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Pour ce 11e épisode nous retrouvons un Victor vacciné mais toujours un tantinet inquiet.

Marseille confinement

Vents contraires, vénères et solidaires !

Les jours se sont succédés lentement, silencieusement. Au Panier, le soleil jouait à cache-cache avec le froid, la pluie, le vent. Le printemps émergeait, se tâtait, hésitait.   Ailleurs ce fut même un grand refroidissement causant nombre de dégât aux vignobles, aux arbres, aux champs. Écrire ? Je n’en avais ni l’envie, ni le temps. Et puis que dire après plus d’un an ? Le corona s’est incrusté dans nos corps, nos gestes, nos vies, les a rétrécies, bloquées, pourries. Nous nous sommes distanciés, repliés, avons mis en veille des relations, des amitiés. Nous avons été trop longtemps infantilisés, nos libertés limitées sont malheureusement parties pour durer. Cela nous a parfois déprimés, tentés par un certain laisser-faire, laisser-aller. Certains ont su malgré tout rebondir, penser à un autre avenir. Tout cela s’est mélangé et n’est pas encore bien décanté. Où en suis-je ? Et dans quel état j’erre ? Je me sens agité de sensations contraires, ne sachant que penser de cette période, difficile et délétère.

Ce qui me tient à flots, c’est mon boulot et mon asso. S’agissant du premier, j’essaie en dépit du contexte d’avancer. Les innovations professionnelles dont j’ai la responsabilité ne doivent pas être sacrifiées. J’en suis à mon 15e agent interviewé. Le malaise est palpable en haut en bas et au milieu ; ils n’y croient plus, n’écoutent plus, n’en veulent plus. J’entends et je comprends. J’espère pouvoir rallumer chez eux une petite flamme, de voir avec eux comment à nos métiers on pourrait redonner voir inventer une âme. Le défi semble insurmontable, mais j’y crois et m’en sens très immodestement capable. J’aimerais tant pouvoir embarquer tous les échelons dans un travail commun sur notre modernisation. Différente de celle qui se profile à coup de prescriptions et autres restructurations. Plus fidèle à l’esprit de nos diverses fonctions. Faire sens et retrouver du sens, pour nous et pour les citoyens sans lesquels nous ne sommes rien.

Côté asso, notre équipe a grossi et en quelques mois s’est aguerrie. Pas simple d’avancer quand tout ce que nous avions prévu — activités, rencontres, séminaires — se trouve une nouvelle fois reporté, annulé. Pas simple non plus de faire comprendre l’intérêt de l’engagement citoyen dans des programmes d’insertion où l’emploi est devenu une obsession qui fait fi des individus, de leurs compétences, de leurs envies et autres projections. Et pourtant nous tenons le choc, nos jeunes vont de l’avant, surmontent leur découragement, se forment à des tas de techniques, se prennent au jeu de monter leur grand mouvement numérique. Le nom est définitivement arrêté, ce sera Véneres&solidaires, j’y ai beaucoup poussé. Ils veulent par ce mouvement donner aux jeunes la possibilité d’exprimer leur vécu, leur besoin d’air, ne pas rester au dire, mais aller vers le faire, un faire solidaire avec ceux qui depuis un an souffrent et parfois tombent dans la misère. Les échanges se feront sur le terrain, mais aussi et c’est vraiment malin sur une plateforme reconnue de jeux vidéo auxquels tant d’eux sont devenus accros. Ils ont réussi à convaincre de nombreux copains, des partenaires et même des universitaires. L’aventure ne fait que commencer et je vous en tiendrai informés.

Gamberger et peut-être se tromper

Optimisme de la volonté. Mais pessimisme de l’intelligence, de la réalité. Je suis inquiet de ce qui nous attend. Je sens et pressens un monde d’après pire que celui d’avant. De repères bousculés en société de plus en plus fragmentée, repliée sur ces fameuses « communautés » et autres identités, je nous sens profondément troublés. Je crois vous en avoir déjà parlé, désolé alors de me répéter. Dans une société si déstabilisée, qui croit plus à la force de la radicalité qu’au courage exigé pour affronter le monde et sa complexité, certains ne croient plus qu’à un sauveur, l’armée. Fantasme d’un retour à l’ordre dans la Cité (en commençant bien sûr par les « quartiers »). Une agissante minorité s’emploie désormais à le diffuser. Il y a aussi cette étude d’une fondation célèbre qui montre que les jeunes se reconnaissent politiquement et majoritairement dans un RN qui fait désormais beaucoup moins peur que le FN. Enfin il y a l’économie, en grande partie exsangue après la pandémie. Les zones qui souffraient déjà avant s’enfoncent encore plus maintenant. Et que dire de la pauvreté qui va forcément déborder, exploser une fois que les aides auront cessé ? Tout cela ne sent pas bon. Et je ne crois guère à un rempart nommé Macron. Il ne suffit pas d’être très intelligent pour être bon président. À force d’avoir sous-estimé les inégalités, la souffrance des quartiers, des zones et des gens périphérisés, d’avoir cru aux premiers de cordée, ou encore pouvoir diriger par un excès de verticalité, le voilà condamné à jouer la carte de la sécurité. En face la droite ne sait toujours pas à quel saint se vouer, hésitant entre Bertrand, Wauquiez et Muselier et la gauche, au lieu de se régénérer s’est perdue entre querelles, égos et impensés. Quant aux écolos ils en sont encore à leurs difficiles apprentissages locaux.

J’aimerais pouvoir me rassurer, à quelques branches me raccrocher. Mais je crains fort que cette fois Le Pen puisse l’emporter. Certains le voient comme une fatalité et semblent déjà s’y résigner. D’autres n’y croient pas, disent, pensent que j’exagère, que nos ressorts sont plus profonds, que les Français ont en eux un bon fond. Mais il suffit de regarder autour de nous, en Europe, en Amérique et en Asie pour constater que la tentation de l’homme fort a gagné des gens de tous les bords ! Si Trump est finalement parti, ses émules, ses idées, rien de tout cela n’est terminé. Pourquoi en serions-nous préservés alors que notre histoire nous montre que plusieurs fois nous nous sommes nous aussi laissés tenter ? J’aimerais tant me tromper. Et faire quelque chose pour éviter l’effondrement démocratique qui nous guette et déjà me panique. J’ai su par une amie qu’un think tank se proposait de relever cet important défi. Or il est animé par les Legendre et autres tuti quanti, bref par le cœur de cette macronie qui croit en Napoléon et en la monarchie ! Les pyromanes se font pompiers, En marche sans peur et décidément sans pudeur !

Un chat shakespearien et autres petits riens

J’essaie de ne plus gamberger, de me changer les idées. De positiver, de voir les choses d’un œil léger puisque depuis peu j’ai été vacciné. De profiter de ce lent et prudent déconfinement. J’en ai même profité pour m’en aller. Retourner à Strasbourg fêter avec maman ses 92 ans. Famille, amis, voisins y ont contribué et se joints à moi pour le lui souhaiter. Le voyage en TGV cette fois m’avait ennuyé. De la Provence à l’Alsace, un ciel cafardeux, brouillardeux, des épisodes venteux ou pluvieux m’avaient accompagné. Une fois arrivé, je n’eus guère le plaisir de voir la ville, pressé tant par la pluie que par une furieuse envie ! À la porte de la maison me guettent son chat et son air polisson. Il attend patiemment, se glisse entre mes jambes, me caresse de sa queue, me regarde de ses yeux. Grand seigneur, de la porte puis de l’escalier, il me fait les honneurs. Un poil roux et blanc, épais, soyeux, brillant et élégant. C’est Puck, ainsi l’avait nommé Maman. Il y avait du Shakespeare dans cette appellation ! Mais aussi une raison pour laquelle Papa n’a jamais voulu prononcer son nom : c’était anglais, et donc forcément laid ! Il l’appelait minou ou bien juste « le chat », lui aussi l’aimait, le touchait et ça lui suffisait.

De Marseille je ne me suis pas longtemps éloigné. J’avais besoin de mon Panier, de mon quartier, de ses pentes et de ses escaliers. Mais aussi de la Méditerranée. Alors dimanche dernier, après avoir pensé à une rando, j’ai préféré me rabattre sur la mer, les îles, le bord de l’eau. Mon endroit préféré est au Frioul, à 20 minutes de bateau. Avec Claire nous sommes partis tôt pour échapper à la foule des badauds. Un ciel radieux, mais déjà un peu venteux (et qui le soir se montrera mistraleux et furieux !) Dès l’arrivée, un sentier pierreux débouchant sur une crique déserte qui nous sourit, nous rend heureux. Et tout autour, la grande bleue, mouvante et remuante, vivante et transparente. Nous nous sommes posés à ses côtés, mouillant prudemment le bout de nos pieds. J’attendrai quelques semaines encore avant de m’y plonger tout entier. Nous parlons politique, métier, société, pandémie et amitiés. Nous interrompant régulièrement pour jouir de la nature et de toutes ses beautés. Au-dessus de nos têtes, les goélands jouaient avec le ciel et glissaient sur le vent. En face, devant, derrière, des milliers de roches et rochers, austères, des monticules, des grottes, des falaises, des cratères. Un univers de sublimes créatures de pierre. Ornées et incrustées en cette saison de jaune, de rose, de quantité de fleurs sauvages qui poussent à foison. Elles célèbrent elles aussi le retour de la lumière, de la joie, de la vie. Et c’est ce que je vous souhaite en vous laissant ici.

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