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Cette semaine Victor a pris des congés et a quitté le panier. L’occasion de retrouver de vieilles amitiés.

Marseille confinement

Bienvenue chez les OVQ

Y a des fois où je me demande ce que je fous là. Des réunions et visios qui s’enchaînent et se trainent. Non préparées, non animées, bien trop souvent désordonnées. Où chacun y va de son petit refrain et où au final on ne décide de rien. Marre de ce traintrain qui bouffe parfois mon quotidien. Marre parfois de ne pas se sentir utile, d’être absorbé par le futile. Marre enfin de ces multiples et contradictoires injonctions, de ces gens qui nous considèrent comme des pions, de ces fausses consultations. Suis-je le seul à souffrir de cette accumulation, de me poser des questions sur le rôle et le futur de l’administration ? Ce que je sais, ce que je vois en tout cas c’est qu’au bout de la cinquième ou sixième réorganisation l’humeur est à une grande résignation. Faute de boussole, le moral dégringole. Plus grave encore c’est tout l’esprit de service public qui souffre et qui s’étiole.

Dernière trouvaille du politique (et vraisemblablement de ses brillants consultants pour ne rien dire de ses communicants) : l’OVQ ! Sur un air de Jupiter, le prototype vient de Philippe mais depuis, ça se complexe, c’est désormais du Castex. L’eusses-tu cru ? Ils l’ont conçu, pondu puis répandu. Petit aperçu : ce sublime concept désigne les Objets de la Vie Quotidienne, désormais au centre, nous dit-on, des préoccupations publiques. Il faut nous rapprocher des citoyens, démontrer que la politique transformera leur quotidien. Que les réformes c’est pour leur bien. Et que s’ils ont l’esprit chagrin c’est qu’ils n’y comprennent rien. Qu’ils sont un peu bourrins. Bref, chaque ministère a désormais identifié un ou plusieurs de ces merveilleux objets. Manu se faisant impérieux, ça dégaine à qui mieux mieux : circulaires, reporting, indicateurs, comités de suivis, histoire de faire sérieux. On est même prié d’accélérer. Votre vie va changer ! Ne vous en êtes-vous pas aperçus ? N’êtes-vous pas convaincus ? Rêvez, dansez, chantez, voici les OVQ !

Un peu facile me direz-vous. Je passe à autre chose, du coup. Comme j’ai toujours envie de bouger, j’avais prévu une semaine de congés. Tout était rythmé, planifié, organisé. Des amis à visiter, des amours à retrouver et qui toujours me font b****r. Sans parler d’un anniversaire qu’à deux je voulais célébrer. Des liens forts, parfois très anciennement tissés. D’autres, plus récents, intéressants, prenants, parfois même perturbants. Dès la sortie de l’avion, rien ne se passe comme prévu. Trois messages. Maladies, fièvres, réactions post-vaccinations : presque tous mes plans s’écroulent, visites et retrouvailles si longuement attendues sont brutalement foutues. Parti plein d’énergies, je me retrouve las, à plat, sans batteries. Le soir je commence à broyer du noir, de celui qui vous abat, vous laisse peu d’espoir. J’ai beau me raisonner, me dire que tout cela est fortuit et ne pouvait être prédit, je voue Ilyas, Marie et Charly aux plus extrêmes gémonies. J’y pense presque toute la nuit. Le matin vient, je suis très chagrin, perdu en pensées qui ne font pas de bien. Face à Elisabeth, je tente de faire bonne figure, de cacher mes sombres déchirures. Elle sent les choses, m’interpelle, me fait une ouverture. « Mon bonhomme, va falloir que tu causes, que tu me dises ce qui te rend morose ». Je lui déballe la liste des imprévus et autres profondes déconvenues. Et là, elle me sort le grand jeu. « Tu te sens malheureux, moi je te vois chanceux ». Pour elle tout est simple, puisque rien n’est possible, tout est possible ! Il faut, dit-elle, que je fasse usage immédiat de mes nouvelles libertés. De penser plan B, plan C, plan D ! « Allez, allez faut pas se laisser tomber. Les amis chez qui j’avais prévu de t’emmener t’offriront certainement l’hospitalité. Avec eux, tu vas pouvoir souffler, te requinquer, te changer les idées ». Elle est la voix de la raison, je suis ses fortes suggestions. J’ai même en réserve une autre invitation. Que je n’avais pu placer dans ma belle organisation.

Entre Bretagne et Normandie, la vie, la mort, la pandémie

Avec Elisabeth, je n’en ai pas fini. Nous parlons des amours, des amis, de la vie. Et de la mort aussi, car me dit-elle, c’est la vie. Ces mots que l’on dit, que l’on lit, elle, les vit. Mort subite de Michel, son être chéri qui fut aussi un de mes vrais amis. Il avait longtemps erré et galéré avant de la trouver. Avec elle, l’amour avait enfin jailli, beau, fort, sans tromperie. Et puis, ce fut un mercredi ou un jeudi, une intervention sans grosse complication à priori. Une journée d’hôpital et une fin aussi fatale que brutale. Nous étions tous groggys, abasourdis. Dix-huit mois se sont écoulés depuis, Elisabeth est repartie. Rayonnante d’énergie. Je l’écoute, la regarde, conquis. La mort, je l’ai longtemps ignorée, refoulée, contournée. Comme beaucoup je n’aime pas en parler. Ça fait un bout de temps qu’elle a fauché des oncles, des tantes, des gens que j’ai aimés, pourtant je l’ai très vite oubliée. Mais en ce samedi il y a ces mots de mon amie, alors je m’y suis mis aussi.

Je me souviens d’un soir où elle s’est invitée. Sans m’avertir, me consulter. Elle était là, tout près de moi. Sa présence tenait de l’évidence. Elle était dans l’urgence et moi plongé soudainement dans la souffrance. Je plaidais sa clémence, son indulgence avec avouons-le une certaine impertinence. Ce n’est pas le moment lui ai-je dit fermement. Ce serait très injuste d’y passer maintenant. On s’est regardé, observé, mesuré. J’ai lutté, évité de glisser. Dans le sang et le noir, les pompiers étaient enfin arrivés et faisaient le tri des blessés. Je crus un instant qu’ils allaient m’oublier. Très vite pourtant ils se sont approchés. Nom, prénom, âge et qualité, combien de fois me l’ont-ils répété. J’étais limite exaspéré. Ne comprenant pas que c’était une technique éprouvée pour éviter de sombrer. Une fois dans l’ambulance, malgré la douleur, la soif, les circonstances, j’ai su qu’elle m’avait laissé filer. Mais que désormais elle n’allait plus me lâcher, pouvant à tout moment pointer le bout du nez. Depuis, mon père est décédé. Il la sentait venir depuis des années. La craignait, s’agrippait. Plus très envie de vivre, mais encore plus, peur de mourir. J’ai essayé parfois de lui parler, de lui prendre la main, de l’accompagner. Mais comment dialoguer lorsque toute une vie on ne s’est guère causé ? J’ai, lâchement, renoncé, préférant la facilité, des phrases parfois empreintes de vacuité, l’interrogeant sur ce qu’il avait mangé ou regardé à la télé. J’écris, je pleure, pardon papa, tu t’es senti si seul pour l’affronter. Maman, elle, y croit. En Dieu plus qu’en elle. Son itinéraire spirituel n’a rien de très traditionnel. Baptisée pour échapper à la Shoah, elle s’est depuis convertie et vit une vraie foi. Très peu pour elle, tout ou presque pour les autres, y compris pour son chat. Rien de superficiel, parfois, selon moi, un peu trop sacrificiel. Elle attend, se prépare. Croit au jugement dernier, à l’homme ressuscité. Malgré cela, malgré ses mots, je sens des doutes, la crainte de l’au-delà. J’espère pouvoir t’accompagner, partager, faire face à cette réalité. Je ne te laisserai pas partir comme est parti Papa.

La pandémie a tracé son mortel chemin. Beaucoup sont décédés sans un regard, sans une main. Trop inhumain. Certes les décisions dans le contexte sont plus que compliquées. Il y a des tas de paramètres, de choses à arbitrer. Entre économie, travail et santé. Éducation et risques de désocialisation. Éviter le fatal, préserver le moral. Aucun choix n’est facile, nombre de mesures impopulaires et difficiles. Aurait-il fallu se confiner plus strictement et plus tôt ? Éviter ce nouvel afflux dans les réas, les hôpitaux ? Au fur et à mesure que les chiffres s’envolent, que tout part de traviole, la confiance, déjà bien basse, dégringole. On dit souvent que lorsqu’on se regarde on se désole, mais qu’en se comparant, on se console. Vraiment ? Les courbes pourtant sont parlantes et certaines analyses venues d’ailleurs vraiment intéressantes.

Mais laissons ici ces propos forts peu légers pour revenir à mon périple, à ma semaine toute chamboulée. Le plan B fonctionna au-delà de ce que je pouvais espérer. Entre la Normandie et l’océan, Granville et Morbihan, ce fut un festival. Myriam et Denis m’ont fait l’honneur de leur maison. Bien placée, bien agencée, sobrement décorée elle se dresse face à la ria, ses îles, ses paysages et passages qui évoluent au gré du temps, des nuées, des marées. L’air y est fortement, iodé, ça me change de la Méditerranée. Lieu idéal pour souffler, respirer, se balader et méditer. Sans oublier de boire, manger et cuisiner. Conversations et discussions souvent passionnées, parfois intimes, parfois encore sur le monde et le présent régime. Je me suis fait traiter de décroissant, je l’ai pris, sache-le, pour une sorte de compliment ! Quant à toi qui surjoues le libéral, je sais qu’au fond tu restes très social.

Petit détour ensuite du côté de Granville. Une belle maison en haute ville. Récemment achetée, mais déjà fort bien rénovée. Delphine en a fait son refuge. Loin de Paris, de ses multiples tâches qui souvent la débordent et frôlent le déluge. Bien qu’elle fût accro aux visios, nous avons pu nous échapper, marcher sur une plage, nous enfoncer dans le sable, humer les vagues, admirer des nageurs se jetant à l’assaut des eaux, et plus encore des surfeurs accrochés à leurs planches et glissants sur les flots. Ancien port morutier et à présent grand port coquillier, la ville abrite quelques vieux bateaux. L’un est barré par un fier matelot. Un look, une gueule, une crinière de vieux loup de mer. C’est Christian que je connais depuis 40 ans. Nous ne nous sommes pas vus… depuis quand ? Je ne sais plus. Nous nous sommes retrouvés après toutes ces années. Tant de traversées, de choses à se raconter le temps d’un café et d’un déjeuner !

Il a bien fallu rentrer. Regagner mon Panier. Non sans une dernière halte. Elisabeth m’avait proposé de finir en beauté. Avec elle et sa fille, j’allais célébrer une nouvelle année. Mais surtout cette série de belles rencontres, d’amitiés forgées ou retrouvées, de proximités parfois insoupçonnées, de rires, de larmes partagées. Château-Margaux et champagne, mets raffinés et un dessert venu du meilleur pâtissier. Cette semaine quasiment toute improvisée fut aussi formidable qu’inespérée. Oublions déceptions et frustrations. Décidément il y a toujours une solution !

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