À partir du 1er juillet 2019, les Australiens pourront appeler une « hotline » dédiée au travail au noir pour dénoncer au fisc les entreprises frauduleuses. Ce nouveau service fait partie d’un plan gouvernemental plus large visant à lutter contre l’économie informelle. Dans un tout autre contexte, au Bangladesh où 87 % de jeunes sont engagés dans le secteur informel, le gouvernement lancera bientôt un programme afin d’aider ces travailleurs à être mieux insérés dans la croissance du pays rapporte le Global Times. Ces deux approches témoignent de la difficulté d’intégrer le travail informel dans l’économie des pays : doit-on le combattre ou s’en accommoder ?
Nous autres chercheurs sommes souvent interrogés sur les « risques » associés à l’économie informelle. N’est-elle pas cause de « manques à gagner » pour la société ? Ces travailleurs ne passent-ils pas à côté d’« opportunités » ? Ce que ces questions révèlent avant tout, c’est à quel point le travail informel est souvent perçu de façon négative.
En tant que citoyens et chercheurs, nous avons dressé la liste de cinq idées reçues régulièrement entendues à propos des travailleurs du secteur informel.
- Ils ne contribuent qu’à l’économie parallèle.
- Ils viennent de milieux défavorisés et ont un faible niveau d’éducation.
- Ils sont vulnérables et désespérés.
- Ils n’utilisent pas les nouvelles technologies et sont donc laissés pour compte.
- Le travail informel doit être régularisé à tout prix.
Bien que cette liste ne soit pas exhaustive et que ces clichés soient parfois fondés, nous nous proposons d’expliquer ici pourquoi elles doivent être nuancées. Selon les premiers résultats de notre étude sur les économies émergentes, déconstruisons et revisitons les idées préconçues qui existent sur le travail informel.
Idée reçue n°1 : Les travailleurs informels ne contribuent qu’à l’économie parallèle
Réponse : selon les pays, les revenus du secteur informel représentent 25 à 50 % du produit intérieur brut (PIB) non-agricole.
L’économie informelle revêt des formes très diverses et se caractérise par une vulnérabilité des travailleurs. Elle participe cependant à la fabrication de nombreux produits et au fonctionnement de nombreuses activités qui animent notre quotidien.
Une même personne peut par ailleurs alterner travail formel et informel. L’observation des trajectoires d’emplois de 2 000 travailleurs bangladais révèle que la plupart oscillent entre des emplois formels, caractérisés par exemple par des contrats de travail, et des situations relevant de l’économie informelle.
Les entreprises jouent aussi un rôle dans ce phénomène. Des recherches menées sur le secteur manufacturier indien montrent que dans les années 2000, le pourcentage de travailleurs en contrat temporaire avec des entreprises officiellement déclarées est passé de 16 à 27 % à l’échelle nationale.
Cette situation n’est pas l’apanage des économies en développement, puisqu’elle existe aussi dans certains pays membres de l’OCDE, comme les Pays-Bas, où le système fiscal tend à inciter les entreprises à employer des travailleurs en contrat précaire plutôt que des salariés.
La législation relative aux contrats et la fiscalité sont donc à prendre en compte pour expliquer l’évolution du travail informel au sein d’une société.
Le travail informel peut aussi faire partie d’un plus vaste système. À Hanoï, au Vietnam, le recyclage informel coexiste avec le service municipal de traitement des déchets. À Bangalore, en Inde, les foyers sont approvisionnés en eau en fonction de leur localisation et du revenu des ménages, par un système mêlant organisations publiques et privés, formelles et informelles.
L’économie informelle contribue aussi à la mondialisation, que ce soit dans l’agriculture, le secteur des services ou l’industrie. C’est le cas par exemple des échanges commerciaux entre l’Inde et le Pakistan ou entre les différents pays d’Afrique.
Enfin, « informel » ne signifie pas toujours désorganisé. La coopération, la mutualisation, la solidarité et la représentation (syndicale ou autre) sont essentielles pour comprendre la façon dont les travailleurs se perçoivent et agissent comme acteurs économiques clefs pour la société.
Bien qu’il soit souvent difficile de quantifier l’économie informelle ou de juger de l’étendue de ses ramifications, il ne faut pas automatiquement l’associer à une économie souterraine illégale ou dissimulée. Il se peut tout simplement que les pratiques professionnelles, les revenus et la présence dans l’espace public de certains individus fassent l’objet de vides juridiques ou de complexités administratives, ce qui les rend « informels ».
Idée reçue n°2 : Les travailleurs informels viennent de milieux défavorisés et ont un faible niveau d’éducation
Réponse : pas forcément.
D’après une étude de janvier 2019 portant sur 28 pays en développement et pays émergents, le pourcentage de travailleurs pauvres (3,10 $ par personne et par jour) est en général plus élevé dans le secteur informel. En Colombie, par exemple, 13 % de travailleurs informels sont pauvres, contre 1 % seulement de travailleurs formels. Cette étude montre aussi que les personnes d’origine modeste ont plus souvent tendance à exercer une activité informelle.
Même si le concept de pauvreté est à nuancer (car sa définition varie en fonction des pays), il est intéressant de se pencher sur le milieu d’origine de ces travailleurs, les obstacles qu’ils rencontrent et leurs aspirations.
Différentes études indiquent que pour de nombreux jeunes les emplois informels marquent leur entrée sur le marché du travail. Comme l’a mis en évidence une étude sur les urbains en recherche d’emploi à Addis-Abeba (Éthiopie), les « bons emplois » ne sont pas souvent accessibles aux personnes issues d’un milieu modeste ou peu éduqué, qui ne disposent pas des réseaux nécessaires ni de ressources suffisantes pour couvrir les dépenses liées à la recherche d’un emploi.
Les activités informelles peuvent aussi servir à compléter les revenus issus d’un emploi déclaré. Il est ainsi assez courant pour des enseignants en Côte d’Ivoire ou au Vietnam d’arrondir leurs fins de mois en donnant de manière informelle des cours particuliers aux enfants issus des classes moyennes ou aisées.
Idée reçue n°3 : les travailleurs informels sont vulnérables et désespérés
Réponse : pas du tout.
Les travailleurs informels ne sont pas forcément issus « de la classe ouvrière » ou « défavorisés ».
Une étude datant de janvier 2019 montre qu’en termes de revenus, de nombreux travailleurs informels appartiennent à la classe moyenne. Au Brésil, environ 7 % des classes moyennes exercent majoritairement des emplois informels. Ce taux atteint 30 % au Vietnam et près de 40 % en Côte d’Ivoire. Ces travailleurs sont souvent des entrepreneurs et leurs revenus leur permettent de s’élever de façon assez significative au-dessus du seuil de pauvreté, ce qui signifie que leur pouvoir d’achat est le même que celui d’autres catégories de population, ou des travailleurs formels.
Mais les défis auxquels ils doivent faire face viennent souvent de leur environnement immédiat – difficultés à se loger ou à accéder aux services publics, par exemple –, en particulier quand les politiques publiques les marginalisent, comme c’est le cas pour les vendeurs ambulants dans le monde entier
Un sondage mené en 2016 à Bangkok indique que 87 % des consommateurs achètent quotidiennement de la nourriture à des vendeurs ambulants. Pourtant, beaucoup de ces entrepreneurs ne sont pas en mesure d’exercer leur activité. Ils subissent le contrecoup du développement urbain et sont les premières victimes des nombreux conflits opposant acteurs politiques et sociaux.
Cependant, lorsqu’on leur donne une place et une légitimité, ces travailleurs informels peuvent prospérer et développer de nouveaux modèles économiques. Au marché de Warwick Junction, à Durban (Afrique du Sud), les vendeurs ambulants et les commerçants déclarés se sont associés. Grâce au soutien d’organisations caritatives, ils ont appris à connaître leurs droits et apporté leur contribution à la conception des infrastructures du marché où ils travaillaient, donnant l’exemple d’une transformation du paysage urbain grâce à la collaboration sociale.
Au lieu de considérer d’office ces travailleurs comme « vulnérables et désespérés » (ce qui induit une idée d’instabilité), nous devrions plutôt les voir comme des personnes « autonomes et pleines d’espoir ».
Idée reçue n°4 : les travailleurs informels ne se servent pas des nouvelles technologies et sont donc laissés pour compte
Réponse : pas tout à fait.
Pour avoir accès aux marchés, les travailleurs informels ont activement recours à la technologie. Sur le continent africain, la plupart se servent déjà des applications les plus récentes.
La vraie question est de savoir comment les gouvernements peuvent faire en sorte que ces travailleurs reçoivent les bénéfices de leur contribution à ce que l’on appelle l’économie « des petits boulots ».
Comme le suggère une étude de novembre 2018 sur les pays d’Amérique latine, les jeunes ont souvent confiance en leurs capacités et beaucoup d’ambition. Néanmoins, ils ne bénéficient pas de l’éducation nécessaire, des formations et des programmes dédiés à la création d’entreprise qui pourraient les aider à réaliser leurs rêves. Comme les autres actifs, ils ont besoin de conseils en matière de bien-être, de sécurité, de productivité et de négociation salariale, d’ancrage et de reconnaissance pour leur travail.
Idée reçue n°5 : Le travail informel doit être régularisé à tout prix
Réponse : les efforts de formalisation du travail sont des outils législatifs potentiels, mais ce n’est pas la seule voie possible.
Les études montrent que le fait de réduire les coûts afférents à la déclaration officielle d’une entreprise pourrait contribuer à augmenter la productivité et les salaires. Toutefois, les exemples du Brésil et de la Colombie indiquent que cette solution n’est pas toujours souhaitable ni efficace pour réduire le nombre de travailleurs informels.
En revanche, discuter de ce qui importe aux travailleurs, aux employeurs et aux donneurs d’ordre pourrait permettre d’identifier les mesures à instaurer pour redessiner l’avenir du travail. Le Programme de travail communautaire mis en place dans plusieurs villes d’Afrique du Sud est ainsi fondé sur le principe selon lequel le travail peut avoir une valeur sociale même s’il n’a pas de valeur marchande.
Il importe donc de s’intéresser à la gestion des emplacements, la perception du public (dans le cas des vendeurs ambulants) ou la réciprocité des droits et des usages (en ce qui concerne les travailleurs domestiques), étant donné que ces environnements professionnels risquent de mettre en péril les travailleurs et leurs moyens de subsistance.
Quel doit-être le rôle de l’État ?
Les gouvernements devraient reconnaître la nature du travail informel et supprimer les obstacles qui empêchent les travailleurs de mieux gagner leur vie. Davantage de droits, une meilleure couverture sociale et des mesures législatives décentes s’appuyant sur la compréhension des environnements locaux et des besoins de chaque groupe ne peuvent qu’être bénéfiques aux travailleurs informels et à ceux qui naviguent entre travail formel et informel.
Ces objectifs aideront aussi à faire cesser la stigmatisation du travail informel, encore perçu comme un pis-aller.
Enfin, les chercheurs et les législateurs devraient innover en matière de méthodes d’identification du travail informel et affiner leurs statistiques pour améliorer les programmes et les techniques d’évaluation destinés à soutenir les acteurs de cette économie.
Taduit de l’anglais Iris Le Guinio pour Fast ForWord.
Cecilia Poggi, Economist, Social Protection Research Officer, Agence française de développement (AFD); Anda David, Chargée de recherche, Agence française de développement (AFD) et Claire Zanuso, PhD, économiste du développement, chargée de recherche et d’évaluation / Development economist, research and evaluation officer, Agence française de développement (AFD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons, initialement parue le 16 juin 2019. Lire l’article original.
Bonjour,
A propos des 5 Mythes à déconstruire sur l’économie informelle, je suis très interrogatif pour le moins par la teneur de tels propos qui tendent à banaliser voire à s’accommoder de l’économie informelle. Etant impliqué depuis plusieurs années sur ce sujet en Afrique subsaharienne, je suis bien conscient que cette réalité est complexe et mérite une analyse lucide et nuancée. Néanmoins, j’observe que depuis plusieurs années un certain nombre d’économistes, notamment du FMI, s’emploient à démontrer que l’importance du secteur informel dans la contribution du PIB justifierait sa nécessité économique dans un certain nombre de pays. Une telle démarche me paraît dangereuse et insidieuse quand on sait les dégâts et les conséquences humaines et sociales de cette accélération d’une croissance appauvrissante pour les populations de ces pays.
La réalité actuelle de l’économie informelle
Faut-il rappeler que dans de nombreuses régions de la planète, l’informalité est la norme et non l’exception ? Elle recouvre des emplois ou des activités de production et de ventes de biens et services qui ne sont pas régulés ou protégés par l’état. En moyenne dans le monde, cela représente plus de la moitié des emplois du secteur non agricole et en Afrique subsaharienne, ce taux atteint au moins 80%. Sur une population active de 450 millions, seuls 40 millions occupent un emploi formel en Afrique subsaharienne. La plupart des travailleurs de l’informel ne le font pas par choix, mais il s’agit pour la majorité d’une stratégie de survie, ne parvenant pas à trouver un emploi décent.
Qui sont ces travailleurs de l’informel ? Ce sont des vendeurs, des taxis motos/autos, des transporteurs, des mécaniciens, des vulcanisateurs (réparateurs de pneus), mais aussi des paysans provenant de l’agriculture/élevage/pêche/maraîchage, des coiffeurs, des tisserands/couturiers, des ferblantiers, des fabricants de mobiliers domestiques, etc… Les jeunes et les femmes y sont surreprésentés, hors agriculture, 60% des travailleuses de l’Afrique subsaharienne sont dans l’informel.
Ces travailleurs sont confrontés à des difficultés sans nom, du fait que ce sont souvent des activités extra-légales tels que les vendeurs à la sauvette pourchassés constamment par la police pour emplacement illégal. Ceux-ci ont aussi des difficultés de financement et d’accès au crédit qui donne lieu aux « tontines » pour le microcrédit. C’est aussi le manque de ressources existantes, car il n’y a aucune action de l’Etat et les rares cas au Bénin ont été ceux de travailleurs licenciés réinvestissant leurs indemnités de licenciement dans leur nouvelle activité.
Ce sont en fait des groupes très hétérogènes qu’on peut subdiviser en plusieurs catégories : une majorité de micro entrepreneurs, des travailleurs familiaux non rémunérés, des travailleurs journaliers ou occasionnels, des salariés y compris du secteur formel sans aucune protection liée à l’emploi ou encore des salariés dépendants de la sous-traitance sans aucun statut.
Les principales causes de l’informalité
« Une croissance appauvrissante » : C’est ainsi que l’économiste sénégalais SY CHERIF SALY qualifie les taux de croissance élevés du PIB de l’Afrique qui ces dernières années atteignent une moyenne de 5%. Ces taux de croissance élevés sont souvent portés par des secteurs qui ne créent pas d’emplois ou très peu parce que sans aucune valeur de transformation. Plus grave, dans les secteurs miniers, par exemple, la plus-value qui découle de la production est accaparée par quelques élites locales et des entreprises transnationales qui exploitent ces ressources.
Dans les pays de la zone CFA, la plus value est créée avec des entreprises, filiales de sociétés mères basées à l’extérieur qui peuvent transférer sans limite tous leurs bénéfices comme le prévoyait « le pacte colonial ».
Ainsi, les taux de croissance dans ce type de pays, même élevés, se traduisent très souvent par une augmentation de la pauvreté ou par sa stagnation. Dans tous les cas, cette « croissance appauvrissante » se révèle incapable de sortir les populations de l’état de pauvreté, à un rythme aussi élevé que celui des taux de croissance qu’on y rencontre car elle n’est pas créatrice de valeur ajoutée et donc pas d’emplois formels. C’est ce qui s’appelle une croissance sans développement !
Une démographie très élevée : Chaque année l’Afrique voit sa population active croître de 29 millions. En Afrique subsaharienne, la proportion de la population âgée de 10 à 24 ans atteint 32%, soit la plus élevée du monde. Ainsi au Burkina, 7 burkinabés sur 10 ont moins de 30 ans et le nombre de jeunes de 15 à 24 ans doublera entre 2010 et 2030, soit de 3 à 6 millions ce qui ne sera pas sans créer une tension sur le marché du travail dans un pays où la majorité de la population active est essentiellement rurale à 80%. Sachant que 90 % des emplois se trouvent dans de petites entreprises familiales informelles ou dans l’agriculture vivrière, il y a peu de chances de trouver un emploi formel ouvrant droit à des prestations. Selon Alun Thomas, économiste au FMI, «on dit souvent que l’emploi salarié (travail rémunéré hors du secteur agricole) est l’objectif ultime de la politique de l’emploi, mais aussi que les entreprises familiales fourniront l’essentiel des nouveaux emplois».
Or cette région du monde, dont le taux de fécondité est l’un des plus élevés du monde, a besoin que les entreprises créent bien plus d’emplois pour absorber la hausse rapide de la population active. Chacun sait que si la croissance démographique est supérieure au taux de croissance, le pays se retrouve en régression économique. Selon l’ONU, la population en âge de travailler aura plus que doublé en 2050.
Une diversification insuffisante de l’économie : La chute des cours des matières premières principalement des minerais et pétrole a impacté très fortement les pays très dépendants de ces ressources provoquant un endettement et un déséquilibre budgétaire à l’intérieur du pays.
Cette absence de diversification et de transformation des matières premières fragilise des économies qui ne génèrent pas de valeur ajoutée que ce soit dans l’agroalimentaire, la transformation du bois ou des minerais. La répartition équilibrée entre les secteurs primaires, secondaires et tertiaires garantit souvent l’implantation de petites et moyennes entreprises et des services. Cette diversification insuffisante est aussi souvent imputable à un déficit d’accès à l’électricité et à un réseau sous dimensionné, perturbé par des coupures récurrentes qui n’incitent pas à l’investissement dans de nouvelles activités.
Enfin ce déficit de développement n’est pas étranger à une politique financière des banques qui pratiquent des taux de crédit élevés. Ainsi au Tchad, une étude menée en 2013 par l’université de recherches de N’Djamena sur un échantillon de 315 TPE/PME a mis en évidence que 20% seulement ont accès au crédit bancaire alors que le crédit bancaire a amélioré leur chiffre d’affaires dans 80% des cas. Un accroissement de 1% du crédit augmente le CA de 0,70% et les effectifs de 0,54%.
La mauvaise gouvernance : Les principaux facteurs du développement de l’informel sont : la longueur et la complexité des procédures d’enregistrement, les défaillances du système judiciaire, la faiblesse des structures chargées du recouvrement et de la livraison des services d’appui aux petites entreprises, notamment celles de l’informel. C’est aussi la capacité des grands acteurs influents à contourner les règles, souvent avec la complicité de l’État, etc. D’un autre côté, ceux qui sont dans le formel sont tentés de migrer vers l’informel en vue de se soustraire au harcèlement fiscal. L’absence de coordination entre les services de l’Etat tels que les douanes et les impôts aggrave encore les défaillances de l’Etat et le sentiment d’impunité face à la sous déclaration et à une évasion fiscale généralisées.
Les principales conséquences de l’informalité
Un taux moyen de pauvreté qui reste élevé : Le rapport de suivi mondial 2015/16 publié par la Banque Mondiale évaluait le nombre actuel de personnes vivant dans une situation de pauvreté extrême en Afrique subsaharienne à 347 millions alors qu’on en recensait 284 millions en 1990. Ainsi le pourcentage d’africains vivant dans la pauvreté diminue mais leur nombre augmente du fait de l’accroissement démographique. A titre d’exemples, le Sénégal qui connaît un taux de croissance de 5% accuse un taux de pauvreté de 46,7% (soit 6,3 millions), le Gabon qui regorge de richesses minérales et pétrolières voit plus d’1 habitant sur 3 vivre dans un seuil d’extrême pauvreté et la Côte d’Ivoire en plein essor économique avec un PIB de 7% en 2015 détient un taux de pauvreté de 47% alors que celui-ci était de 10% en 1985. L’éradication de l’extrême pauvreté en Afrique est le plus grand défi. Selon les prévisions, le continent pourrait concentrer plus de 80 % des personnes vivant dans l’extrême pauvreté à travers le monde d’ici 2030.
Un niveau de précarité extrême : La vulnérabilité, qui touche aussi bien les travailleurs que les chefs d’entreprise qui y opèrent, est visible à travers notamment : l’absence de protection juridique ou sociale, un revenu faible (< 2 dollars/j) et irrégulier du fait d’une activité incertaine liée à un marché local limité, des emplois généralement instables, le recours aux mécanismes institutionnels informels marqués pourtant par l’exploitation. Dans des pays à forte population rurale tels que le Burkina, Bénin ou Mali, cette précarité devient dramatique en cas de dégradation des conditions climatiques et contribue fortement à un exode rural ou à la migration économique.
Une accélération de l’urbanisation : De tous les continents, c'est désormais l'Afrique qui connait la plus forte croissance en matière d'urbanisation avec 5% à 7% de citadins en plus chaque année: 400 millions d'africains vivent aujourd'hui en milieu urbain, soit 40% de la population et l'ONU-HABITAT estime qu'ils seront 60% en 2050. Les villes africaines s'agrandissent tous les jours .L'exode rural des jeunes en constitue la principale cause. Les jeunes quittent le plus souvent les campagnes ou leurs villages pour plusieurs raisons, la pauvreté avec pour ambition de trouver un emploi, et l’espoir en ville d'améliorer leurs conditions de vie. Mais cette urbanisation n'est pas associée à un développement industriel ou économique suffisant, si bien que les nouveaux arrivants, souvent sans ressources, sont contraints de vivre dans des logements non adaptés, la plupart du temps totalement insalubres du fait du manque d'anticipation des pouvoirs publics.
Des risques d’instabilité et d’explosion sociale : Des études récentes estiment que 60% des citadins de l’Afrique subsaharienne vivent aujourd’hui dans des bidonvilles et dans des quartiers spontanés. On comprend aisément que cette urbanisation à laquelle les gouvernements africains ne savent pas toujours faire face engendre des problèmes d’insalubrité, d'insécurité, de promiscuité, de chômage, de prostitution, de transport en commun, de pollution de l'air, d'accumulation de déchets, de délinquance, d'alimentation en eau et en électricité et d'assainissement soient considérés comme un facteur important de risques d’instabilité et d’explosion sociale.
Une migration économique à l’extérieur du pays en augmentation : L’OCDE observe en 2016 une évolution significative des flux migratoires vers l’Europe en provenance de l’Afrique occidentale et notamment des réfugiés économiques au regard des réfugiés politiques. Une étude récente du Laboratoire Mixte International MOVIDA basé à Dakar affirme néanmoins que 80% de la migration sur le continent est intra africaine. Toutes origines confondues, on comptabilise en 2015, 32 millions de migrants africains dans le monde soit 13,4% de la totalité des migrants et les migrants africains représentent 16,6% de la totalité des migrants dans l’Union Européenne. Ainsi au Sénégal, les jeunes, qui vivent difficilement du cumul de l’exercice de plusieurs activités dans l’économie informelle, sont fascinés par la réussite des migrants qui séjournent dans leur pays.
Une marginalisation du dialogue social : Dans un pays où l’économie formelle pèse entre 5 et 10% de la réalité des emplois, il est facile d’imaginer que les instances paritaires et les partenaires sociaux représentatifs de la formalité ne peuvent bénéficier d’une grande légitimité, sachant que 90% des rapports économiques et sociaux leur échappent. Cette situation est d’autant plus paradoxale que l’économie informelle représente de fait entre 30 à 50% du PIB national sans être réellement représentée au sein de ces instances socioéconomiques. Même si aujourd’hui les syndicats réalisent de nombreuses actions dans l’accompagnement, la défense et l’organisation des travailleurs de l’informel pour l’amélioration de leurs droits et de leur protection sociale, le dialogue social se trouve de fait amputé d’une large majorité de travailleurs sans statut et non reconnus.
Ces quelques réflexions partagées avec des syndicalistes africains, ONG, microfinance et gouvernements nous amènent à l'élaboration de pistes de travail favorisant la création de valeur ajoutée et donc d'emplois formels à travers la mise en place de filières de métiers, le développement d'emplois locaux sur des produits jusqu'ici importés à 100%, la transformation systématique des matières premières jusqu'ici exportées à l'état brut et l'organisation de marchés communs régionaux à moyen terme.
Si je l’ai bien lu, cet article soutient deux idées :
1) Le travail formel est une source significative de richesse, d’innovation et de lien social à travers le monde
2) Il faut donc le reconnaître pleinement en améliorant les droits et la couverture sociale des travailleurs informels.
En son temps, Alphonse Allais avait soutenu une thèse analogue en proposant de rebâtir les villes à la campagne. Mais lui avait je crois conscience que sa proposition ne ferait pas beaucoup avancer la question de l’urbanisation.