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par Jean-Marie Luttringer

On a beaucoup parlé à propos de la « Loi travail » de la négociation au niveau de l’entreprise, de son articulation avec la négociation de branche, de la possibilité de référendums en cas de blocage…Metis y revient avec l’une des « Chroniques » de Jean-Marie Luttringer, juriste du travail et de la formation, qui analyse l’histoire et le présent des relations sociales au sein des entreprises en Allemagne.

 

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1. Qu’est-ce que le modèle allemand ?
« Quel est le modèle auquel vous pourriez vous référer s’agissant de la négociation collective d’entreprise ? ». Le modèle allemand, répond sans trop d’hésitation Laurent Berger secrétaire général de la CFDT, au journaliste de France Inter qui l’interroge sur les enjeux « de la loi travail ».

Syndicalisme majoritairement unitaire, taux de syndicalisation relativement élevé (6,5 millions d’adhérents), autonomie financière, aucune subvention publique (à l’inverse des partenaires sociaux français dont aucun n’atteint le seuil de 50 % de ressources propres à l’exception du Medef) (1), 8 branches professionnelles regroupées au sein du DGB (700 champs conventionnels en France), disposant du pouvoir normatif que confère la négociation collective et seules titulaires du droit de grève (qui n’est pas un droit individuel, mais un monopole syndical ), codécision et cogestion dans l’entreprise….(2)

Sauf que… le syndicat n’a ni existence juridique dans l’entreprise allemande ni capacité à négocier à ce niveau…. En se référant au modèle allemand, Laurent Berger, paradoxalement, renvoie à un dialogue social d’entreprise, sans intervention directe du syndicat, dans la grande majorité des cas (3). Sans doute n’est-ce pas là son projet, qui est plus largement de promouvoir la culture du dialogue social en France, fondée sur le compromis, illustré par l’Allemagne. Il demeure que la référence au modèle allemand par le secrétaire général de la principale organisation syndicale qui défend « la loi travail » dans sa version actuelle, invite à y regarder de plus près et à s’intéresser à ses fondements historiques et juridiques, en particulier dans l’entreprise.


2. Des explications à ce paradoxe peuvent être trouvées dans deux périodes charnières de l’histoire politique et sociale allemande : 1918/1920 et 1945/1952

 

À l’issue de la guerre de 1914/1918 l’Allemagne connaît un épisode révolutionnaire de quelques mois qui se caractérise par la tentative de prise de pouvoir dans toutes les sphères de la société du mouvement des conseils ouvriers. Les conseils ouvriers portent le projet de se substituer aussi bien aux syndicats, qu’aux partis politiques réformistes tous deux qualifiées de « social traîtres ». Dans l’entreprise ils se substituent aux différentes formes de représentation du personnel, notamment les comités d’entreprise d’inspiration « paternaliste », favorisés par le patronat. « Tous les pouvoirs aux conseils ouvriers » est le mot d’ordre qui exprime l’idéologie de cette forme d’organisation « totalisante » de la vie politique, économique et sociale. Cependant à la vision « autogestionnaire » des conseils ouvriers, théorisée par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht et le mouvement « Spartakiste » (4) s’est rapidement substitué le modèle « des soviets » contrôlé par le parti communiste, qui s’est implanté dans la Russie voisine, devenue Union soviétique le 30 décembre 1922 (suite à la révolution d’octobre 1917), alors que dans la vision de Karl Marx, c’est en Allemagne que la révolution anticapitaliste devait trouver son terrain d’élection.


C’est ce séisme politique qui a accouché du modèle, toujours en vigueur en Allemagne, de la représentation collective des salariés dans l’entreprise à travers le conseil d’entreprise que l’on peut considérer comme un avatar des conseils ouvriers.

En effet, en mettant fin au mouvement des conseils ouvriers d’inspiration révolutionnaire, la république de Weimar d’inspiration sociale-démocrate, institue au plan politique la démocratie parlementaire représentative et au plan social une organisation de la démocratie fondée sur une dissociation radicale entre le niveau de l’entreprise qui doit être préservé de toutes les formes de lutte sociale et le niveau extérieur à l’entreprise ou le recours à des formes de lutte sociale strictement encadrées est possible.


Le niveau extérieur à l’entreprise (Uberbetriebliche ebene)
repose sur la reconnaissance « à parité » des organisations syndicales de salariés et des associations d’employeurs investies d’un pouvoir normatif exercé à travers la négociation collective et dépositaires, également à parité, des moyens de lutte que sont la grève et le lock-out (Waffengleicheit). Le principe de parité entre formes d’organisations patronales et formes d’organisation des salariés a été étendu au champ économique et s’est traduit par la création de chambres du travail qui sont le pendant des chambres de commerce et de l’industrie considérées comme des formes d’organisation patronale. Aujourd’hui encore ce modèle, créé en réponse au mouvement des conseils ouvriers révolutionnaires par la république de Weimar, existe en Autriche, au Luxembourg et dans plusieurs Länder allemands, dont la Sarre et Bremen. Les chambres du travail jouissent de compétences institutionnelles telles que la formation professionnelle et l’action économique au bénéfice de salariés. Elles ne disposent ni du pouvoir normatif conféré par le droit de la négociation collective ni de la capacité à recourir à des moyens de lutte sociale, dont la grève.

Au niveau l’entreprise (Betriebliche ebene) les intérêts de la collectivité des salariés (Belegschaft) sont assurés par une assemblée générale du personnel qui élit les représentants qui siègent au sein du conseil d’entreprise doté de la personnalité morale. Le président du conseil d’entreprise est un salarié élu, et non l’employeur comme c’est le cas pour le comité d’entreprise français (qui de ce fait ne peut contracter avec lui-même). Le conseil d’entreprise est doté de pouvoirs de codécision d’intensité variable (et non d’un simple pouvoir consultatif) et d’une capacité à négocier des accords d’entreprise (Betriebsvereinbarung), sur des sujets expressément délimités par la loi, notamment l’organisation du temps de travail, et non contradictoires avec les conventions collectives de branche, sauf « clauses d’ouverture » qui autorisent des dérogations.

Le recours à la lutte sociale est interdit au conseil d’entreprise. Les conflits pouvant survenir entre le conseil d’entreprise de l’employeur doivent être réglés par la voie de l’arbitrage et sont portés devant le juge en cas d’échec de cette procédure. La lutte sociale sous la forme de la grève ne peut être engagée que par le syndicat à l’extérieur de l’entreprise dans le strict cadre de l’échec d’une négociation collective. Toute autre forme de grève est considérée comme illégale.

Le droit collectif du travail interne à l’entreprise est régi par une loi portant
« constitution sociale de l’entreprise » (Betriebsverfassungsgesetz), à l’image de la constitution politique qui exprime des valeurs et organise la vie politique et institutionnelle d’une nation.


Dans cette architecture, qui constitue la réponse de la démocratie parlementaire au mouvement des conseils ouvriers révolutionnaires, les organisations syndicales de salariés, reconnues par la constitution de Weimar (article 165) (5) à l’extérieur de l’entreprise, à parité avec les organisations d’employeurs, n’ont pas d’existence juridique dans l’entreprise elle-même, dans laquelle ils sont considérés comme des « corps étrangers ».

3. Ce modèle est balayé, comme toute forme de vie démocratique, par l’avènement du nazisme en 1933, il resurgit en 1945 après quelques tentatives sporadiques de retour vers le modèle des conseils ouvriers de 1918, à l’initiative du parti communiste, en lien étroit avec l’Union soviétique.

Les puissances occupantes de l’Allemagne de l’Ouest y ont mis très rapidement fin en incitant fortement les partenaires sociaux, organisations syndicales de salariés et organisations patronales, à se restructurer en vue de la reconstruction de l’économie, et d’une démocratie pluraliste, mais aussi pour faire face à la menace communiste (Guerre froide). Le parti communiste sera interdit en Allemagne de l’Ouest en 1956 au motif que ses valeurs et son mode d’organisation sont en contradiction avec la loi fondamentale allemande.

Il en est résulté du côté des organisations syndicales de salariés, le DGB, constitué de 16 fédérations sectorielles (réduites aujourd’hui à 8). Les associations syndicales de salariés et d’employeurs assurent la négociation collective à l’extérieur de l’entreprise, comme ce fut le cas sous la république de Weimar. Le principe d’autonomie de la négociation est affirmé par la loi fondamentale (Tarifautonomie) ainsi que celui de l’égalité des armes à savoir la grève pour les syndicats de salariés et le lock-out pour les employeurs.

4. Quant à l’organisation sociale de l’entreprise, elle résulte d’une loi de 1952 révisée à plusieurs reprises (1972 ,1976), toujours en vigueur, qui s’inscrit dans la filiation directe de « la loi sur la constitution sociale de l’entreprise » forgée par la république de Weimar, comme bouclier contre l’introduction dans l’entreprise de l’idéologie de la lutte des classes : une collectivité de travail dotée d’une personnalité juridique, un conseil d’entreprise dont la présidence est assurée par un représentant des salariés, doté de pouvoirs de codécisions et d’un pouvoir de négocier des accords d’entreprise sur des thèmes limitativement définis par la loi et en cohérence avec la négociation collective externe à l’entreprise. L’obligation de collaboration confiante (vertrauensvolle zusammenarbeit) et de paix sociale (Friedenspflicht), l’injonction de prendre en compte les seuls intérêts de la collectivité des salariés parties prenantes à la vie de l’entreprise, l’interdiction du recours à la lutte sociale au moyen de la grève, demeurent des valeurs fondamentales de ce système juridique. 

Au plan juridique, on peut considérer que l’Allemagne a opté pour « la théorie institutionnelle » (6) de l’entreprise, débattue en France dans les années 50 (Paul Durand), qui n’a jamais connu de traduction concrète. Ni les tentatives
« d’associations capital /travail » ni la participation aux fruits de l’expansion, ni l’intéressement, ni le comité d’entreprise à compétence consultative n’ont franchi le Rubicon de la reconnaissance juridique de la collectivité de travail dotée de la personnalité juridique, de compétences et d’organes, qui permettent leur mise en œuvre effective.

5. Le fait que le syndicat soit un « corps étranger » dans l’architecture juridique du droit collectif de l’entreprise allemande n’exclut pas, bien entendu, une influence de fait fondée sur l’existence d’un syndicalisme unitaire, reconnu et puissant dans la société allemande, qui apporte soutien méthodologique, juridique et technique aux conseils d’entreprise, dont la grande majorité des membres sont adhérents au DGB, qui dispose de représentants dans les conseils de surveillance des grandes entreprises soumises au régime de la cogestion économique (7), et qui entretient des réseaux d’hommes de confiance (vertrauensleute) dans de nombreuses entreprises. Il reste que les intérêts des salariés des entreprises allemandes sont représentés et défendus par une instance unique, le conseil d’entreprise, dont la légitimité repose non pas sur la désignation, mais sur l’élection par l’assemblée générale du personnel. Les fonctions assurées en France par les délégués du personnel, les délégués syndicaux et les sections syndicales d’entreprise, le CHSCT, sont assurées par cette instance unique instituée à partir de cinq salariés dont le nombre d’élus est indexé sur l’effectif de l’entreprise.

 

Si l’architecture générale de ce modèle est demeurée stable depuis 1952, elle a été soumise depuis le milieu des années 80 à de fortes tensions du fait des mutations qu’a connues le marché du travail. Les équilibres entre la négociation de branche, conduite à l’initiative des seules organisations syndicales et associations patronales, et la codécision/négociation d’entreprise par les conseils d’entreprise et l’employeur, notamment sur les questions d’organisation du temps de travail et d’emploi ont été bouleversés : de grandes entreprises non adhérentes aux organisations patronales et de ce faite non soumises à des conventions collectives de branche n’ayant pas fait l’objet de procédures d’extension, négocient à leur propre initiative (Volkswagen et d’autres), des conventions collectives de branche contiennent des clauses d’ouverture autorisant l’élargissement du champ de la négociation d’entreprise par les conseils d’entreprise, certains conseils d’entreprise outrepassent le domaine de compétence pour négocier des accords sur l’emploi avec le chef d’entreprise (8).

 

6. Les fondements historiques et juridiques du modèle de relations professionnelles allemand, trop différents des fondements du modèle français, invitent cependant à la réflexion critique sans qu’il puisse pour autant être question de transposition.


Voici quelques-uns des sujets controversés mis à nu par « la loi travail » et que ne connaît pas le modèle allemand de relations professionnelles :

– La mesure de la représentativité syndicale dans l’entreprise et hors de l’entreprise, qui n’est pas un sujet en Allemagne, en raison d’un syndicalisme majoritairement unitaire, structuré en huit branches (en lieu et place de 700 champs conventionnels en France…) et du fait que le syndicat n’ayant pas d’existence juridique dans l’entreprise, il n’y a pas lieu d’y mesurer sa représentativité.

– La question dite de « l’inversion de la hiérarchie des normes » ne se pose pas davantage puisque la compétence du conseil d’entreprise est expressément délimitée par la loi et qu’elle est subordonnée à la négociation de branche (sous réserve que celle-ci soit respectée ce qui n’est pas toujours le cas dans la dernière période).

– Il en va de même de la question du mandatement syndical, la légitimité du conseil d’entreprise étant assurée par l’élection et non par la désignation. Dans cette architecture le référendum n’a pas davantage sa place. En revanche, les élus au conseil d’entreprise rendent compte de leur action devant l’assemblée générale à intervalles réguliers.

– L’absence d’une négociation au niveau national interprofessionnel, en vue de préparer la réforme du Code du travail , qui est l’un des arguments invoqués par les syndicats français opposés « à la loi travail », pour justifier diverses formes « de lutte sociale » ne pose pas davantage question en Allemagne, qui ne connaît pas ce niveau de négociation, ni d’ailleurs la théorie « de la loi négociée » selon laquelle on ne pourrait légiférer en matière de travail avant d’avoir négocié. La flexibilité du marché du travail issue des réformes Schröder a d’ailleurs été introduite sans le recours à la théorie « de la loi négociée » et sans le recours par les organisations syndicales de salariés à des formes « de lutte sociales » comparables à celle que connaît aujourd’hui la France.

L’ADN « révolutionnaire » des mouvements ouvriers allemands et français des origines, à savoir la lutte des classes, extirpé par la social-démocratie allemande, en 1918 et en 1945 avec le concours des puissances occupantes, et au congrès du parti social-démocrate de Bad Godesberg en 1959, demeure en revanche actif dans plusieurs des organisations syndicales de salariés françaises, dont la CGT et FO, non seulement dans leur « cerveau reptilien » (9), mais au cœur même de ces organisations qui abritent des représentants des courants politiques de la gauche dite « révolutionnaire » (trotskistes, Lutte Ouvrière…) qui exercent une influence non négligeable en particulier sur les formes de l’action revendicative et le refus de « l’institutionnalisation » du syndicat, qui doit rester un instrument de la lutte sociale, dont l’entreprise est l’épicentre, au service d’un projet politique « révolutionnaire ».

7. Conclusions


Quelle démocratie pour l’entreprise ?
L’histoire, qui ne ment pas, après les avoir testés, a écarté dans tous les pays du monde les conseils ouvriers et les soviets comme forme d’expression de la démocratie sociale dans l’entreprise.

Elle a également écarté en Allemagne la transposition dans l’entreprise du modèle de la démocratie parlementaire, assurée par des syndicats pluralistes fondés sur des idéologies différentes, et concurrents dans l’entreprise pour représenter les intérêts des salariés. Le modèle retenu est celui de la théorie
« institutionnelle de l’entreprise » fondée sur la personnalité juridique de la collectivité des salariés dont les organes sont l’assemblée générale du personnel, le conseil d’entreprise élu présidé par un représentant des salariés et doté de pouvoirs de codécisions et de négociation relatifs aux questions internes à l’entreprise. L’existence d’un syndicalisme unitaire, puissant (bien qu’affaibli), à l’extérieur de l’entreprise, qui a su construire des liens fonctionnels avec les conseils d’entreprise, et la prééminence de la négociation collective de branche ont pour l’essentiel été préservés.

Le modèle français, fondé d’une part sur un comité d’entreprise élu, mais sans pouvoir de codécision ni de négociation, et d’autre part sur la transposition dans l’entreprise du modèle de la démocratie parlementaire représentative fondé sur un syndicalisme « idéologique », pluraliste et divisé, est en crise.

C’est dans ce contexte que « la loi travail », écarte le rapport Badinter fondé sur des valeurs et une vision émancipatrice du droit, pour emboîter le pas au rapport Combrexelle qui affirme la prééminence de la négociation collective et de manière générale du dialogue social, mais dont la vision du droit du travail dans l’entreprise est celle d’une technique de gestion et qui fait l’impasse sur la réalité du rapport de force du mouvement syndical français dans l’entreprise.

Le Medef à front renversé sur la négociation d’entreprise.

Sur la question de la prééminence de la négociation d’entreprise qui constitue l’une des pierres d’achoppement de « la loi travail » le Medef est aujourd’hui à front renversé. À l’occasion de la reconnaissance du droit syndical dans l’entreprise, délégués syndicaux et sections syndicales en 1968, et après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, un fort mouvement en faveur du développement de la négociation d’entreprise s’était manifesté de la part des organisations syndicales de salariés, en particulier la CFDT mais aussi la CGT, auquel le patronat s’était farouchement opposé. Au milieu des années 90 le Medef par la voix de son président, Antoine Seillière, a opéré un virage à 180° (10) en prônant l’entreprise comme lieu privilégié de la négociation collective. Le Medef a réaffirmé cette orientation dans les débats préparatoires à « la loi travail » (11).

L’anémie du mouvement syndical français et son absence de la grande majorité des entreprises en raison notamment de leur petite taille, ne sont sans doute pas étrangères à ce virage. Et le même argument vaut pour expliquer le refus que traduit le mouvement social actuel animé par la CGT et FO de voir se déplacer aujourd’hui vers l’entreprise le pouvoir normatif lié à la négociation collective.


Que faire ? (12)

Le Modèle allemand, que cette chronique n’a pas pour ambition de transposer en France, suggère cependant trois pistes de réflexion pour consolider la démocratie sociale dans l’entreprise :

En premier lieu, sous forme de clin d’œil, suivre les enseignements de la social- démocratie allemande pour instaurer la démocratie sociale dans l’entreprise plutôt que ceux de Lénine, qui confie cette tâche à « une avant-garde de révolutionnaires dévoués ».

En second lieu il serait bienvenu « de pousser les feux » du processus d’ores et déjà engagé par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux, de restructuration et de renforcement des branches professionnelles en leur conférant le pouvoir normatif le plus large, compatible avec les principes de l’ordre public social édicté par la loi. La puissance des branches et leur capacité à négocier y compris par le recours à la lutte sociale réduira d’autant les risques d’instrumentalisation de la négociation d’entreprise du fait notamment de la faiblesse de la présence effective des syndicats dans la grande majorité des entreprises.

Enfin, la proposition la plus originale que le modèle allemand nous suggère, déjà envisagée d’ailleurs par Louis Gallois dans son rapport sur la compétitivité de l’économie française (Documentation Française 2012), serait de transformer la nature du comité d’entreprise et de renforcer sa compétence. Le seul fait de confier la présidence du comité d’entreprise à un salarié élu et non plus à l’employeur changerait radicalement la donne en ouvrant un espace de codécision et de négociation sur des sujets en rapport avec la vie interne de l’entreprise.

En marquant une préférence pour le modèle allemand de dialogue social dans l’entreprise Laurent Berger, sans surprise, exclut de facto la référence au syndicalisme révolutionnaire sous ses différentes formes, mais il ne se prononce pas sur les éléments structurants de ce modèle dans lequel le syndicat, reconnu et puissant à l’extérieur de l’entreprise est, au plan juridique, à la différence du modèle français, un corps étranger, en son sein.

 

Pour en savoir plus :

(1) Selon le site DILA , alors que le syndicalisme allemand vit des seules ressources allouées par ses adhérents et de celles générées par son patrimoine, ce qui garantit sa puissance et son autonomie, aucune des organisations syndicales de salariées françaises, représentatives au niveau national et interprofessionnel n’atteint 50 % de ses ressources du seul fait des cotisations de ses membres : CFDT 41,2 %, CGT 34,8 %, CFE-CGC 33,7 %, FO
31,5 %, CFTC 14 %. Pour les trois organisations patronales interprofessionnelles, les cotisations représentent : pour le Medef 64,3 %, pour la CGPME 36,5 % et pour l’UPA 33,2 % des ressources.


(2) Le DGB regroupe aujourd’hui huit syndicats de branche qui comptent 6,5 millions d’adhérents dont une minorité se retrouve dans un syndicat chrétien, un syndicat de fonctionnaires, un syndicat de pilotes de ligne. Voir Heiner Dribbusch «Les syndicats en Allemagne : organisation, contexte, enjeux ». Friedrich Ebert Stiftung. Bureau de Paris wwwfesparis.org. Voir également René Lasserre « Le partenariat contractuel allemand à l’épreuve des corporatismes catégoriels »Cirac 2015. Et du même auteur : « la réforme du dialogue social en France : les enseignements de l’expérience allemande » CIRAC. 2015. Le lecteur intéressé par les questions économiques et sociales de l’Allemagne contemporaine pourra utilement se référer aux travaux du CIRAC, Centre d’Information et de Recherche sur l’Allemagne Contemporaine, dirigé par René Lasserre.


(3) Voir l’étude de l’IRES sous la direction de Jacques Freyssinet note n°9


(4) Rosa Luxembourg. Extrait du programme de la ligue spartakiste 1918. « L’essence de la société socialiste réside en ceci : la masse laborieuse cesse d’être une masse que l’on gouverne, pour vivre elle-même la vie politique et économique dans sa totalité et pour l’orienter par une détermination consciente et libre.
Aussi du sommet de l’Etat à la plus petite commune, la masse prolétarienne doit-elle substituer aux organes de la domination bourgeoise dont elle a hérité : Bundesrat (Conseil fédéral), parlements, conseils municipaux, ses propres organes de classe : les conseils d’ouvriers et de soldats. Il lui faut occuper tous les postes, contrôler toutes les fonctions, mesurer tous les besoins de l’Etat à l’aune de ses propres intérêts de classe et à l’aune des tâches socialistes. Et ce n’est que par une osmose permanente, vivante, entre les masses populaires et leurs organismes, les conseils d’ouvriers et de soldats, que pourra être insufflé à l’Etat un esprit socialiste. Mesures économiques immédiates : « 7. Elections dans toutes les usines de conseils d’entreprise qui, en accord avec les conseils ouvriers, auront à régler toutes les affaires intérieures de l’entreprise, les conditions de travail, à contrôler la production, et, finalement, à prendre en main la direction de l’usine. ».


(5) « Les ouvriers et les employés sont invités à coopérer avec les patrons, à égalité de droits, à la réglementation des salaires et des conditions de travail et au développement économique des forces productives. Les organisations ouvrières et patronales ainsi que les conventions signées par elles, sont reconnues. En vue d’assurer la protection de leurs intérêts sociaux et économiques, les ouvriers et les employés seront légalement représentés par les conseils d’entreprise créée dans les établissements industriels ainsi que par les conseils ouvriers de district et par les conseils ouvriers pour l’ensemble de l’empire. » Constitution de Weimar article 165.


(6) « L’entreprise constitue une société hiérarchique dont la vocation est d’assurer le bien commun de tous ses membres. Employeurs et salariés font partie d’un même organisme, leurs intérêts sont solidaires, leur action doit servir l’utilité commune ». Dans ces groupements organisés en vue d’une fin commune, on retrouve les traits d’une institution » Paul Durand, Traitée de droit du travail, DALLOZ 1947n° 339


(7) Patrick Remy « La participation dans l’entreprise allemande », Droit social mars 2015


(8) IRES, « les négociations d’entreprise sur l’emploi : quelques expériences européennes », Document de travail numéro 02. 2015 sous la direction de Jacques Freyssinet. On y trouve une analyse très documentée sur la situation allemande.


(9) Cerveau reptilien, ou cerveau primitif celui qui garde en mémoire ce qu’était l’homme, dans le cas présent le mouvement syndical français à l’origine de son évolution. Voir à ce propos le dossier du journal Le Point sur les origines du syndicalisme révolutionnaire en France. 2 juin 2016 numéros 2282 mai 2016.


(10) Voir le discours du 17 février 2009


(11) Medef « Comment produire un droit du travail compétitif et sécurisé ? Premières orientations du Medef sur la mise en œuvre du rapport Combrexelle. 13 octobre 2015


(12) Lénine. « Que Faire ? », Lénine fait valoir que la classe ouvrière ne deviendra pas spontanément révolutionnaire par des luttes économiques pour les salaires ou pour la réduction du temps de travail, pour convertir la classe ouvrière au marxiste, Lénine insiste sur le fait que les marxistes doivent former un parti politique, ou une « avant-garde », des révolutionnaires dévoués à diffuser les idées marxistes parmi les travailleurs

 

 

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