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Le développement de l’apprentissage constitue, depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, l’un des principaux marqueurs de la politique de l’emploi. Le succès à cet égard est incontestable : fin 2022, la France comptait 980 000 apprentis soit plus du double qu’en 2018 ! Cet essor de l’apprentissage en France résulte d’une part de l’aide exceptionnelle accordée par l’État dans le cadre du plan de relance post-Covid (8000 euros d’abord puis 6000 euros depuis 2023 pour tout majeur entrant en apprentissage) et d’autre part de la libéralisation, par la loi pour la « Liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018, de la création des centres de formation d’apprentis (CFA) désormais laissée à l’initiative des entreprises sans autorisation juridique de la région.

Pourtant, si l’apprentissage offre de bons taux d’insertion dans l’emploi, la politique de soutien à l’apprentissage ne bénéficie pas dans les mêmes proportions à tous les publics. L’augmentation du volume des contrats d’apprentissage a en effet majoritairement concerné les jeunes en études supérieures : entre 2018 et 2021, 76 % des entrées en apprentissage sont portées par des formations de bac + 2 ou plus (Le Monde, septembre 2022). A contrario, les jeunes moins qualifiés apparaissent comme les grands oubliés de cette politique de soutien à l’apprentissage. À cet égard, la politique de l’emploi ne peut reposer uniquement sur le déploiement de l’apprentissage au risque de laisser de côté les jeunes les plus éloignés de l’emploi et dépourvus de qualification initiale.

L’accès des jeunes sortis du système éducatif à l’apprentissage demeure très limité

Les jeunes sortis du système éducatif sont aujourd’hui les grands oubliés de la montée en puissance de l’apprentissage : sur 1,1 million de jeunes accompagnés par les missions locales, seulement 55 000 sont entrés en alternance selon la Cour des comptes (La formation en alternance, 2022).

Cette difficulté d’accès des jeunes éloignés de l’emploi tient à plusieurs facteurs. La méconnaissance des métiers par les jeunes et leurs familles. Pour certains secteurs comme les métiers du numérique, le phénomène d’autocensure reste tenace chez les jeunes moins favorisés (Rapport d’A.Babkine et du Conseil National du Numérique : « Faire du numérique un accélérateur de diversité », septembre 2020). Ces faibles taux de sorties en alternance s’expliquent aussi par les difficultés liées au savoir-être des jeunes, au manque de confiance en soi et à leur méconnaissance des codes qui régissent la vie en entreprise.

Pour lever ces barrières à l’entrée en alternance, le financement par la puissance publique de dispositifs pré-qualifiant dits de « prépa-apprentissage » peut s’avérer particulièrement pertinents. Opérés par des acteurs spécialistes de l’insertion professionnelle, ces dispositifs permettent d’accompagner les jeunes sortis du système éducatif dans la construction de leur projet professionnel, dans la découverte de métiers et dans l’acquisition des savoir-être nécessaires à la vie professionnelle.

La puissance publique doit prendre en charge des formations professionnelles de remise à niveau pour lever les barrières d’accès à l’apprentissage

Financés dans le cadre du « Plan d’investissement des compétences » à travers des vagues d’appels à projets, ces dispositifs de « prépa-apprentissage » qui ont concerné 5967 entrées en 2019 et 15 074 entrées en 2020 selon la Cour des comptes sont perfectibles. Elle souligne qu’à l’échelle nationale, seul un tiers des jeunes qui en ont été bénéficiaires sont ensuite entrés en parcours d’apprentissage. Ce faible taux de sortie positive tient en partie du fait que les entreprises sont souvent réticentes à accueillir un jeune sans diplôme dans un parcours en apprentissage. Ce constat ne remet pas en question la pertinence des dispositifs pré-qualifiants qui ont vocation à remobiliser et orienter les jeunes sortis du système éducatif par la découverte de métiers. Il invite au contraire à pérenniser le financement, pour les jeunes sans qualification, des formations professionnelles, gratuites et accessibles sans prérequis académique, à même de leur permettre ensuite de poursuivre leur parcours avec un contrat d’apprentissage.

La réforme des lycées professionnels, sur le modèle de l’apprentissage, annoncée par le président de la République offre à cet égard un cadre de réflexion intéressant. Alors que seule la moitié des bacheliers professionnels occupent un emploi un an après la sortie de leurs études, le doublement de la période des stages professionnalisant des élèves de terminale doit permettre d’améliorer leur insertion dans la vie active. Cette volonté de mettre l’accent sur l’insertion des lycéens professionnels en entreprise n’est dans ce cas pertinent que dans la mesure où ces derniers ont acquis un socle de compétences dans le cadre de leurs deux premières années d’enseignement professionnel.

L’accompagnement des jeunes en recherche d’entreprise : un levier d’accès à l’apprentissage au cœur de France Travail

Au-delà du financement public de formations accessibles à tous, les dispositifs d’accompagnement social jouent aujourd’hui un rôle central dans les politiques d’emploi. Au 31 janvier 2023, plus de 300 000 jeunes de 16 à 25 ans avaient signé un Contrat d’Engagement Jeune auprès de Pôle emploi ou d’une mission locale (ministère du Travail, « 1 an du contrat d’engagement jeune », dossier de presse, mars 2023). Parmi ces 300 000 bénéficiaires du contrat d’engagement jeunes, 44 % sont sans diplômes. Selon le CEREQ (Enquête Génération 2022), 84 % des jeunes ont été accompagnés par le service public de l’emploi dans le cadre de leur insertion sur le marché du travail, ce chiffre s’élevant à 90 % pour ceux dont le parcours est marqué par le chômage durable ou récurrent. Un effort analogue d’accompagnement auprès des jeunes en recherche d’apprentissage doit être opéré par la puissance publique.

Le renforcement de l’accompagnement des jeunes en recherche d’un contrat d’apprentissage apparaît en effet aujourd’hui comme une nécessité. En Allemagne, les entreprises ont, beaucoup plus qu’en France, recours aux services du «  Bundesagentur für Arbeit » (BA) pour déployer leur offre d’apprentissage (Sénat, « Le système d’apprentissage en Allemagne et en Autriche : un modèle à suivre ? », 2015). Comme le note le rapport de synthèse de la concertation de préfiguration France Travail remis en avril dernier au ministre du Travail : « Il n’y a pas de stratégie territoriale de prospection entre les nombreux acteurs impliqués dans la relation entreprise ».

À cet égard, la création de France Travail devrait s’accompagner de la mise en place d’« équipes entreprises » sur chaque territoire coordonnant les différentes actions de prospection et d’accompagnement du recrutement des entreprises (Rapport de synthèse de la mission de préfiguration France Travail, avril 2023). Le renforcement de ces moyens doit permettre au service public de l’emploi de soutenir les CFA aujourd’hui trop exposés sur ce volet.

Les acteurs de la formation tenus responsables du placement en entreprise des jeunes

La difficulté d’accès des jeunes peu qualifiés à l’apprentissage tient principalement à leur difficulté à trouver une entreprise. Dépendant bien souvent de leur réseau familial, les jeunes issus de milieux défavorisés se trouvent à ces égards particulièrement pénalisés. Les centres de formation d’apprentis ne peuvent bien souvent pas aider les jeunes à trouver une entreprise.

À cet égard, la politique de l’emploi reposant uniquement sur l’apprentissage est contestable dans la mesure où elle fait peser sur les acteurs de la formation une responsabilité de placement des jeunes en entreprise dont ce n’est pas le savoir-faire d’une part et qui ne sont pas financés à ce titre d’autre part. Ce travail de placement devrait plutôt incomber en principe au service public de l’emploi dont l’appariement sur le marché du travail entre l’offre et la demande d’emploi est la mission principale.

L’apprentissage : un contrat de première embauche déguisé pour les entreprises ?

Portées par une aide massive de l’État – pour un coût de près de 5 milliards d’euros en 2022 – les entreprises utilisent aujourd’hui l’apprentissage comme un contrat de première embauche. Ainsi, entre 2019 et 2022, un tiers des emplois créés (400 000 sur 1,2 million) étaient un emploi en apprentissage. Cette proportion s’est élevée à 3 emplois sur 4 fin 2022.

La Cour des comptes a mis en lumière le niveau important du taux de rupture de contrats d’apprentissage qui concernent ainsi près de quatre apprentis sur dix pour un diplôme de niveau CAP et près d’un apprenti sur trois pour le diplôme de niveau Bac. Au-delà des échecs liés aux mauvais choix d’orientation des apprentis et plus largement des abandons imputables à ces derniers, ce taux de rupture illustre aussi le fait que les entreprises utilisent ces contrats d’apprentissage comme des contrats de première embauche qu’elles n’hésitent pas à rompre, au même titre qu’une période d’essai si le recrutement ne donne pas satisfaction.

Le financement tous azimuts de l’apprentissage a en effet pu nourrir des effets de bords, fournissant une main-d’œuvre bon marché pour des entreprises n’assumant pas toujours l’effort d’accompagnement que l’apprentissage implique. Ce détournement de la mission initiale de l’apprentissage contribue ainsi à faire le jeu d’organismes se rémunérant sur le placement des jeunes en alternance à défaut de leur fournir une réelle formation.

Le taux de rupture important de contrats d’apprentissage souligné par la Cour des comptes interroge par ailleurs aussi la qualité pédagogique des parcours d’alternance. Ainsi, parmi les apprentis interrogés par le cabinet de gestion des ressources humaines Heyteam, certains déplorent un manque d’encadrement et d’accompagnement. Sur ce sujet, la réforme de l’apprentissage de 2018 ne reconnaît pas au tuteur en entreprise, sur lequel repose le parcours d’apprentissage, un statut juridique à part entière.

Vers un capital universel formation ?

Un million de jeunes de 16 à 25 ans en France ne sont ni en étude, ni en emploi, ni en formation (INSEE, 2022). La difficulté d’accès à l’apprentissage de ces jeunes dépourvus de qualification, qui n’ont par définition pas accumulé de droits individuels sur leur compte formation et ne sont pas éligibles aux dispositifs de reconversion tels que « transition pro » les placent dans une forme d’impasse.

Dans ce cadre, un « capital universel formation » pourrait être attribué à chaque citoyen à 18 ans via le compte formation. Une proposition de loi du 5 janvier 2021 avait d’ailleurs été formulée en ce sens par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale.

Ce capital universel formation accessible à tous bénéficierait en particulier aux jeunes sortis du système éducatif avant le baccalauréat ou ayant décroché des études supérieures sans avoir obtenu de diplôme. Cette formation de départ, en leur conférant un premier titre professionnel, leur permettrait ensuite d’accéder plus facilement à un contrat d’apprentissage afin de poursuivre leur parcours.

Ce « capital universel formation » pourrait s’articuler avec un revenu minimum de formation garanti par France Travail. Alors que 11 % des demandeurs d’emploi renoncent à se former faute de disposer des ressources nécessaires pour faire face à leurs besoins (rapport de Solidarités nouvelles face au chômage, 2021), cette garantie d’un revenu minimum permettrait de lever les barrières d’accès à l’entrée en formation.

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