Alors que la remontée du chômage depuis le dernier trimestre 2024 – le nombre de chômeurs en catégorie A ayant augmenté de 3,9% – suscite des inquiétudes et que les reculs en matière écologique se multiplient, la lutte contre le chômage et contre le réchauffement climatique devraient être menés de front. C’est le sens par exemple de l’initiative des écoles de la transition écologique (ETRE) qui forment des jeunes sortis du système éducatif aux métiers essentiels à la transition. Plus largement, alors que près de 3 millions d’actifs (1) vont devoir être formés d’ici à 2030 pour réussir la transition écologique, l’objectif du plein emploi et la décarbonation de notre économie apparaissent comme étroitement liés.
La transition écologique fait naître des besoins de main-d’œuvre
La massification des filières clés de la transition écologique (rénovation des bâtiments, déploiement des énergies renouvelables, décarbonation des transports, développement de l’agroécologie, etc.) appelle un fort besoin de main-d’œuvre qualifiée, générant une création nette d’emploi jusqu’à 500 000 emplois d’ici à 2030. C’est le cas par exemple de la rénovation énergétique des bâtiments sur laquelle la DARES estime qu’il faudra créer entre 170 000 et 250 000 emplois d’ici 2030. Au global, le secrétariat général pour la planification écologique (SGPE) estime que d’ici 2030, 2,5 millions de profils de techniciens – soit environ 225 000 personnes par an – devront être formés dans les secteurs clés de la transition : l’industrie et l’énergie (35%), les transports (31%), le bâtiment (23%) et l’agriculture (11%).
La transition écologique offre des opportunités d’accès à l’emploi
Nécessaires pour faire face à l’urgence écologique, ces besoins massifs en compétences offrent des opportunités d’accès à l’emploi durable pour des publics éloignés de l’emploi ou peu qualifiés. C’est le cas en particulier dans les activités d’économie circulaire, le maraîchage et le bâtiment où des acteurs d’insertion par l’activité économique sont déjà présents (recycleries, jardins de cocagne, etc.). La transition écologique peut ainsi générer des opportunités d’accès à l’emploi pour des publics qui en sont éloignés. Encore faut-il que les politiques de l’emploi et de formation soient clairement orientées vers le développement de ces nouvelles filières de métiers.
Pas de transition écologique possible sans politique de l’emploi adaptée
La décarbonation de notre économie et la réorientation de la politique apparaissent donc comme deux enjeux intimement liés : sans réorientation de la politique de l’emploi les filières clés de la transition écologique vont se heurter à une pénurie de compétences ; à l’inverse le soutien aux filières de la décarbonation de notre économie peut permettre un accès durable à l’emploi à des publics sans qualification et éloignés de l’emploi. Pour résumer : pas de transition écologique sans politique de l’emploi, pas de plein emploi sans transition écologique.
La politique de l’emploi n’est pas à la hauteur du défi écologique
A plusieurs égards, les politiques de l’emploi et de la formation ne sont aujourd’hui pas à la hauteur du défi écologique.
D’abord, la politique de la formation professionnelle menée depuis plusieurs années n’est pas ciblée et finance de manière indifférenciée toute action de formation. C’est le cas d’une part du compte personnel de formation (CPF) qui finance environ 1,5 million de dossiers de formation par an (soit plus de 2 Milliards d’euros en 2023) sans orienter les bénéficiaires vers des formations aux filières de métiers d’avenir. C’est le cas aussi du financement de l’apprentissage – dont le coût atteint 16 Milliards d’euros en 2024 – qui n’est pas non plus ciblé : toutes les entreprises signant des contrats d’apprentissage bénéficient d’une aide à l’embauche sans que ces aides ne soient conditionnées à des secteurs ou à un niveau de qualification. Ce financement tous azimuts, critiqué par la Cour des comptes(2), ne concentre pas les moyens sur les besoins prioritaires en compétences pour faire face à l’urgence écologique ni sur les publics les moins qualifiés.
Ensuite parce que le financement de la formation des demandeurs d’emploi fait aujourd’hui défaut. Alors que le premier quinquennat d’Emmanuel Macron avait été marqué par un plan d’investissement dans les compétences (PIC) de 15 Milliards d’euros sur 4 ans (2018-2022) pour former les publics éloignés de l’emploi aux métiers en tension, les crédits alloués à la formation des demandeurs d’emploi ont été considérablement réduits lors du PLF pour 2025, en recul de 230 millions par rapport au budget 2024. Or, l’investissement dans la formation des demandeurs d’emploi aux métiers d’avenir est clé pour réussir la transition écologique, le déterminant de l’entrée en formation de demandeurs d’emploi restant la possibilité d’obtenir un financement couvrant le coût de la formation. La commande publique est par ailleurs un levier efficace pour réorienter l’appareil de formation vers les métiers de la transition, dans un contexte où selon le Shift Project “l’absence de demande” est le “facteur le plus limitant dans la réponse de la formation aux enjeux de la transition écologique (3).
Réorienter la politique de l’emploi vers la transition écologique
La politique de l’emploi doit être réorientée et plus largement réorganisée autour de la transition écologique. Plusieurs propositions peuvent être formulées en ce sens.
Cibler la formation professionnelle sur les métiers de la transition
Plus de 200 000 techniciens devront être formés chaque année dans les secteurs clés de la transition écologique selon les estimations du SGPE sans que ni les financements ni l’offre de formation professionnalisante ne permettent d’absorber de tels volumes. Dans ce cadre, les pouvoirs publics devraient soutenir le financement et la structuration d’une offre de formation professionnelle aux filières clés de la transition écologique.
D’abord un plan d’investissement pluriannuel dans la formation des demandeurs d’emploi, ciblé sur les filières de métiers clés de la transition, pourrait être impulsé. A l’instar de l’ancien PIC, ce plan pourrait être ciblé sur les publics peu qualifiés et contractualisé avec les régions pour permettre d’adapter son contenu aux besoins de l’économie locale.
Ensuite, à l’instar de l’initiative la Grande École du Numérique conçue en 2013 pour structurer l’offre de formation aux métiers du numérique, une « Grande école de la transition écologique » pourrait soutenir l’amorçage, le développement territorial et la mise en réseau des initiatives de formation aux nouvelles filières de métiers de la transition écologique, en conditionnant ces financements à des exigences de qualité de la formation, de taux d’insertion et de diversité sociale des participants.
Orienter le CPF vers les filières de métiers de la transition écologique
Le CPF pourrait être orienté vers les filières de métiers prioritaires de la transition écologique. A cet égard, la région Pays de la Loire a fait le choix d’abonder les CPF en soutenant les achats individuels de formation certifiante pour exercer un métier contribuant à la transition écologique ; ce dispositif couvre 90% du reste à charge pour les bénéficiaires et favorise ainsi les reconversions dans les secteurs de la transition écologique. Cette initiative pourrait être généralisée, par un abondement systématique sur tous les achats individuels de formation certifiante dans les secteurs de la transition.
Investir dans l’enseignement professionnel
L’enseignement professionnel se porte mal du fait d’un taux de décrochage important (20% contre 8% sur la filière générale) et d’un taux d’insertion professionnelle faible (40% des titulaires d’un bac professionnel trouvent un emploi dans les 6 mois après la fin de leurs études) alors qu’il a un rôle clé à jouer pour répondre aux besoins de compétences exprimés par la transition écologique. Pour y remédier, un plan d’investissement dans les lycées professionnels pourrait être engagé pour créer de nouvelles filières d’enseignement répondant aux priorités de la planification écologique.
Inscrire l’IAE dans une stratégie de planification écologique
De nombreuses structures d’insertion par l’activité économique (IAE) sont aujourd’hui présentes sur les métiers de la transition écologique, adaptés à l’insertion professionnelle et sociale des publics éloignés de l’emploi, comme l’économie circulaire ou l’alimentation durable. Alors que l’IAE avait été soutenu ces dernières années, le budget 2025 a réduit l’enveloppe des aides aux postes d’insertion fournies par l’État de 50 M d’euros par rapport à l’année 2024 ce qui représente 11 000 parcours d’accompagnement en moins selon les responsables du collectif IAE. La formation professionnelle des salariés en parcours d’insertion a également subi des coupes budgétaires, avec un budget de 30 M d’euros de moins qu’en 2023 pour le “ PIC IAE” qui avait déjà été réduit de 10 M d’euros en 2024 soit près 30 000 personnes qui ne reçoivent pas de formation et dont le parcours d’insertion pourrait échouer selon le DGA de la Fédération des entreprises d’insertion, Antoine Laurent. Dans ce cadre, un soutien de l’IAE serait nécessaire en revenant sur ces coupes budgétaires et en inscrivant plus largement le financement de l’IAE dans une stratégie globale de planification écologique.
Instaurer une garantie à l’emploi vert
L’urgence écologique met en lumière des besoins essentiels qui ne sont pas pris en charge par l’emploi marchand – en matière d’économie circulaire ou de protection des écosystèmes naturels notamment – soulignant que « ce n’est pas le travail qui manque mais c’est l’emploi ». C’est ce renversement de perspectives qui sous-tend l’expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée » qu’une proposition de loi vise à généraliser, plus d’un tiers des emplois créés dans le cadre de ce dispositif étant aujourd’hui orienté vers des métiers de la transition écologique. Dans le prolongement de cette expérimentation, l’idée d’une « garantie à l’emploi vert » qui avait donné lieu à une proposition de loi au Sénat (4) vise à proposer à tout chômeur de longue durée, un emploi utile à la transition écologique ou à l’action sociale en lien avec ses qualifications et sur la base du volontariat. Cette « garantie à l’emploi vert » permettrait à la fois de répondre aux besoins exprimés par la transition écologique et en même temps de constituer une « assurance emploi » pour les personnes qui en sont durablement éloignées.
Former le service public de l’emploi aux métiers de la transition écologique
Alors que la méconnaissance des métiers liés à la transition écologique explique en partie le manque de formation sur ces métiers, les conseillers en orientation (France Travail, APEC, missions locales) doivent pouvoir orienter les publics vers ces métiers et formations. Pour y répondre, des agences France Travail en Isère ont initié un parcours de professionnalisation des conseillers dans l’accompagnement des “bifurqueurs”, en partenariat avec des acteurs locaux de l’économie sociale et solidaire et avec le soutien de l’État. Cette expérimentation en Isère est illustratrice de l’effort de formation aux métiers de la transition écologique qui doit être réalisé auprès de l’ensemble des agents France Travail afin de leur permettre de mieux orienter et sensibiliser les demandeurs d’emploi vers ces filières de métiers.


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