Aurora esquisse un sourire : « au moins, ce matin, il ne pleut pas ». La routine peut commencer. Pousser un chariot, scanner un article, le poser, scanner le code-barres du chariot pour enregistrer l’opération. Un bip minuscule, répété, obsédant, indique chaque fois que l’espèce de pistolet utilisé a bien lu le code-barres. Et puis recommencer. Les allées et les heures semblent interminables, « longues comme un jour sans pain » ai-je envie d’écrire, me souvenant de l’expression populaire.
Le beau et sensible film Enzo ne respecte pas les normes habituelles. Il y a d’abord cette double signature, « un film de Laurent Cantet, réalisé par Robin Campillo ». Elle raconte une histoire d’amitié et de complémentarité. Laurent Cantet, atteint d’un cancer, décède quelques semaines avant le début programmé du tournage du film qu’il a écrit avec la collaboration de Robin Campillo. Il le charge de le réaliser. Un film à quatre mains est-on tenté de dire.
Une vraie bonne surprise. Le film Harvest de la réalisatrice grecque Athina Rachel Tsangari ne ressemble à aucun autre et c’est un bonheur. D’un côté, il y a la beauté des paysages écossais, celle des personnages dans leurs sobres vêtements informes, de l’autre des situations et une histoire humaine, politique, sociale, poétique. Le fond de l’affaire, c’est ce qui est connu sous le nom de « mouvement des enclosures » qui signifie la fin des droits d’usage des terres communales au profit d’un usage exclusif de parcelles agricoles séparées par des clôtures. Beaucoup, dont Karl Marx, y voient un des points de départ du capitalisme et la sortie progressive du moyen-âge.
Il y a 25 ans, le Festival de Cannes attribuait sa Palme d’Or à Rosetta, le film de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Emilie Dequenne, pour la première fois à l’écran, était récompensée par le prestigieux Prix d’interprétation féminine. Sa présence à l’écran, la façon dont elle est filmée, caméra à l’épaule, très proche, aussi mobile que Rosetta sans cesse en mouvement, comptent certainement beaucoup dans cette décision du jury présidé par David Cronenberg. Comme spectateur, nous n’avons pas d’échappatoire. Nous partageons le combat de cette jeune femme pour travailler, avoir un emploi, « un vrai, avec un contrat » et « ne pas tomber dans le trou » comme sa mère et tant d’autres autour d’elle. Emilie Dequenne est décédée à 43 ans, atteinte d’un cancer. Une raison supplémentaire de revoir le film.
Que sait-on de la vie des réfugiés, migrants, demandeurs d’asile, menacés d’une obligation de quitter le territoire français ? Le visage de celui que l’on croise sur son vélo, sans vraiment le voir, quelques chiffres contradictoires suffisants pour nourrir en continu des discours idéologiques virulents, le récit d’un fait divers, tragique le plus souvent, la rengaine de la loi à venir qui promet de « régler » le problème et les protestations à peine audibles de ceux qui les côtoient, les soignent, les hébergent. Ceux qui les emploient se font, eux, discrets.
Les graines du figuier sauvage, de Mohammad Rasoulof, a été tourné clandestinement en Iran pendant les manifestations qui ont suivi la mort de Masha Amini. Après le tournage, le cinéaste s’est enfui d’Iran, ainsi que les actrices. Le film nous parle de l’Iran, de cette révolte contre le régime et sa sanguinaire police des mœurs. Il relaie le cri lancé pour être entendu dans le monde entier « Femmes, Vie, Liberté ». Il nous parle aussi du travail.
Pendant le temps de l’épidémie de Covid, nous avons célébré les « métiers essentiels ». Infirmière en faisait partie. Nous les avons applaudies, mais nous risquons d’oublier que leur engagement est permanent et qu’il n’a pas cessé avec la pandémie. Le documentariste Sébastien Lifshitz a réalisé Madame Hofmann avec Sylvie Hofmann, cadre infirmière depuis 40 ans à l’hôpital nord de Marseille. Le film est sorti en salle ce printemps. Yves Baunay, syndicaliste, membre de l’Institut de recherche de la FSU, l’a vu. Il l’analyse pour Metis.
La promotion de la diversité est un objectif constant dans la plupart des entreprises et organisations. À la volonté de lutter contre l’injustice que constituent les discriminations s’ajoute le souci de favoriser la créativité grâce à des idées venues d’autres univers et au fait de penser latéralement, outside the box. L’objectif et la méthode restent néanmoins fixés par le « groupe majoritaire » — je n’ose pas écrire dominant — volontaire pour inclure les différences dans un ensemble plus vaste et unique. Deux films à l’affiche adoptent un autre point de vue. Celui justement de ces personnes « différentes » et minoritaires.
Julien existe. Il est ce professeur de français nommé en début de carrière dans un collège de banlieue parisienne. Il a une haute idée de son métier. Il se voit comme « le prof dont on se souvient parce qu’il a été celui qui a changé ma vie ». Il aimerait mieux connaître ses élèves, cherche la complicité, les sollicite, récompense les meilleurs. Jusqu’au moment où il évoque la nouvelle coiffure de Leslie pour expliquer ce qu’est un compliment. Le tout afin de débattre du poème le plus célèbre de Pierre de Ronsard et du sens du mot séduction. Leslie, élève renfermée, mal dans sa peau, ne réagit pas dans le brouhaha que la remarque suscite. À froid, elle rédige une lettre adressée au Conseiller Principal d’éducation (CPE) dénonçant une tentative de séduction de la part de Julien.
Physiquement et nerveusement épuisé par un tournage continuellement au bord du désastre, Simon, réalisateur et scénariste expérimenté, déclare que c’est son dernier film. Maintenant, il va prendre soin de lui et de sa famille. Marquez, son producteur exécutif, expert en acrobaties financières et bluffs en tout genre, ne le croit pas : « Le cinéma est une drogue dure », lui rappelle-t-il. Il aurait pu ajouter qu’au cinéma, contrairement à la vie réelle, il y a toujours la possibilité d’imaginer une fin heureuse, une happy end, un fougueux baiser.
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