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Je connais Marie depuis sa naissance. C’est une jeune fille de 21 ans, pleine de vie et de dynamisme. Voici ce qu’elle me rapporte des premiers pas qu’elle vient d’effectuer dans une entreprise où elle effectue son stage de fin de Master 1.

Parcours

Bac ES en poche, Marie ne sait pas trop quoi faire. Elle aime bien l’anglais, mais ne veut pas devenir prof. Elle choisit de faire une double licence économie-finance et anglais à la faculté de Cergy — avec un semestre en Erasmus à la Universita di Bologna — au terme de laquelle elle ne sait toujours pas trop ce qu’elle veut. Elle opte alors pour un double diplôme dépendant de la faculté catholique de Lille et de la Hope University de Liverpool en marketing et management international.

Recherche de stage

En décembre dernier, alors qu’elle est en cours à Liverpool, elle se met à la recherche d’un stage. « J’ai galéré, et pourtant, c’était avant le Covid ! » Difficile de trouver un stage dans le marketing quand on vient de la finance (même punition que celle qu’on réserve à quelqu’un qui veut changer de voie après 10 ans d’expérience dans un premier métier). Marie cherche sur internet, écume les sites d’annonces, les plateformes qui proposent des stages, y compris des plateformes commerciales et les sites d’entreprises pour postuler directement. Finalement, elle trouve une offre qui l’intéresse sur la plateforme iquesta. « Je la trouvais cheap, mais en fait c’était une vraie plateforme avec des vraies offres. » Elle postule, on lui propose un entretien dans les locaux d’une entreprise située dans le sud de Paris. « J’ai proposé de le faire via Skype parce que j’étais à Liverpool, mais n’ai pas eu de réponse. Le stage devait démarrer début avril. J’ai commencé à chercher autre chose, rédigé un post que j’ai demandé à plein de personnes, dont mes parents, de partager sur leur réseau Linkedin. » Finalement l’entreprise repérée initialement la recontacte avant de rentrer dans une nouvelle période de silence. Marie s’est acharnée « j’ai dû rappeler l’assistante 5 fois dans la même journée pour finalement décrocher un RV téléphonique début mars. S’ils avaient voulu tester ma persévérance, ils ne s’y seraient pas pris autrement ! » Elle était censée rentrer de Liverpool fin mars et avait conclu avec l’entreprise de commencer son stage début avril. Son retour de Grande-Bretagne est avancé en raison du confinement, l’université annonce ne plus signer aucune convention de stage hormis les stages en télétravail. Marie obtient de l’entreprise de reporter le stage à la fin du confinement.

Confinement

Marie est confinée chez ses parents avec une amie italienne dans l’impossibilité de rentrer en Lombardie. Elle rédige quatre mémoires (Essays) demandés par l’université de Liverpool pour valider le semestre.

Annonce du déconfinement

L’université recommence à signer les conventions de stages.

Déconfinement

Le 12 mai, Marie prend RER et métro pour rejoindre les locaux de l’entreprise. « Il n’y avait personne dans les transports en commun. »

Début du stage

Son stage se passe dans une agence de publicité du secteur du cinéma et des clips vidéo. « On lit les projets, on cherche des sponsors qui pourraient être intéressés par les sujets. On se réfère alors à un fichier pour sélectionner des entreprises à qui il s’agit de faire une proposition financière. A chaque entreprise sélectionnée, on envoie un email avec une présentation du film. Puis on rappelle. Puis on re-rappelle…. Et on note les refus ou les témoignages d’intérêt. »

L’agence compte 14 personnes, le dirigeant, son associée, 4 chefs de projet et 8 stagiaires. Ca fait une grosse proportion de stagiaires. « Il y a beaucoup de turnover, les horaires sont un peu nuls, 9 h-19 h, en tant que stagiaire cela m’est égal, mais je comprends pourquoi les gens n’y restent pas. » Les locaux occupent le rez-de-chaussée et le premier étage d’une maison particulière. Deux open spaces de 6 personnes à chaque étage et le bureau du chef au premier. Au début, les stagiaires venaient tous les jours, le reste de l’équipe un jour sur deux dans l’entreprise, l’autre en télétravail. Depuis le 1er juillet, tout le monde est là tous les jours. 

Regard sur l’activité

« Il n’y a pas de logiciel pour les emailings. Tout se fait sur papier. Une marque contactée, c’est une feuille de papier sur laquelle on écrit le nom de la marque, la date de la prise de contact, la date du refus et qui va à la poubelle ! 

Nous n’avons pas de marge de manœuvre. Ça marche comme ça, pas la peine de changer ! On a un email type, on remplit — manuellement — le nom de l’entreprise et on remplace “madame” par “monsieur” ou l’inverse. Il y a une base de données centrale vieillotte, pour trouver un contact, tu dois tout écrire et si tu oublies un tiret, tu n’as pas de résultat !

Les documents marketing qu’on envoie sont des fichiers Word ou PowerPoint enregistrés en PDF. Trop moches ! J’ai l’impression de faire un exposé en 6e. On présente des blockbusters américains sur des Word ! Pour préparer un emailing, il faut un jour entier : fabriquer les documents, copier-coller les logos, chercher les contacts, personnaliser chaque email. C’est trop bizarre ! »

Le dirigeant

« Le patron est un peu ancienne école. Il est sans arrêt dans le marchandage, par exemple, les salariés — pas les stagiaires — ont droit à un jour de télétravail au choix, sauf le lundi ou le vendredi ! Il a peur qu’ils en profitent pour prolonger leurs week-ends.

Il ne manage pas bien ses équipes. A une nouvelle qui est là depuis septembre, il demande de lire tous ses emails. Il la compare aux autres qui sont meilleurs qu’elle et lui fait subir une pression qu’elle ne devrait pas être obligée de subir.

Il aimerait qu’on soit concentrés toute la journée. Nous sommes 3 stagiaires dans le même open space, il nous a convoquées une par une et nous a dit devant tout le monde qu’on n’était pas là pour rigoler ! Il nous considère comme des branlos ! J’ai l’impression d’être au collège. La semaine qui a suivi, on n’était vraiment pas à l’aise. On se parlait en chuchotant, il n’y avait aucun bruit dans l’open space, comme si on était chacune dans son bureau individuel. »

Marie, comme beaucoup de sa génération, a du mal à passer des coups de téléphone. « Quand je suis arrivée, on m’a un peu expliqué les arguments, mais pas beaucoup. J’aurais aimé avoir un peu plus de formation, moi qui ai les mains moites quand je dois prendre un RV au téléphone. Ce qu’on nous a dit c’est juste “allez, il faut s’y mettre ! On est tous passés par là !” c’est difficile de passer des coups de fil surtout quand 5 personnes t’écoutent. »

Relations humaines

« Quand la nouvelle chef de projet a dit qu’elle voulait prendre des vacances, une de ses collègues lui a conseillé d’en parler quand elle aura décroché un contrat, comme ça le boss sera de bonne humeur. J’ai trouvé ça bizarre ! Une autre fois, alors que cette “moins bonne” était en télétravail, j’ai entendu une de ses collègues la critiquer et se vanter d’avoir eu ses 3 semaines de vacances en août. Et le lendemain, tout le monde se fait des sourires.

Sur les 4 chefs de projet, il y en a un — le seul homme — qui travaille sur les produits dérivés (affiches et publicité). Il est passionné par son boulot, mais il a démissionné parce qu’il est surchargé de travail depuis le départ non remplacé d’un collègue.

L’entreprise et le travail, ça fait rêver ! Les projets sont intéressants, on est dans le milieu du cinéma. Si tu signes un deal, tu peux aller sur le tournage. C’est chouette ! Mais la manière dont c’est mis en forme dans l’entreprise, c’est décevant. Les chefs de projet sont tous très jeunes, entre 25 et 30 ans, ils ne restent pas longtemps. Le dirigeant enchaîne des stagiaires, il devrait recruter des personnes plus expérimentées. »

Et le travail ?

  • J’aime aller travailler et n’avoir rien à faire le soir en rentrant, cela change des études.
  • Je n’aime pas le côté répétitif du travail, qui existe même pour les employés. C’est un peu toujours la même chose, mais, je suis stagiaire, je ne vais pas faire la révolution.
  • Je n’aime pas être vissée devant un ordi pendant 9 heures d’affilé.
  • Le plus important, c’est l’ambiance. Ma principale motivation, c’est retrouver mes deux copines stagiaires (20 et 21 ans en écoles de commerce).
  • Puisque je suis bilingue, on m’a demandé de traduire plein de documents, d’écrire des emails en anglais. C’était valorisant.

Lors d’un précédent stage, j’ai vu que c’était possible de rire et d’être sérieux, d’aller demander une information ou faire part d’un besoin sans peur ! Être chef sur le papier, c’est une chose, il faut aussi savoir parler avec les employés et les écouter. »

La suite 

Ce stage est prévu pour s’arrêter mi-août. D’octobre à décembre, Marie reprendra ses cours à Liverpool, en février et mars, elle sera à l’université de Lille et devra faire un stage de 6 mois avec un mémoire, Final Paper, rendu à l’université de Liverpool, en anglais. Elle ne sait pas encore où elle fera ce stage.

C’était la vie ordinaire d’une stagiaire qui découvre les heurts et malheurs de l’entreprise.

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Fanny Barbier, éditrice associée au sein de la Smart Factory d’Entreprise&Personnel (réseau associatif qui mobilise, au service de ses adhérents, les expertises de consultants RH et la recherche en sciences humaines). Elle étudie en quoi les évolutions de la société ont un impact sur le travail et les organisations et propose des pistes pour la transformation heureuse de ces évolutions au sein des entreprises. Elle dirige le service de veille et recherches documentaires d’E&P. Elle a co-créé et animé des think tanks internes au sein d’E&P, BPI group et Garon Bonvalot et publié de nombreux ouvrages et articles sur le travail et le couple travail/société.