les « ni-ni » chers à une certaine technocratie. Ni emploi, ni travail, ni formation. Nos partenaires se sont organisés pour aller les rencontrer, faire le tour des cités, appartements, cours et escaliers. Les accompagner dans toute leur diversité, toute leur dignité. Construire un projet, dénicher un boulot, découvrir du nouveau et si possible du beau. Leur proposer le meilleur, sans autre condition que leur motivation. Le Campus leur proposera quant à lui de s’initier à l’action citoyenne, de la découvrir, d’y participer et s’il le faut de l’inventer. Notre pari c’est que ces fameuses compétences dites douces ou encore sociales aujourd’hui si prisées leur permettent non seulement de travailler, de s’insérer, mais de s’émanciper. Mégane, 23 ans, s’est montrée très intéressée par ce boulot très particulier. À mi-temps, elle vient de commencer. Et à ses premiers pas, je crois ne pas m’être trompé.

Santons, traditions et autres infractions

Ambiance de Noël. Ce samedi le Vieux Port se divise entre deux traditions, celle de la foire aux santons, celle encore plus vive de la rébellion et de la manifestation. La première se tient non loin de l’Ombrière quand la seconde remonte la Canebière. Mélange de slogans et de sonorités, les uns pour acheter, les autres pour dénoncer ; ce jour-là, Jingle Bells ne fait pas le poids face à Commandante Che Guevara ! Plus loin les rythmes changent et se font plus africains. Danseurs et acrobates, on applaudit et on sourit. Le soleil est de la partie. Tout à côté, c’est un autre univers. Filtré, grillagé, surveillé. Le marché de Noël a le culot de se prétendre ici traditionnel. Désolé, mesdames, messieurs, cette tradition est née sous d’autres cieux. Elle tient de la saucisse bien plus que des panisses. Prononcez Christkindelsmärik, vous aurez l’origine de sa fabrique ! L’alsacien vous paraît compliqué, l’allemand difficile et barbant ? Je vous ai trouvé un cours à la fois gratuit et marrant !

Je préfère continuer, fureter côté santons et calissons, là où, oui, il y a une tradition. Les stands y sont artisanaux, made in Prouvènço ! L’âne, le bœuf et le petit Jésus, des étables et des mas, bergers, mages et soldats, les figurines mélangent allègrement Occident et Orient, la France et la Provence, le païen, le chrétien. Certaines n’ont que faire de la tradition et recèlent un zeste d’imagination. Il y a même un santon représentant Macron !

En remontant à la maison, je vois une tente avec cette inscription : « Test Covid, 7 j/7, 8 h – 20 h ». Je m’y rends et l’on me prend immédiatement. Deux tiges pour me sonder le nez. Désagréable, mais pas de quoi crier. J’avais, il faut le dire, une bonne raison de me faire tester. Certes, je ne suis pas allé à cette fête démente, célèbre dans tout le pays, visée par la gendarmerie. Mais dimanche dernier, je me suis laissé entraîner dans un spectacle clandé. Un bel appartement, une terrasse dominant Marseille, un conteur africain. Je pensais naïvement que l’auditoire serait restreint. Or, petit à petit le salon se remplit. En peu de temps, nous sommes déjà bien plus de 20 ! Serrés et entassés, que des gens bien éduqués, des instits, des artistes, des kinés, des retraités. Aucun d’entre eux, pas plus d’ailleurs que le maître des lieux, n’est masqué. Je m’en étonne et pour tout dire n’ai qu’une envie, celle de me casser ! Une kiné me lance : « ceux qui viennent ici prennent un risque calculé ». Je reste bouche bée, je suis outré. Bonjour les professions de santé. Bonjour aussi à la schizophrénie. Est-ce bien cela qu’ils disent aux clients, aux patients, aux enfants ? Je me mets un peu à l’écart, je suis là, mais je fais bande à part. Le griot se lance enfin. Un long prologue, un lion, un singe, un oiseau, des contes venus de loin. Entre deux envolés, parfois une douce mélopée. Malheureusement gâchées par des remarques futiles et déplacées : en voulant nous flatter, son talent s’est brisé. Dès la fin, mes amis et moi nous sommes carapatés. Ni rencontres ni goûter. Et à vrai dire, pas très fiers de nos exploits en mode clandé.

Moments de nostalgie. Interdits dont je n’aurai pas joui. Ce n’est pas tout à fait ce que je vous avais promis. Mais c’est ainsi. De politique, de planète, je n’aurai guère parlé. J’y reviendrai sûrement à la nouvelle année. Pour les fêtes je rejoindrai Strasbourg, ma mère et certains de mes frères. Passerai ensuite à Paris, retrouver l’être chéri. « Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été ». Une belle phase de Camus pour des êtres qui comme moi se sont parfois un peu perdus. Pour terminer cette année si folle et si étrange, un doigt d’Italie qui chante la vie. Et un autre de Russie, qui tout en humour, la danse aussi.

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