Comme l’a souligné François Lotz « l’existence d’un droit local alsacien-mosellan ne peut être réduite à cette approche strictement fonctionnelle. Loin de ne correspondre qu’à un certain nombre d’options de techniques juridiques qui n’intéressent que quelques spécialistes, ce droit local est, avant tout, la marque particulièrement expressive de l’histoire troublée et parfois tragique de la province qu’il concerne et le symbole d’un particularisme qui n’a pas été vraiment reconnu par les pouvoirs publics qui se sont succédés dans la région, ni entièrement effacé par le mouvement d’assimilation qui caractérise la période récente » [1].
La protection sociale
Cela particulièrement en droit social, entendu comme le droit du travail et celui de la sécurité sociale, ainsi que le droit de l’aide sociale applicable. Ces règles sont applicables non seulement à l’Alsace, mais également au département de la Moselle, le « droit local » est consubstantiellement « alsacien-mosellan ».
Certaines règles de ce « droit social local » sont très largement connues et régulièrement débattues. Entre incontestablement dans cette catégorie le régime complémentaire obligatoire légal territorial dit « régime local d’assurance maladie » instauré en 1946 et qui qui n’a strictement aucun lien avec le système bismarckien originel[2], si ce n’est une couverture généreuse du risque maladie. Financée par les seuls salariés du secteur privé, cette assurance frais de soins complémentaires gérée par une institution particulière permet à ces salariés et à leurs ayants droit de bénéficier d’une prise en charge – à présent codifiée[3]– des frais de soins plus généreuse. Ce système conduit non seulement à une solidarité avec les demandeurs d’emplois indemnisés et les retraités, mais permet également aux entreprises de bénéficier de tarifs substantiellement moins élevés pour leurs assurances complémentaires collectives frais de soins.
Le droit du travail
Les autres dispositions les plus populaires sont certainement les deux jours fériés supplémentaires chômés de par la loi du 26 décembre et dans les communes ayant un temple protestant ou une église mixte, le Vendredi saint. De plus, dans le secteur commercial, un employeur ne peut pas faire travailler les salariés le jour de Noël, le dimanche de Pâques et le dimanche de Pentecôte[4]. Pour les autres dimanches et jours fériés, il peut employer les salariés pour une durée maximale de 5 heures ; néanmoins, l’existence de « statuts locaux » aboutit à une interdiction quasi générale d’ouverture et d’emploi de salariés[5] même si le droit local ne prévoit ni majoration de salaire ni repos compensateur en ces cas. Le débat sur ces règles a pris ces dernières années de l’ampleur, notamment au regard de l’évolution des manières de consommer, des modes de vie et de la situation économique et sociale. Aujourd’hui, des assouplissements d’ouverture le dimanche sont de plus en plus admis, essentiellement dans les secteurs de l’alimentation, et profitent surtout aux petits commerces.
Les salariés exerçant leur activité en Alsace ou en Moselle bénéficient de la règle de l’article 616 du Code civil local aux termes duquel « l’obligé à la prestation de service ne perd pas sa prestation à la rémunération par le fait qu’il aurait été empêché d’effectuer la prestation pour une cause qui lui était personnelle, sans sa faute, pendant un temps relativement sans importance »[6]. Ce texte est devenu l’article L. 1226-23 du Code du travail. La jurisprudence considère qu’est un « temps relativement sans importance », une absence pour la garde d’un enfant malade[7] ou celle de 10 jours pour rester au chevet de son concubin malade[8]. Une règle similaire était prévue à l’article 63 du Code de commerce local en faveur des « commis commerciaux qui sont empêchés de travailler par suite d’un malheur »[9]. Le texte a été modernisé : il est devenu article L. 1226-24 du Code du travail : il vise toujours le commis commercial, mais suppose « un accident dont il n’est pas fautif » et l’impossibilité d’exécuter le contrat de travail. Le maintien de salaire est, en ce cas, égal à une durée maximale de six semaines. On notera que l’article L 1226-24 précise de ce Code que « pendant cette durée, les indemnités versées par une société d’assurance ou une mutuelle ne sont pas déduites du montant de la rémunération due par l’employeur ».
Pareillement à la durée de préavis, les dispositions du droit local ont été codifiées aux Articles L.1234-15 et suivants du Code du travail. Elles sont subsidiaires et différenciées : en matière de démission, la durée la plus courte est considérée comme la plus favorable pour le salarié. A l’inverse, en matière de licenciement, c’est la durée la plus longue qui est la plus favorable au salarié : la durée des préavis varie par conséquent selon les cas de quinze jours à six semaines.
D’autres dispositions sont moins connues, mais non négligeables.
L’aide sociale
On citera ainsi l’existence d’un droit territorial particulier de l’aide sociale pour les trois départements de l’Est sous la forme un revenu minimal communal[10], aujourd’hui codifié à l’article L. 511-2 du Code de l’action sociale et des familles. Là où le RSA intervient à 25 ans, la commune d’Alsace et de Moselle doit « un abri, l’entretien indispensable, les soins et prescriptions nécessaires en cas de maladie ainsi que des funérailles décentes ». On notera que le conseil municipal de la commune compétente, celle du domicile de la personne pauvre, est libre de fixer le seuil des revenus minimaux tout comme les ressources prises en compte tout comme l’objet de l’aide, mais également la forme de l’aide qui sera accordée.[11]
L’apprentissage
En Alsace et en Moselle, la personne chargée de la formation d’un apprenti de l’artisanat doit, en principe, remplir les conditions d’âge (24 ans) et de diplôme (Brevet de Maîtrise ou diplôme de niveau équivalent) en usage dans les trois départements. Ces critères ont été et codifiés à l’article R. 6261-9 du Code du travail. Dans des métiers de création récente ainsi que dans des cas particuliers, des dérogations peuvent, à titre révocable, être accordées par le préfet, après avis de la chambre de métiers. Cette dernière doit aussi être consultée avant tout retrait de cette dérogation. Alors que dans les autres départements, le contrôle de la formation des apprentis en entreprise relève du service de l’inspection d’apprentissage (Rectorat), il est assuré en Alsace et en Moselle par des inspecteurs relevant des chambres de métiers ou des chambres de commerce lorsqu’il s’agit de contrôler des entreprises commerciales[12]. De plus, les entreprises des départements d’Alsace-Moselle continuent à bénéficier d’un taux réduit pour financer l’apprentissage.
En guise de conclusion
On notera au final que les traductions des sources allemandes, devenues à partir de 1924 « droit local », ont été largement remplacées par des textes intégrés au Code du travail ou au Code de l’action sociale et de la famille. Pareillement les règles relatives au « régime local d’assurance maladie » longtemps fixées par arrêtés et par des décisions des instances du régime ont été intégrées au Code de la sécurité sociale en 1991. Les rapports entre droit local et droit commun semblent largement pacifiés au sein des grands recueils de textes applicables au champ du social.
Même s’il ne représente que quelques îlots dans l’océan de la réglementation sociale, ce « droit local social » illustre la préférence locale pour la sécurité et la solidarité. Il témoigne aussi, pour la complémentaire frais de soins obligatoire, l’apprentissage ou encore le revenu minimum communal, d’une gestion réussie confiée à des institutions locales (instance de gestion du régime local, communes).
La toute nouvelle collectivité européenne d’Alsace se voit attribuer les compétences départementales et la gestion des actions relevant du Fonds social européen par délégation de l’État[13] ou encore la possibilité pour une intercommunalité de déléguer à la collectivité européenne d’Alsace la compétence d’insertion par les activités de proximité [14] qui peuvent s’articuler avec les compétences communales en matière de revenu minimum.
S’il est emblématique, ce droit national d’application territoriale relève d’instances compétentes pour le faire évoluer que sont le Parlement et le Gouvernement : le droit local social n’implique aucune compétence législative locale et ne s’applique qu’à un territoire déterminé[15].
Les populations et les élus de la région — dont en particulier ceux de la Moselle, souvent très actifs en ce domaine — peuvent seulement exprimer des souhaits ou protester contre des atteintes, réelles ou parfois simplement supposées, à ces règles[16]. La question de la pérennité d’éléments du droit local social ressurgit en effet de façon récurrente, les récents débats lors de la réforme (« l’étatisation ? ») du droit de l’apprentissage en témoignent[17].
« A l’Est rien de nouveau ! »
Pour en savoir plus
[1] in: Encyclopédie de l’Alsace. vol. 4 Droit Local, Strasbourg, Editions Publi-total, 1983.
[2] L’Alsace-Moselle connaît un régime d’assurance maladie obligatoire depuis 1883 donc depuis presque de 130 ans, situation unique en France : Kessler F., Kerschen N. : L’assurance maladie en Alsace-Moselle : des origines à nos jours, Paris, éditions de l’IRJS, 2013 (coll. Bibliothèque de l’Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne – André TUNC Tome 40)
[3] Articles L325-1 à L325-3 du Code de la sécurité sociale
[4] Les articles 105 et suivants du Code local des professions (loi d’empire du 26 juillet 1900) ont été codifiés aux articles L 3134-1 à L3134-15 du Code du travail.
[5] Le Droit Local comporte des exceptions et des dérogations à la règle du repos dominical dans le commerce. Le maire (sauf à Metz) peut autoriser le travail les quatre dimanches avant Noël ainsi que certains dimanches ou jours fériés pour lesquels les circonstances locales rendent nécessaire une activité accrue. Dans ce cas, l’ouverture des commerces et l’emploi des salariés sont permis pendant 10 heures au plus. Le préfet peut également autoriser l’ouverture de catégories de commerces dont l’activité est nécessaire à la satisfaction des besoins de la population présentant un caractère journalier. Dans sa décision n° 2011-157 QPC, 5 août 2011 e Conseil constitutionnel entérine la limitation apportée à la liberté d’entreprendre par la disposition contestée (l’interdiction du travail le dimanche en Alsace-Moselle) au motif non pas du particularisme local car la même solution avait été adoptée à propos d’une disposition nationale ayant le même objet « au regard des conséquences économiques de l’obligation de repos dominical et des jours fériés »
[6]Soc., 26 sept. 2006, no 05-41.003.
[7]Soc. 19 juin 2002, Bull. V n° 206 ; rép. Jung n° 21775, JO 29 oct. 2013, AN quest. p. 11443
[8]Soc. 15 mars 2017, n° 15-16676
[9]« Le commis commercial qui, par suite d’un accident dont il n’est pas fautif, se trouve dans l’impossibilité de fournir son service, conserve ses droits au salaire et à l’entretien, mais pas au-delà d’une durée de six semaines ».
[10] Loi d’empire du 50 mai 1908 sur le domicile de secours et la loi d‘exécution du 8 novembre 1908 ; Kessler F., Wassmer F. , Le droit local de l’aide sociale Institut du droit local alsacien mosellan, Strasbourg 1986
[11] L‘article L. 511-5 du CASE propose quatre types d’aides différentes (secours en nature ou en espèces, placement dans un établissement d’accueil, fourniture d‘un travail ou d‘un accompagnement socio-éducatif, mais cette liste n’est en rien exhaustive tel qu’en témoigne l’emploi du terme « notamment » dans ledit article.
[12] C. trav., art. R. 6261-15 s.
[15] Le Conseil constitutionnel qualifie ainsi le corpus législatif local en principe de valeur constitutionnelle, Cons. Constit., décision n° 2011-157 QPC, 5 août 2011.
[16] Une Commission d’harmonisation du droit privé a été créée auprès du Ministre de la justice par un arrêté du 22 août 1985. De même, un Comité consultatif du droit local a été créé en 2001. L’Institut du droit local, ayant le statut d’association de droit local, est également consulté sur des questions spécifiques et travaille à la clarification des dispositions composant le droit local.
L’Institut du droit local, ayant le statut d’association de droit local, est également consulté sur des questions spécifiques et travaille à la clarification des dispositions composant le droit local.
[17] Par exemple l’avis du Conseil d’Etat du 29 mars 2018 sur l’apprentissage https://www.conseil-etat.fr/ressources/avis-aux-pouvoirs-publics/derniers-avis-publies/projet-de-loi-pour-la-liberte-de-choisir-son-avenir-professionnel et les protestations notamment de Jean Rotnner, président de la Région Grand Est… qui ont finalement conduit à un maintien d’une taxe réduite sur le territoire de la CEA et de al Moselle.
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