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S’il fallait un dernier argument pour justifier l’exigence d’un nouvel acte de décentralisation de l’action publique en lien avec une réforme de l’État, l’abstention massive du vote des 20 et 27 juin 2021 vient de le fournir.

En fait c’est une toute petite minorité de citoyens qui parvient à identifier les compétences des régions et des départements d’autant plus que l’État persiste à s’en mêler et à impulser des dispositifs qui viennent s’additionner ou se substituer aux politiques régionales ou départementales. Les compétences des préfets, des départements et des communes viennent ainsi brouiller et encombrer le paysage administratif local et accentuer l’impossibilité pour les citoyens de se prononcer clairement pour telle ou telle majorité politique.

Les compétences des régions (transports, formation, développement économique, gestion des lycées, etc.) ne constituent pas un bloc suffisamment homogène et conséquent de l’action publique pour faire sens aux yeux des citoyens et même des partis politiques qui peinent à se distinguer sur ces questions. Les débats entre prétendants à la présidence des régions ont d’ailleurs illustré leur difficulté à développer des alternatives explicites aux politiques en place ce qui, en définitive, a conforté les « sortants ».

La campagne électorale, en dehors de sa confidentialité, a été marquée par l’absence de toute revendication claire de la part des différents partis d’un élargissement conséquent des compétences des régions alors même que la fusion d’une partie d’entre elles a créé les conditions d’une telle évolution. En effet les prérogatives de proximité des Conseils régionaux sont restées marginales et ont même régressé (ainsi le gouvernement les a récemment dépossédés du pilotage de l’apprentissage).

Rappelons que le budget global des Conseils régionaux (30 milliards d’euros, soit 13 % du budget total des collectivités locales) témoigne de cette très faible marge de manœuvre. Quant aux effectifs des Conseils régionaux (94 300 agents), ils ne pèsent que 1,6 % des 5,66 millions d’agents des trois fonctions publiques (Insee Première, n° 1842, mars 2021) et 4,9 % des effectifs de la fonction publique territoriale. Plus des trois quarts (79,3 %) du personnel des régions se composent d’agents de catégorie C (ouvriers et employés), issus de la filière technique (74,8 %) et qui officient principalement dans les lycées. Un petit quart (22,5 %) relève de la filière administrative.

Mais la situation la plus éclairante tient dans la comparaison État/régions entre les effectifs des agents de catégorie A (cadres). Les régions n’en comptent que 11 800 (0,6 % des fonctionnaires de catégorie A des trois fonctions publiques) alors que l’État en emploie 1 372 000. En réalité l’État a conservé l’essentiel des emplois de direction, de contrôle, de conception, de recherche et d’encadrement alors qu’il maitrise à peine 20 % des agents de catégorie C.

On prend la mesure des limites de la décentralisation « à la française » et surtout du poids d’une superstructure étatique impotente, car de plus en plus démunie d’effectifs opérationnels de terrain. La relative inconsistance des prérogatives régionales a récemment été illustrée lors de la pandémie quand Bercy s’est imposé comme le régulateur essentiel de l’aide aux entreprises, mais aussi du plan de relance alors que les régions sont supposées avoir une compétence économique importante.

En fait pendant des décennies, la gauche et la droite se sont accommodées d’une décentralisation insignifiante et complexe et d’un transfert à minima des compétences d’un État de plus en plus boursouflé et inopérant. Par exemple la dissociation originelle entre l’économique (confiée aux régions), le social (confié aux départements) et l’emploi (conservé par l’État) est un obstacle majeur à la lisibilité et l’efficacité de l’action publique locale.

Cette situation a créé les conditions d’une indifférenciation des partis de gouvernement dont les marges de manœuvre nationales et locales se sont réduites et d’une désaffection des citoyens confrontés à une absence d’alternative politique crédible dans le sens d’une véritable régionalisation de la politique publique « non régalienne ». On mesure aussi la désinvolture du pouvoir actuel qui accentue la déliquescence de l’État sans ouvrir d’espace d’action pour les collectivités locales ou les partenaires sociaux.

L’hypercentralisme du pouvoir macronien, lié au caractère ectoplasmique du parti présidentiel, a même exacerbé les forces populistes et le tropisme jacobin des partis de gouvernement (toujours concentrés sur l’élection présidentielle) au détriment d’une force alternative soucieuse de reconquérir les territoires. En fait l’abstention massive c’est d’abord le constat d’une absence de légitimité démocratique et opérationnelle des collectivités locales, et notamment des Conseils régionaux, qui ne peut être restaurée que par :

  • un transfert massif des prérogatives culturelles, éducatives, socio-économiques (emploi, formation, logement, transport) de l’État vers les Conseils régionaux qui ont aussi vocation à être les interlocutrices privilégiées des partenaires sociaux et de la société civile, notamment par le biais des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER) ;
  • la suppression des conseils départementaux et le transfert de leurs compétences vers les régions leur permettant de disposer de relais de proximité sur nombre de problématiques ;
  • un recentrage de l’État vers les fonctions régaliennes (défense, police, justice, santé) ;
  • une réforme profonde du système éducatif et de la formation professionnelle afin de déterminer un nouvel équilibre entre l’État, les régions et le niveau interprofessionnel régional.

En clair si les forces démocratiques ne parviennent pas à s’entendre sur une telle perspective, le désengagement citoyen va s’aggraver au moment même où les enjeux sociaux, économiques et écologiques deviennent cruciaux.

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