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par David Rivoire, propos recueillis par Fanny Barbier

C’est sur les conseils de Danielle Kaisergruber que j’ai rencontré David Rivoire dans un café du second arrondissement de Paris. Avec Abdoul Karim Komi, ils sont co-auteurs du rapport de Terra Nova sur la VAE dont Jean-Louis Dayan a rendu compte pour Metis. David est aussi fondateur et dirigeant de l’entreprise VAE Les 2 Rives qui a pour objet d’accompagner des personnes dans leur parcours de validation des acquis de l’expérience.

 

VAE_puzzle

 

David a créé cette entreprise alors qu’il était encore étudiant en école de commerce, école choisie parce qu’elle proposait un cursus en alternance. « Déjà à l’époque, j’avais cette appétence à faire coexister formation et travail. Passer 100 % de mon temps sur les bancs de l’école, à mes yeux ce n’était pas assez concret pour apprendre. » Dès lors, il était logique au moment où la VAE se dessinait dans sa forme actuelle que David s’y intéresse. « Quand j’ai appris qu’on pouvait avoir un diplôme sans aller à l’école, cela a été une révélation ! » Plus qu’une révélation, parce que David – avec sa mère, professeur en retraite – a décidé de se lancer dans l’aventure.

 

Création d’un nouveau métier

 

Rivoire

Nous sommes en 2002, David, pendant 2 ou 3 ans, réalise lui-même la prestation, il accompagne 5 à 600 personnes, qui ont entre 35 et 50 ans, quand lui en a 25 et 28. Il mène des coachings sur plusieurs mois, tous secteurs, tous métiers confondus, avec différentes façons de faire et façons de travailler, avec des échecs et des réussites. « Je découvrais l’aspect profondément humain de la VAE qui fait retracer des parcours de vie, leur donne du sens, transforme des personnes souffrant du complexe de l’autodidaxie. Je réalisais qu’il existait un vrai besoin d’aide pour réussir une VAE, qui oblige à se reconfronter à un système scolaire quitté souvent sur un échec. La démarche est doublement complexe parce que le système est broyant et pédagogiquement tout sauf évident. En effet, il n’est pas toujours évident pour un enseignant sur la base d’un dossier et d’un oral de 45 minutes de juger un parcours et décider de faire passer quelqu’un de bac -3 à bac +2 ? S’engager dans une VAE, vous fait retourner à l’école sans y aller, vous fait risquer de recevoir un coup de pied, vous oblige à vous demander comment vous allez raconter votre vie professionnelle pour convaincre un enseignant que vous valez un diplôme. Aider à réussir ce parcours, à l’époque, était un métier neuf pour tout le monde. »

David en devient un expert. Il crée une méthode d’accompagnement, embauche des collaborateurs, les forme, développe un système informatique, trouve des bureaux, recrute, en vue de développer son activité. Tout en reconnaissant que la VAE ne sortait pas de la problématique caractérisée par un manque d’engouement quasi général : « elle n’est acceptée ni par les corps enseignants, ni par les entreprises qui en ont peur, ni par le gouvernement qui ne fait rien pour la développer ».

En 2004, après deux années de quasi bénévolat, David crée son entreprise, VAE Les 2 Rives qui se développe à un bon rythme jusqu’à la crise de 2008. « Nous avons souffert de la crise parce qu’elle a eu un fort impact sur l’immobilier qui représentait 30 % de notre chiffre d’affaires (les agents doivent avoir un diplôme pour ouvrir leur propre agence). Après une période de croissance, nous sommes entrés dans une période de stagnation qui a duré jusqu’en 2011. À ce moment-là j’ai décidé qu’il était temps soit d’arrêter cette entreprise « petit format », soit de se donner les moyens de la faire redémarrer. J’ai lancé alors une levée de fonds, auprès d’amis et d’amis d’amis, que j’ai très mal investie et qui n’a débouché sur aucune croissance. »

 

Quand une entreprise commerciale se révèle appartenir à l’économie sociale et solidaire

 

L’entreprise ne devait pas s’arrêter là, puisque se sont alors produits deux événements décisifs pour elle. « Comme un double effet positif, il y a d’abord la réforme issue de la loi du 5 mars 2014 qui transforme le DIF en CPF – alors que la VAE au sein du DIF était noyée dans un ensemble complexe, elle devient une des mesures phares du CPF. Et second élément, je décide de faire une nouvelle levée de fonds. » David parle de vraie levée de fonds qui n’aura rien à voir avec la précédente. « Entre temps, j’ai croisé la route du Mouvement des Entrepreneurs sociaux et ai réalisé que VAE Les 2 Rives était une entreprise sociale. Cela a été une révélation, nous avions trouvé notre positionnement d’acteur de l’emploi et de l’employabilité. Effectivement, être expert de la VAE n’a de sens que si on est au service des personnes qui y font appel.

La conséquence directe est que les investisseurs de la seconde levée de fonds, la vraie, n’en attendaient pas les rendements qu’on attend d’une entreprise classique dès lors qu’il existe un impact social identifié et mesurable. Heureusement, puisque, comme c’est souvent le cas après qu’une loi soit votée, il s’est passé 18 mois au cours desquels tout a été bloqué. Puis l’activité a commencé à bien se développer. En 2016, une croissance de 50 %, en 2017 de presque 200 % ! En 2018, une nouvelle levée de fonds pour anticiper les résultats de la réforme qui nous l’espérons mettra la VAE au premier plan et favorisera des solutions très innovantes en faveur du développement de l’emploi. »

 

Un système hybride VAE et formation

 

VAE

La VAE telle que l’envisage David a une double face.

« La première existe depuis longtemps. Elle se formule en des termes simples « Mon expérience vaut un diplôme » et accroît la chance de réussir le sésame de l’emploi, à savoir l’entretien d’embauche. La VAE est une démarche structurante grâce à laquelle on apprend à parler de soi et on prend conscience de sa valeur suite à un long travail d’introspection. Tous deux ingrédients de la réussite des entretiens. »

Au-delà du résultat qui compte bien sûr, il y a un parcours, et c’est à propos de ce parcours que David imagine une VAE hybride associant VAE – « un bout de diplôme acquis par l’expérience » – et formation – pour aller au-delà. « En général, les efforts d’adaptation des compétences aux postes de travail sont faiblement efficaces. Le système hybride en prend le contre-pied. Il fait appel au volontariat « Qui veut se diplômer ? », puis propose une formation qui va apporter les compétences et aboutir à un diplôme, en s’appuyant sur la démarche d’introspection propre à la VAE. Celle-ci accompagnée de cours interpelle la pratique. C’est comme une formation coachée, très efficace pédagogiquement et qui provoque aussi un changement de posture dû au fait que l’on s’interroge sur son rôle dans la chaîne de valeur. »
Par exemple, les postes de caisse sont en plein changement aujourd’hui : il ne s’agit plus de réaliser des encaissements, mais bien d’être dans une posture d’accompagnement du parcours client. S’interroger sur son rôle oblige à reconsidérer son travail, à comprendre qu’il est important.

Les parcours proposés par VAE Les 2 Rives combinent une formation courte (15 à 20 jours environ) et un accompagnement de 7 mois par exemple pour ce dernier projet s’adressant à des salariés managers opérationnels qui présentent un bac +5.

 

Notre philosophie consiste à optimiser la pédagogie et la formation par l’apport de la VAE qui nous permet de tenir compte de là où les gens viennent et de les amener à un diplôme.

 

La VAE hybride est le métier de VAE Les 2 Rives. Plusieurs options existent et notamment celle spécifique pour les demandeurs d’emploi qui ne sont pas dans la même temporalité. « Pour eux, 7 à 12 mois, c’est trop long, nous leur proposons un parcours à temps plein, en salle et en groupe, sur trois mois maximum. C’est une pause dans leur recherche d’emploi. »

Concrètement, cela passe par la constitution de promotions multi diplômes accompagnées par un coach qui guide chacun dans le recours à des outils digitaux propres à son domaine. Ce qu’il y a en commun, c’est la méthodologie VAE et l’entraide qui se développe et qui apporte autant à celui qui aide qu’à celui qui est aidé. »

Les partenaires de VAE Les 2 Rives pour ce programme expérimental d’accompagnement des demandeurs d’emploi sont le FPSPP, le Fongecif Grand-Est et Pôle Emploi pour le sourcing.

 

Un programme spécial pour les jeunes décrocheurs

 

VAE Les 2 Rives a créé également un programme qui s’adresse aux décrocheurs scolaires, qui ont quitté l’école sans diplôme, qui travaillent ou cherchent un travail. Ils ont entre 17 et 22 ans, fréquentent les Missions locales, sont en situation précaire, ont un problème de posture professionnelle, ne voient pas le sens qu’ils pourraient trouver dans un travail et ont un grand besoin qu’on leur fasse confiance.

« Nous leur proposons un contrat en alternance, ils travaillent et en même temps se forment pour préparer une VAE. Sans retourner à l’école qui souvent leur a laissé un mauvais souvenir. Nous avons mené une première expérimentation sur le métier de téléconseiller en relation client, choisi parce que c’est un métier d’avenir, qui propose des emplois et qui peut être un tremplin en tant qu’école de la vie. Pendant six mois, nous proposons à des jeunes de travailler dans un centre d’appel que nous avons créé à ce propos, puis pendant un an nous leur apprenons le métier sur le principe de la VAE avec un diplôme à la clé. La première promotion est sortie l’an dernier, sur 11 personnes 7 ont retrouvé un CDI. La deuxième promotion concerne des jeunes de moins de 21 ans, sans bac, travailleurs handicapés pour certains. Quatre personnes les encadrent : un manager de proximité, un formateur en relation client, un coach VAE et un coach professeur de théâtre qui les fait travailler l’affirmation de soi, l’argumentation et l’improvisation. À ce jour, le projet perd de l’argent. C’est un quasi-sacerdoce qui correspond à notre rôle d’entreprise sociale. C’est aussi un investissement d’avenir. »

En parlant d’avenir, j’ai demandé à David ce qu’il voulait pour l’entreprise. « Nous sommes dans un grand projet de conduite du changement, avec digitalisation des process. Notre ambition à long terme est de construire un robot-conseil, qui viendra au service du couple consultant VAE/Candidat VAE. »

Mais le jeune quadra ne se contente pas de créer un métier, diriger une entreprise qui compte aujourd’hui 22 salariés, rédiger des rapports et les promouvoir devant des parterres de professionnels du métier séduits par son enthousiasme et sa détermination à faire. Avec Renaud Seligmann, ancien animateur du Mouves Île-de-France et un temps recruté comme directeur de la communication de VAE Les 2 Rives, David a créé le Social Bar, bar de rencontres sociales ouvert de 9 à 2 heures du matin. Toujours ce credo « On peut tout à fait être économiquement efficace et socialement responsable. » Il intervient également pour Antropia (Incubateur de la chaire Entrepreneuriat social de l’Essec) auprès de jeunes créateurs d’entreprises sociales : « ces jeunes veulent changer le monde, et ils ont des projets géniaux ! » et dans le cadre d’une association – les Audacieuses, entreprendre au féminin.
L’entretien s’arrête là. C’est l’heure pour David d’aller chercher les enfants à l’école. Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune homme engagé, allez au Social Bar, au risque de faire des rencontres…

 

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