Nous sommes en 2016. Des familles syriennes ont fui les exactions du régime de Bachar al-Assad. Réfugiées au Royaume-Uni, elles sont envoyées au nord de l’Angleterre dans une petite ville aux maisons de briques rouges. Beaucoup de ces maisons sont vides depuis la fermeture des mines il y a une trentaine d’années. Des grèves prolongées n’ont pas empêché la fin de l’exploitation du charbon, mais elles ont laissé des souvenirs très forts où se mêlent fraternité ouvrière et sentiment d’avoir échoué.
Tommy Joe Ballantyne, appelé par tous TJ, fils de mineur syndicaliste, tente de maintenir en vie le pub, The Old Oak. C’est un vestige de la prospérité passée. L’arrière-salle du pub n’accueille plus les mineurs venus se restaurer. Aux murs, ce sont les photos en noir et blanc des manifestations qui sont exposées. Autour des quelques tables du bar, Vic, Charlie, Eddy et quelques autres se retrouvent pour consommer des tournées de pintes de bière pression. Ils n’ont plus de travail et se sentent abandonnés. Ils ne veulent pas de ces réfugiés. La misère et le désespoir ne se partagent pas. L’aigreur est mauvaise conseillère, elle ne porte pas à l’analyse ni à la générosité.
Chez TJ, c’est plutôt la nostalgie de la solidarité dans les luttes des mineurs qui domine. Il s’y raccroche pour surmonter sa propre désespérance. Sa femme est partie, son fils ne lui parle plus. The Old Oak vivote. Deux ans auparavant il a voulu se suicider. Il sympathise avec Yara, jeune syrienne arrivée là avec sa mère et ses frères et sœurs. Son père est dans une prison de Bachar al-Assad. Elle n’en sait pas plus. Yara parle anglais. Elle l’a appris auprès des infirmières des ONG dans le camp où sa famille était réfugiée, déjà. Son bien le plus précieux est un appareil photo. Il faut le réparer. Elle va pouvoir faire les portraits de ces femmes que la coiffeuse pomponne. Les exposer.
À partir de cette situation de départ, le film enchaîne des scènes où alternent d’un côté accueil, solidarité, amitiés naissantes et de l’autre rejet, violence, haine à l’état brut. La mère de TJ lui répétait : “when you eat together, you stick together“. L’arrière-salle du pub est rangée, nettoyée. Grâce à des dons et des collectes, elle va pouvoir accueillir des repas, préparés collectivement et pendant lesquels se rencontreront ces communautés qui ne se connaissent pas. Le premier repas est un succès. C’en est trop pour ceux qui ne voient dans ces réfugiés que des rivaux dont on se préoccupe alors qu’on ne fait rien pour eux. La salle est rendue inutilisable. La rupture et le malheur semblent l’emporter.
Paul Laverty et Ken Loach travaillent ensemble depuis plus de 30 ans. Nous avions déjà rendu compte dans Metis de Moi, Daniel Blake et de Sorry we missed you. Dans The Old Oak, ils choisissent de nous emmener petit à petit vers une fin heureuse, une réconciliation, un moment de fraternité, un partage de la peine des uns et des autres. Ce serait leur faire injure de penser qu’ils prétendent que c’est ainsi que toujours les choses se passent en vrai. Les scènes finales du film, superbement interprétées, ne se veulent pas réalistes. Elles suggèrent plutôt que, pourquoi pas, les choses pourraient aussi se passer ainsi. Que le champ du possible reste ouvert, toujours. Les critiques de niaiserie ou d’angélisme qui ont été faites au film ne me semblent pas pertinentes.
Dans un moment de confidence, TJ dit à Yara qu’il « faut de la force pour espérer ». On comprend que la force l’avait quitté et qu’il en a retrouvé aux côtés de ces familles syriennes. C’est sans doute le message que le cinéaste britannique, 87 ans, deux fois palme d’or à Cannes, souhaite transmettre. Plutôt qu’ajouter une pierre aux tragédies qui nous entourent et à la résignation qui nous guette, Ken Loach nous dit de continuer à agir avec humanité et générosité, que nous trouverons alors la force de ne pas désespérer et la possibilité d’aller vers un monde meilleur.
Un message bienvenu, non ?
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