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par André Gauron

La réforme des retraites est à l’agenda 2019. L’objectif est la création d’un régime universel où chaque euro cotisé au même taux rapporterait à chacun les mêmes droits. Les premiers éléments présentés aux partenaires sociaux permettent d’ores et déjà de dresser les contours du futur régime, même si des questions cruciales demeurent encore sans réponse.

 

retraite

 

Le principe de base est celui d’un système universel par répartition et par points. Quel que soit l’emploi occupé, salarié du privé ou du public, indépendant ou exploitant agricole, un euro cotisé donnera les mêmes droits. La mobilité professionnelle devrait donc en être favorisée. Si le principe de la répartition n’est pas remis en cause (voir encadré), en revanche le choix d’un système par point doublé de la volonté de plafonner les dépenses de retraite à 14 % du PIB va transformer un régime à prestations définies dont il faut chaque année ajuster le financement en un système à cotisations définies et donc à prestations non définies à l’avance. Derrière la préservation du principe de la répartition s’annonce un changement majeur. Ce n’est pas le seul.

Pour bien comprendre l’enjeu de la future réforme, il faut partir du système actuel de retraite. S’il se caractérise par un grand nombre de régimes, ceux-ci se regroupent en deux grandes catégories d’importance très inégale : les régimes du secteur privé d’un côté (salariés et non-salariés, les régimes de ces derniers étant « alignés » sur ceux des salariés) et ceux du secteur public (fonctionnaires de l’État, territoriaux et hospitaliers, entreprises publiques à statut).

Régimes privés et publics présentent trois grandes différences : 1/les régimes privés sont à deux étages obligatoires, régime de base et régime complémentaire, quand les régimes publics sont à étage unique ; 2/l’assiette qui sert au calcul de la retraite est basée sur les 25 meilleures années pour le privé et sur le traitement indiciaire des 6 derniers mois pour le public ; 3/les régimes privés sont financés par des cotisations patronales et salariales quand les régimes publics sont des régimes dits « d’entreprise » financés en tant que dépenses de l’administration ou de l’entreprise avec prélèvement d’une cotisation salariée.

Le poids des deux secteurs est en outre très différent : les régimes du secteur privé regroupent plus de 20 millions de retraités, dont 17,5 en droits directs quand les régimes publics ne dépassent guère les 3,5 millions, dont un peu moins de 3 millions de droits directs, la moitié étant constitué par les fonctionnaires civils d’État. Soit un rapport de 1 à 6. Différence de taille aussi. En dehors des professions libérales, les régimes privés gèrent tous plus d’un million de retraités chacun (le RSI artisan en gère 900 000). Les régimes publics, en dehors du régime des fonctionnaires d’État et des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers qui dépassent le million, sont à la fois nombreux et à effectif réduit : si celui des militaires compte 360 000 retraités, la SNCF 176 000 retraités et les industries électriques et gazières 128 000, les anciens ouvriers de l’État ne sont que 63 000, les retraités de la Banque de France 15 000, ceux de l’ex CEITA 9 000, de l’Opéra de Paris 1 800, de la Comédie française 400…

Face à cette hétérogénéité, plutôt que de tenter de rapprocher les deux ensembles, le gouvernement a choisi de créer un régime nouveau dans lequel seront versés la très grande majorité des actifs actuels. Ce choix, qui impacte aussi bien les retraites du secteur privé que celles du secteur public, quoique de façon très inégale, pose de nombreuses questions les unes plus techniques, d’autres éminemment politiques.

1 – Que devient la notion de « retraite à taux plein » ?

Dans le système actuel, le taux plein est défini par le régime général. Il répond à deux critères : un critère d’âge et le nombre de trimestres. Il est automatique à l’âge du taux plein (65 ou 67 ans) et à l’âge légal (62 ans) si l’actif a l’ensemble de ses trimestres. Dans les régimes complémentaires, cette notion n’existe pas, mais la pension ne peut pas être liquidée tant que celle du régime de base ne l’a pas été. Avec un régime par points, la notion de trimestres cotisés disparait, mais celle de taux plein peut être maintenue. Le gouvernement a confirmé qu’il maintiendrait l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans, qui sera l’âge minimum pour accéder à un taux plein. Un départ anticipé sera, comme aujourd’hui, pénalisé par une décote. Dans le même temps, il a laissé entendre la possibilité de créer un taux pivot » à 63 ans qui pourrait donner lieu à un bonus et préfigurer un report ultérieur de l’âge légal de départ en retraite.

2 – Quel impact sur le montant des pensions ?

Toutes choses égales par ailleurs, la prise en compte de la totalité des rémunérations perçues au cours de la vie active sera très différente du système actuel qui privilégie soit la moyenne des 25 meilleures années soit le traitement des derniers six mois. Toutefois, du fait des régimes complémentaires qui prennent déjà en compte la totalité des rémunérations, l’impact sera très différent pour le privé et le public. Pour les salariés du privé, le passage des 25 meilleures années à la totalité de la vie active ne concernera qu’une partie de la pension (moins de la moitié). Pour les salariés du public, dont la pension est calculée sur le traitement des six derniers mois, c’est la totalité de la pension qui sera affectée. Toutefois, au traitement de base, s’ajouteront les primes et les heures supplémentaires, très variables en fonction des corps et des administrations. À la différence du système privé qui prend déjà en compte une grande partie de la carrière, le système public privilégie la seule fin de carrière, dont la rémunération est supérieure à celle qui correspond à une carrière entière reconstituée. Les agents du public qui n’ont ni primes ni heures supplémentaires, en général les moins bien payés, risquent ainsi d’être les grands perdants de la réforme. L’impact sur le montant de la pension dépendra en outre de la valeur du point. En théorie, celui-ci devrait dépendre uniquement du ratio entre la masse des cotisations recouvrées et des retraites à financer. Le gouvernement semble vouloir y ajouter une contrainte supplémentaire par l’introduction d’une « règle d’or qui n’impacte pas les générations futures » sous la forme d’un plafonnement de la masse des pensions à 14 % du PIB, soit grosso modo le niveau actuel.

3 – Quel arbitrage entre actifs et retraités ?

D’après l’INSEE, la part de la population de plus de 65 ans passera de 19 % à 25 % en 2035 et d’après les projections du COR de juin 2017, le ratio d’actifs cotisant par retraités devrait continuer à se dégrader de 1,7 à 1,5 en 2040. Dans un régime par répartition, il en résulte nécessairement soit une hausse des cotisations, soit une baisse des pensions. Avec un régime à « prestations définies » (cas des régimes à annuités), l’ajustement doit se faire par une augmentation des cotisations ; au contraire, dans un régime à « cotisations définies » (cas du régime par points), l’ajustement se fait par une baisse des pensions. Si l’arbitrage actuel est figé à 14 % du PIB, il en résultera mécaniquement une baisse du niveau des pensions qui pourrait atteindre 24 % par rapport à aujourd’hui. Toutefois, un arbitrage différent est toujours possible comme on le voit depuis des années avec un changement des paramètres de liquidation des pensions (durée de cotisations et âge de départ, ou encore nombre d’années prises en compte pour le calcul des pensions). Toute la question est de savoir comment se fera cet arbitrage entre actifs et retraités. La gouvernance du futur régime de retraite sera donc décisive : gouvernance par les règles (calcul automatique de la valeur du point doublé éventuellement d’un plafonnement – arbitraire – du montant des pensions dans le PIB) ou par la délibération politique. Comme on le voit avec l’Union européenne, un gouvernement par les règles serait un déni de démocratie, une abdication du rôle du politique et certainement une mise à l’écart des partenaires sociaux dans la gouvernance du futur régime.

4 – Quel impact sur les cotisations des actifs ?

4 – Quel impact sur les cotisations des actifs ? Le système actuel, s’il n’est pas opaque, est difficilement lisible et ne permet pas une comparaison simple entre privé et public. Pour se limiter aux salariés du privé, le taux du régime général est de 6,9 % sous plafond plus 0,4 % sur salaire total et actuellement de 3,90 % pour l’Agirc-Arrco pour la même tranche de salaire et de 8,83 % entre 1 et 8 plafonds. Pour les fonctionnaires, le taux est de 10,35 % sur la totalité du traitement indiciaire. Pour s’en tenir aux salariés à salaire sous plafond (3 311 €), le taux pour un salarié du privé est donc de 11,20 % contre 10,35 % aujourd’hui pour les fonctionnaires et 11,1 % en 2020. En 2020, l’écart entre salariés sera donc insignifiant. En revanche, pour l’Etat employeur, qui affiche aujourd’hui un taux implicite de 74,28 % (l’Etat employeur ne cotise pas pour ses agents et inscrit directement le montant des pensions dans le Budget) contre 12,3 % sous plafond et 16,684 %, l’heure est à l’opération vérité.

5 – Quid des pensions de réversion ?

La réforme n’implique nullement la disparition des pensions de réversion. Toutefois, la création d’un régime unique ne permet pas de maintenir le couplage qui existe dans le régime général entre une réversion de base sous condition de ressources et une complémentaire sans condition. L’abandon de la condition de ressources, qui aurait un coût financier élevé, semble exclu. La solution aujourd’hui à l’étude semble être une généralisation d’un critère de ressources qui ne dit pas son nom, mais qui aboutira à réduire le montant de la réversion en fonction du revenu ou du montant de la pension. La solution qui sera retenue intéresse au plus haut point les femmes, qui représentent 89 % des bénéficiaires, dont un grand nombre n’ont pas d’autres ressources au décès de leur conjoint. Elle constitue l’autre point sensible de la réforme.

6 – Quelle période de transition ?

Deux solutions s’offrent au gouvernement : une transition en ciseaux avec un basculement des actifs dans le nouveau système avant un certain âge ou une entrée dans le nouveau système pour les seuls nouveaux entrants sur le marché du travail. Cette seconde solution se traduirait par une très longue période de cohabitation (de plusieurs décennies) entre le système actuel et le nouveau, mais elle permet le maintien du calcul actuel des droits pour les actifs et évite le débat sur les perdants et les gagnants de la réforme. La mise en extinction du statut des cheminots va dans ce sens. Le gouvernement semble avoir opté, au contraire, pour un basculement rapide qui affecterait tous les actifs à plus de 5 ans de la retraite au moment de son entrée en vigueur (soit âgés de moins de 57 ans). Ce choix impliquera de reconstituer l’intégralité des carrières des actifs concernés et de permettre à chacun d’en vérifier l’exactitude.

7 – Quid des droits familiaux ?

Aujourd’hui les situations sont très variables d’un régime à l’autre, tout comme les modalités de prise en compte des enfants : bonification de trimestre ou majoration de la pension à partir de 3 enfants. Le gouvernement propose un « système plus solidaire » avec une majoration de points dès le premier enfant.

8 – Quid des réserves financières des régimes complémentaires ?

 

Les régimes complémentaires ont constitué des réserves financières (hors fonds de roulement) au fil du temps destinées à combler le déficit technique entre prestations versées et cotisations. En 2017, elles étaient de 62,5 Md€ presque exclusivement au titre de l’ARRCO, l’AGIRC ayant vu ses réserves fondre rapidement au cours des dernières années, précipitant la fusion des deux régimes effective au 1er janvier 2019 suite à la réforme décidée en 2016. Les tranches de cotisations ont également été fusionnées. Suite à la réforme subsisteront deux tranches, la première en deçà du plafond de sécurité sociale (7,87 % du salaire brut) et la seconde entre 1 et 8 plafonds (21,59 %). Cette réforme vise à restaurer l’équilibre du système et à reconstituer les réserves, ou à minima à enrayer l’hémorragie des dernières années. Dans le cadre de la création d’un régime universel, que deviendront ces réserves ? La direction du Budget pourrait être tentée de les récupérer, mais juridiquement n’en a pas le droit (l’AGIRC-ARRCO sont des régimes privés). L’autre solution consisterait à les verser au nouveau régime, mais elles devront alors être cantonnées au seul profit des salariés du privé puisque ce sont leurs cotisations qui ont permis de les constituer. À ce jour, rien n’a filtré des intentions du gouvernement.

9 – Quid du paritarisme ?

Un régime universel consiste en la définition de règles communes à tous les actifs dans la constitution de leurs droits à retraite, indépendamment de leur emploi. Il n’implique nullement une gestion unique. La liquidation et le paiement de la retraite pourront parfaitement être menés par des caisses distinctes gérées par les partenaires sociaux. Pour le régime de base des salariés du privé, cela n’entraînera aucune différence avec la gestion actuelle de la CNAV à laquelle les partenaires sociaux sont associés sans avoir la moindre prise sur les règles qui organisent le système des retraites. Pour les régimes complémentaires, cela se traduira par la perte de la possibilité de fixer la valeur du point.

 

 

Trois conclusions se dégagent de l’examen de ces différents points :

1/La création d’un régime universel impactera l’ensemble des régimes actuels, mais de façon prépondérante ceux du secteur public, cette fameuse « société à statut » décriée par le chef de l’État. Sans le dire, c’est bien la disparition des régimes publics que vise cette réforme dont tous les gouvernements conservateurs ont rêvé sans la réaliser.

2/Un système par points entraîne un changement de modèle social, et en premier lieu de la solidarité entre actifs qu’organise l’assiette de liquidation de la pension. Que ce soit les 25 meilleures années ou les six derniers mois, ce type d’assiette mutualise les carrières en effaçant les années qui correspondent aux salaires les plus faibles : 15 à 17 ans dans le privé, toute la carrière sauf six mois dans le public. Le système par point individualise au contraire le calcul de la pension qui rapproche ce système d’un système par capitalisation. On peut qualifier ce futur système de système de capitalisation individuelle de droits sans fonds de pension. Cette individualisation s’inscrit dans un mouvement plus général d’individualisation des droits sociaux comme de l’impôt sur le revenu.

3/L’introduction d’une « règle d’or », visant à plafonner, de façon totalement arbitraire, la masse des pensions dans un contexte d’augmentation du nombre de retraités supérieur à celle des actifs se traduira mécaniquement par une baisse des pensions et donc du niveau de vie des retraités, qui seront alors incités (sans doute fiscalement) à compléter leur retraite par le recours à des fonds de pension. Derrière le maintien d’un régime par répartition se profile une privatisation rampante de notre système de retraite.

 

encadre

 

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