Interview croisée de Catherine Hoyez, consultante, et Adrien Hugon, entrepreneur. Propos recueillis par Fanny Barbier.
Adrien Hugon est le cofondateur de Onepilot, entreprise d’outsourcing de demandes clients, créée en 2021. Il s’agit de sa seconde création d’entreprise. Il a 32 ans. Catherine Hoyez a créé son entreprise de conseil, coaching et formation, Pyramis, en 1994. Elle accompagne des équipes et des personnes dans des situations de transformation, réorganisation, fusion, etc. Elle a développé une expertise dans la mise en œuvre et l’animation de groupes de codéveloppement professionnel.
Il y a 5 mois, Adrien a demandé à Catherine de l’accompagner ainsi que son équipe dans une opération de fusion-acquisition, étape logique dans un parcours de start-up qui connaît un fort développement depuis sa création. En effet, Onepilot a généré 1 M€ de revenus la première année ; en 2022, l’entreprise a levé 2 M€ de fonds pour réaliser un CA de 4 M€ et, en 2023, elle réalise 10 millions d’euros de CA. Elle est implantée en France, en Allemagne, au Royaume-Uni. On y parle français et beaucoup anglais. On s’y appelle par son prénom. Onepilot emploie 110 salariés et collabore avec 1 500 agents en freelance.
Il nous a semblé intéressant de donner la parole à Adrien sur la création de l’entreprise et de croiser les regards du créateur et de son conseil sur la relation qu’ils ont tissée depuis que cette opération de fusion-acquisition a été enclenchée.
Un parcours d’entrepreneur
Adrien a fait des études de droit puis une école de commerce. Après le concours d’avocat, il s’engage très vite dans « ce que j’avais toujours voulu faire : monter ou rejoindre une entreprise en création. Cela m’intéressait de voir une organisation grandir et de pouvoir la façonner. » Il crée une première activité de pressing à domicile. Adrien réunit autour de lui une petite équipe d’une quinzaine de personnes dont Kenza et Robin qui, 7 ans après, travaillent toujours avec lui — Kenza s’occupe maintenant des RH pour Onepilot et Robin est développeur. « Cette première expérience a été très formatrice et très agréable, mais, avec le Covid, le marché déjà compliqué l’est devenu encore plus. Au bout de 4 ans, nous avons vendu l’entreprise pour lancer Onepilot. »
L’idée qui a prévalu à la création de Onepilot est issue de cette première expérience et de la prise de conscience que l’activité d’une entreprise dépend pour une large part de la qualité des réponses qu’elle apporte aux demandes de ses clients. Sachant que ces demandes, on parle de tickets clients, faites par mail, par téléphone, par chat, par réseaux sociaux, peuvent être extrêmement nombreuses et que leur traitement est quasi invisible parce qu’il est partie intégrante du quotidien des entreprises. Lorsqu’Adrien et son équipe traitaient en direct les tickets de leurs clients, ils avaient « les yeux rivés sur les tableaux de bord, les alertes pouvaient tomber à tout moment. D’où l’idée qu’il devait être possible de mutualiser les réponses grâce à la technologie. »
En 2021, Adrien, Kenza, Robin, rejoints par Lucas et Pierre, deux amis d’enfance d’Adrien, fondent Onepilot. Leur projet est de digitaliser un service de support client qui s’adaptera aux petites entreprises, comme aux plus grosses, en mettant progressivement de la technologie à toutes les étapes.
De la technologie pour revaloriser un métier peu visible
« Ce métier, complètement dans l’ombre, est crucial pour les entreprises, aucune ne peut se permettre de ne pas répondre à ses clients et en même temps personne ne veut s’en occuper. Si le service n’était pas externalisé, il pourrait représenter jusqu’à 40 % de la force de travail dans les entreprises du e-commerce. Mais ce n’est pas le sens qu’a pris l’histoire et c’est pour cela que nous existons et que nous sommes persuadés qu’il y a une vraie place pour un acteur un peu technologique. »
Traditionnellement, et depuis 25 ans, les entreprises d’outsourcing, lorsqu’elles signent un contrat avec un grand compte passent entre 3 semaines et 2 mois à former les agents qui y seront affectés. Ces formations se font en présentiel dans des salles de classe ; à leur issue, les personnes travaillent dans des conditions souvent très dégradées, les salaires sont faibles, la force de travail est souvent délocalisée.
Onepilot opte pour un tout autre modèle : grâce à la technologie, les agents peuvent se former eux-mêmes quand ils le souhaitent et, de la même façon, ils travaillent quand ils le souhaitent et d’où ils le souhaitent.
« Notre métier est très mesurable. Grâce à trois indicateurs, le coût par interaction pour la marque, le délai de réponse et la satisfaction finale du client, nous avons vite pu constater que notre proposition de valeur était meilleure que celle de nos concurrents. »
Deux ambitions : développer l’entreprise et y prendre du plaisir
« Nous sommes tous assez compétiteurs, nous avons tous envie de faire une grosse boîte pour rattraper nos concurrents. Nous voulons aussi créer une entreprise où les gens se sentent bien, où ils aient plaisir à bosser. Cela fait partie de nos cinq valeurs sur lesquelles nous avons travaillé assez tôt. »
Les valeurs de Onepilot : donner l’exemple, se pousser pour obtenir des résultats, prendre soin des autres et agir équitablement, être passionné et s’amuser, être responsable.
Ces valeurs nourrissent les entretiens d’évaluation des 110 salariés qui sont menés tous les 6 mois parce que tout change vite dans une start-up. Elles représentent 50 % de l’évaluation.
Ni injonctions ni formules creuses, selon Catherine, ces valeurs sont incarnées chez Onepilot : « Je rajouterais celle de transparence. Un grand nombre d’entreprises la mettent en avant, mais peu la respectent. Ici, tout ou presque est sur la table, et accessible à tous, c’est-à-dire pas seulement à la petite équipe d’associés. Le fait que tout le monde sache comment va l’entreprise, à tout instant, si elle est en avance ou en retard, si elle a recruté de nouveaux clients, ou si elle en perdu, etc. constitue un levier de performance énorme. À mes yeux, elle permet à chacun d’investir quelque chose de très personnel dans son travail. Et crée beaucoup de confiance. »
« Un besoin d’être challengé de manière ouverte »
En août 2023, Onepilot établit les premiers contacts avec le dirigeant d’Eodom en vue de la fusion-acquisition ; l’opération se finalise en janvier 2024. Les deux entités sont très différentes. Eodom réalise 7 M€ de CA avec une vingtaine de clients quand Onepilot réalise 12 M€ de CA avec près de 200 clients. Eodom a été créée il y a 15 ans, Onepilot, 3 ; la moyenne d’âge est de 42 ans chez Eodom, elle est de 27 ans chez Onepilot. « Au-delà de l’âge, les salariés d’Eodom ont 15 ans d’expérience. Nous n’en avons que 3 et en plus ici tout change beaucoup plus régulièrement, et les salariés sont habitués au changement, cela ne les choque pas plus que ça. »
Adrien est conscient que la culture serait la clé de la réussite de l’opération et que la jeune équipe aurait besoin d’être accompagnée. Il rencontre et ne retient pas des consultants classiques « on était capable de faire les mêmes slides qu’eux et on pressentait que leurs playbooks allaient rajouter de la rigidité » alors qu’il veut « juste pouvoir discuter et être challengé d’une manière ouverte sur notre vision de la situation, ce que nous avons envie de faire, ce que nous avons fait. »
C’est précisément ce mode de travail que Catherine leur propose. Ils ont convenu d’un rythme de deux séances par mois, avec l’un ou l’autre des fondateurs, en tête-à-tête ou en groupe, au cours desquelles tous les sujets sont abordés. Ainsi, très vite, Catherine alerte sur la nécessité de faire attention vraiment à la manière de travailler des autres alors que, comme le reconnaît Adrien « nous avons pu sous-estimer l’importance de comprendre les autres manières de travailler et d’apprendre d’elles. »
« Plus qu’une sparring-partner »
« Je pense jouer le rôle d’un sparring-partner, explique Catherine. Il s’agit de conseil, mais en même temps de coaching et parfois de formation justement pour aborder ces questions culturelles qui nécessitent d’avoir quelques repères méthodologiques. Et, plus largement, mon rôle consiste à les écouter. Quand tu dis challenger, Adrien, pour moi c’est questionner : pourquoi vous faites cela, est-ce que vous avez pensé à ceci, etc. ? C’est aussi essayer d’éclairer parfois des choix ou des non-choix. Je revendique pouvoir transmettre une forme de bon sens qui vient de mon expérience, j’ai beaucoup accompagné des entités qui se rapprochaient, qui fusionnaient ou qui devaient se restructurer. Elle me permet de ne pas être dans les modes. De telles situations posent des questions sur l’humain, la culture, la manière de faire travailler ensemble des gens qui sont différents. Elles relèvent de la capacité à entrer en relation avec les autres, de comprendre leur point de vue, elles supposent d’être dans une forme d’empathie, tout en gardant de l’exigence.
Dans les étapes qui sont en train d’être franchies actuellement, il y a eu toute cette phase de découverte réciproque, puis à un moment donné il a fallu passer à une autre étape : la relation au travail qui n’est pas la même entre les deux entités. »
« Passer à une autre étape »
La question que se pose la start-up aujourd’hui est de savoir si des personnes habituées à un management installé depuis un certain temps seront en capacité et auront envie de prendre leur autonomie et de se joindre à une entreprise où, comme le dit Catherine, « tout est sur la table et le projet est partagé ; où on s’amuse, mais où on travaille aussi énormément ! »
Concrètement, Adrien compte soumettre aux nouveaux collaborateurs la « review » bimensuelle pratiquée au sein de Onepilot. Plutôt que sur une grille d’évaluation, les entretiens s’appuient sur des feuilles de rôle (score cards) très précises qui mettent en évidence les écarts par rapport à un attendu. Il s’agit ensuite de laisser chacun libre de gérer ces écarts comme il l’entend. « Notre objectif est de faire en sorte qu’un maximum des anciens salariés d’Eodom qui veulent nous rejoindre le puissent. » Au nom du principe d’autonomie, ils ne seront pas forcés à suivre une formation au sens classique du terme, mais à puiser ce qui leur manque ou ce sur quoi ils veulent progresser dans une base documentaire extrêmement fournie. Cette base est totalement alimentée en interne. Par exemple, un module de formation sur l’interrogation de données vient d’être mis en ligne par un associé dont c’est un sujet fétiche. Ceux qui le veulent peuvent le suivre, ils le font de manière volontaire. Au-delà de ces formations, Onepilot s’est doté d’un outil, appelé Notion, qui rassemble des réponses à toutes les questions que tout un chacun est susceptible de rencontrer dans son travail. « Nous avons une très forte culture de l’écrit, reconnaît Adrien. Là encore, tout est en accès libre. C’est peut-être moins convivial que partager un café, mais chacun est libre d’aller chercher une réponse quand il en a besoin ou de creuser un sujet, celui qu’il veut, quand il le souhaite. »
Sur l’amélioration du management, des modules sont en cours de création, ouverts à tous, ils seront obligatoires à ceux qui évoluent vers un poste de management « parce que passer manager, ce n’est pas une promotion, même si beaucoup le voient comme cela, c’est juste un boulot différent. »
Ce constat mériterait d’être plus largement partagé, y compris dans les entreprises de l’ancien monde. C’est ce que pense l’intervieweuse, c’est aussi ce que pense la conseillère.
« Vous comprenez mon enthousiasme ? »
« Je suis toujours très heureuse de venir ici et je suis toujours très heureuse quand j’en pars, poursuit Catherine. Il y a du plaisir dans notre relation. Cela me fait beaucoup de bien de fréquenter des gens qui démarrent, qui ont une aventure à mener, de l’ambition. Cela change de la lourdeur ou du manque de réactivité que l’on peut rencontrer parfois dans les grands groupes. Ici, lorsque nous évoquons ensemble un sujet, il est traité dans la foulée. C’est très plaisant pour moi dans mon rôle de transmission. Et enfin, ce que j’aime dans mon métier, c’est une forme de parité qui existe dans la relation. Eux, ils ont le pouvoir de décider, et moi, j’ai le pouvoir de questionner avec ma liberté de parole. Ce jeu-là crée une relation très équilibrée et assez féconde. Même si, en tant que prestataire extérieur, je sais qu’on peut me dire du jour au lendemain que la relation s’arrête, mais c’est ainsi que je la vis avec Adrien et toute l’équipe avec laquelle j’ai l’occasion de travailler. Je suis à l’extérieur, mais en même temps je suis dedans, je participe à leur envie d’avancer. Leur capacité à cumuler des apprentissages à haut débit est impressionnante ! »
D’ailleurs ces apprentissages feront bientôt l’objet d’une entrée dans Notion, la base documentaire comme Catherine l’avait suggéré. Chacun des associés, sous son prisme qu’il soit finances, technologie, commercial, est invité à écrire ce qu’il a appris au cours de l’opération, ainsi que les erreurs à ne pas reproduire. « Ce sera un argument pour un futur investisseur. »
Une prochaine étape qu’il n’est pas question encore d’évoquer, pas avant que l’intégration soit complètement réussie et achevée, mais qui ne manquera pas de se produire un jour : « pas question d’attendre 50 ans pour rejoindre les plus gros acteurs du secteur. »
Post-scriptum
En complément de cet échange centré sur la relation de conseil entre Catherine et Adrien, deux autres sujets ont été abordés parce qu’ils sont emblématiques des évolutions du travail chères à Metis.
NB Et les freelances ?
Le travail des freelances fait débat depuis longtemps, notamment sur Metis, mais pas uniquement (voir le Repère n° 13 de ChaireFit2). Sur le sujet, voici le point de vue d’Adrien. « Nous avons très peu de contacts avec les agents qui travaillent en freelance. Nous mettons à leur disposition une plateforme qui leur permet de gagner de l’argent quand ils le veulent et d’où ils le veulent. Nous ne leur donnons aucun ordre ni n’essayons de créer une communauté. Certains concurrents ont beaucoup plus d’interactions avec les freelances, et en même temps, ils se méfient de toutes les traces qui pourraient donner lieu à requalifier les contrats en salariat, ils s’obligent à maintenir des distances humainement parlant, ils interdisent les outils qui leur permettraient de communiquer entre eux. Ce n’est pas notre cas, quand nous échangeons avec eux, nous sommes ouverts et cordiaux, cela peut même aller jusqu’au tutoiement, il n’y a pas d’interdit, nous savons qu’ils ont créé une communauté sur un réseau social, elle leur sert à échanger des infos.
Ce sur quoi nous nous concentrons c’est de mettre à leur disposition une plateforme sur laquelle ils trouvent, en accès libre, toute la formation aux outils pour travailler bien et vite. Afin que cette plateforme soit de la meilleure qualité possible, tous les salariés sont amenés à la tester parce que nous nous sommes tous donné l’obligation de traiter chaque mois 15 tickets pour un client nouveau. Plus la formation dispensée par la plateforme est efficace, plus nous allons vite. Donc plus les freelances eux-mêmes produiront vite et bien.
Par ailleurs, nous considérons que les freelances travaillent sur la base du volontariat. Nous n’avons pas de difficulté à les sourcer, ils sont 1 800 en activité en ce moment, et 3 500 dans la file d’attente. Tout se passe par bouche-à-oreille. Par rapport à nos concurrents, ils sont plutôt bien payés (près de 15 euros de l’heure sur la zone France, Royaume-Uni, Allemagne et Europe du nord). Ils travaillent en moyenne 20 heures par semaine, c’est un complément de revenu qui correspond souvent à un moment charnière, avant de lancer leur activité. »
NB. Et l’intelligence artificielle ?
Une plateforme, une base de données, de la technologie à tous les étages, le recours à l’intelligence artificielle semble évident. Nous avons posé la question sur ce que l’IA représente aujourd’hui dans l’activité de Onepilot et sur son évolution possible notamment concernant le partage des tâches humain et IA.
« Lorsque nous avons créé Onepilot, les 30 développeurs de l’équipe travaillaient sur des développements applicatifs. Il n’était pas question d’IA alors. Notre sujet était de traiter manuellement les tickets pour accumuler des données. Une fois ces données recueillies, il devenait possible de faire jouer des algorithmes. Aujourd’hui, sur les 30 développeurs, 6 travaillent sur l’IA et dans deux ans, nous prévoyons qu’ils seront 30 sur l’IA et 5 dans le développement d’applications. Traiter de manière automatisée par l’IA 10 000 tickets est un objectif que nous visons dans les 12 prochains mois. Mais nous aurons toujours besoin d’humains. Les agents restent nécessaires pour intégrer l’information propre à chaque nouveau client, en amont de l’automatisation. Ensuite, grâce au temps gagné, une fois les données acquises et vérifiées, nous pourrons de plus en plus leur confier des tâches à vraiment très forte valeur ajoutée. Progressivement, les algorithmes arriveront à repérer des modèles et à automatiser une partie des tickets, mais cette partie n’excédera pas les 40 ou 50 %. »
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