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Il existe un lien intrinsèque entre langue, travail et efficacité. L’édito « Tu m’envoies un petit mail ? » pour introduire le dossier « Travail et langage », souligne deux points essentiels dans le monde du travail aujourd’hui : un marché de l’emploi à échelle mondiale et donc de plus en plus compétitif et un besoin de communiquer qui s’impose à tous les niveaux, du dirigeant à l’ouvrier.

 

langues

 

La maîtrise de la langue peut certainement impacter la qualité du discours, et en conséquence l’efficacité de l’échange. Entretiens, réunions, présentations, leur succès dépend toujours de la clarté du message entre les deux parties. Une compréhension nécessaire qui peut se perdre quand il s’agit d’utiliser une langue étrangère. Au stress de ne pas maîtriser complètement l’idiome, peuvent se rajouter des éléments tels que l’accent ou la manière de s’exprimer. Phrases, situations ou mots alternatifs sont toujours nécessaires pour bien s’en sortir. L’appréhension devient double lorsque l’outil principal de transmission (en l’occurrence la langue) n’est pas complètement maîtrisé et que l’on sait le risque de perdre en contenu.

 

Traducteurs ou langages alternatifs ?

Face à cela, certaines institutions préfèrent préserver l’intégrité du discours et utiliser des services d’interprétation au quotidien plutôt que risquer malentendus et incompréhensions. C’est le cas notamment de l’UE ou de l’ONU pour qui des questions politiques sont en jeu. L’investissement devient justifié.

 

Mais il est aussi possible de s’en passer grâce par exemple au globish (ou à l’Esperanto). Très répandue, cette pratique se caractérise par la réduction d’une langue à un certain nombre de mots (le globish) ou bien par la proposition d’une nouvelle syntaxe suffisamment simple (l’Esperanto) pour favoriser la compréhension entre des personnes de langues maternelles différentes.

 

Évidemment l’enjeu n’est pas si simple, vie professionnelle et vie privée sont fortement liées et se doter des bons services de traduction est un luxe qui n’est pas à la portée de toutes les entreprises… et tout le monde ne maîtrise pas esperanto et autre globish. D’autant que le besoin s’impose au-delà de la vie professionnelle : amis, familles, collègues, santé. Les relations s’imposent dans notre quotidien et la compréhension reste un élément nécessaire pour interagir et cohabiter…

 

Connaître la langue c’est s’intégrer et dépasser les stéréotypes

 

Celles et ceux qui ont eu l’opportunité de réaliser de longs séjours à l’étranger, d’étudier et de travailler dans différents pays (dont je fais partie) le savent bien : la connaissance de la langue du pays accueillant est un élément clé pour l’intégration et la cohésion sociale. Elle permet de se familiariser avec une culture, et in fine, un peuple et ses coutumes. Le multilinguisme favorise l’ouverture d’esprit. Il s’agit d’entrer dans la compréhension d’un certain nombre de subtilités nécessaires afin de prendre conscience d’un mode de fonctionnement, parfois assez différent du nôtre.

Le fameux « rêvez-vous dans une autre langue ? », considéré traditionnellement comme l’indicateur clé d’une bonne maîtrise, nous montre bien la part de désir du subconscient d’être entendu, écouté, et surtout accepté. Le sentiment d’appartenance à une communauté découle comme conséquence directe d’une volonté d’intégration et d’une compréhension mutuelle qui se traduit par l’acceptation des différences.

Compréhension comme synonyme de tolérance et de respect. L’apprentissage d’une nouvelle langue permet également de dépasser certains stéréotypes.

On pourrait prendre l’exemple d’une forme assez caractéristique de socialisation en France : l’exercice de la critique. On ne se rend pas compte de l’utilité de se plaindre jusqu’au moment où l’on s’installe en France. Au premier abord négatif, cet esprit fortement développé dans l’analyse de toute situation peut prendre des connotations positives à partir du moment où il devient constructif. Les débats d’idées, la fameuse dissertation, toute une série de formes de réflexions argumentées qui nécessitent du temps et de l’énergie… auxquelles il faut s’habituer. Les discussions s’imposent aussi dans la sphère privée donc il vaut mieux y prendre du plaisir.

 

Des équipes polyglottes à manager

 

Ces subtilités sont aussi très présentes dans le monde du travail. Plus de 50 % du chiffre d’affaires des 150 plus grands groupes français était en 2011 réalisé à l’étranger (INSEE). Face à un tel modèle économique, dont le succès dépend de la capacité à répondre à une demande globale, les équipes polyglottes et multiculturelles sont fortement appréciées. Elles sont synonymes d’adaptation, de flexibilité et de productivité élevée face à l’adversité. Leurs membres deviennent plus attentifs à leur entourage, reviennent à l’essentiel lors d’une discussion et prennent plus aisément des décisions.

En France, cette plus-value est mise en lumière par un rapport du Ministère de l’Éducation et de l’UE « L’analyse des besoins des employeurs français au regard des compétences en langues vivantes étrangères ». Cette étude souligne les avantages d’un milieu professionnel multilingue, particulièrement dans toute activité liée au commerce ou à l’export.

Bien que les avantages soient nombreux, sa mise en œuvre demande du temps… et de l’argent (notamment en termes des ressources humaines). L’efficacité des équipes dépend souvent de leur gestion. Rythmes de travail, hiérarchie ou relations avec les collègues varient sensiblement d’un pays à l’autre. La gestion de l’accompagnement devient le point décisif de leur succès.

Conscients de ce constat, la Direction générale à la langue française et aux langues de France (ministère de la Culture) a réalisé en 2015 un guide des bonnes pratiques linguistiques au sein de l’entreprise. Ce document propose une liste des recommandations qui visent à concilier le droit de travailler en français et les besoins de communication internationale. Le dialogue social et la définition d’une stratégie de communication cohérente sont les points soulevés comme les plus importants.

Même si les études se multiplient et qu’une prise de conscience collective commence à se développer, l’enjeu reste sous-estimé. Peu de moyens sont encore investis dans les entreprises et la cohésion des équipes est laissée au deuxième plan, en espérant que cela s’impose naturellement. De nos jours, ce défi dépasse les murs de l’entreprise et s’impose comme une nécessité au sein de notre réalité.

 

« You miss so many things when you don’t speak the language of the country you visit or live »

Selon le dernier rapport de l’OCDE (2017), les perspectives de migrations internationales ne font que croître et les discriminations linguistiques sont désormais inscrites dans le Code du travail !

À quoi s’attendre ? Aujourd’hui nous sommes confrontés à un marché global et multiculturel. Préserver notre langue est nécessaire mais il l’est aussi crucial d’être ouvert à l’apprentissage de celles avec lesquelles nous sommes censés travailler et vivre.

Sur le papier nous en sommes tous conscients, mais sommes-nous prêts à y mettre véritablement les moyens nécessaires ? État, citoyens et dirigeants d’entreprise, chacun y joue son rôle.

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Pour en savoir plus :

Les langues : un enjeu pour l’économie et l’entreprise –  CIEP – Juin 2016
– « Competing across borders » – The Economist
– « Quelles langues parlons-t-ons dans les entreprises en France ? » Rapport Claude Truchot – Professeur émérite de l’Université de Strasbourg – Décembre 2014
– « The Foreign-Language Effect: Thinking in a Foreign Tongue Reduces Decision Biases. »Boaz Keysar, Sayuri L. Hayakawa et Sun Gyu An. Psychological Science, 18 avril 2012.

 

 

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