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Longtemps, les enseignants-chercheurs ont pu se prévaloir d’un contrôle sur leur travail assez enviable. Certes, ils s’estimaient moins bien rémunérés que les cadres d’entreprises, mais ils n’avaient pas le fil à la patte comme eux. S’ils continuent aujourd’hui d’échapper à l’agenda partagé qui est le lot de ces derniers, la vague les a atteints sur bien d’autres plans : un certain sentiment de perte de sens du travail, l’impression de ne pas parvenir à se consacrer à ce qu’ils ou elles valorisent le plus dans leur métier, une montée des formalismes, une course permanente contre le temps et les urgences. Le tout est résumé par leur dénonciation de la charge administrative. Un groupe de travail de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEM) — désormais intégrée dans l’université Gustave Eiffel — s’est attaché récemment à préciser les constats et à réfléchir à ce qu’il était possible d’entreprendre, à l’échelle d’un établissement, pour améliorer les conditions de travail des universitaires.

Metis publie aujourd’hui le deuxième volet de l’article de Pascal Ughetto qui animait cette réflexion collective (Partie 1).

Cours magistral de droit dans l’amphitheatre Courbet sur le campus de la Bouloie à Besançon.

Travail et organisation du travail des enseignants-chercheurs

Les conditions de travail actuelles des universitaires prennent leurs racines dans des lieux plus lointains que leurs établissements et à des niveaux plus généraux. Les liens sont évidents avec la tension générale sur les effectifs de l’enseignement supérieur ou les évolutions observables dans la demande des étudiants. Les attentes gouvernementales y ajoutent leur effet en incitant à un suivi individualisé, le cas le plus médiatisé ayant dernièrement été celui de Parcoursup. Les formations courtes (comme la préparation au brevet de technicien supérieur) ou des formations longues en écoles (d’ingénieurs, de commerce ou autres) sont entièrement libres de sélectionner, tandis que les universités accueillent des étudiants dont certains peuvent ne pas être adaptés à ce format d’études, voire ne pas avoir véritablement souhaité y aller. Comment s’étonner dès lors que les enseignants-chercheurs soient de plus en plus tenus de déployer un travail d’adaptation des étudiants aux études universitaires (sans garantie de succès) au moment où ils doivent aussi s’inscrire dans la compétition de haut niveau de la recherche internationale ?

Malgré ces facteurs externes, n’y a-t-il rien à faire à l’échelle d’un établissement ? Il y a, en tout cas, à réfléchir en termes de travail et d’organisation du travail. Le groupe de travail de l’UPEM a proposé huit pistes.

Sensibiliser la direction de l’université aux messages qu’elle adresse aux enseignants-chercheurs

Les enseignants-chercheurs font face à l’évolution des attentes qui leur sont adressées et aux exigences plus fortes et plus nombreuses qui pèsent sur la profession. Les directions des universités peuvent tout à leur aise relayer ces attentes avec vigueur, amplifier la pression ambiante, sans se soucier d’accompagner ces attentes d’un discours et d’une réflexion sur le travail, leur traduction dans l’activité quotidienne, leurs effets sur la charge de travail. C’est ainsi que, côté CNRS, les chercheurs ont interprété l’appel d’Antoine Petit, président-directeur général, en faveur d’« une loi ambitieuse, inégalitaire ou différenciante », même s’il invite par ailleurs « à privilégier l’évaluation qualitative des laboratoires et des projets scientifiques, et celle des agents en prenant en compte l’ensemble de leurs missions (1). »

Mais une direction d’université peut tout aussi bien décider de manifester, au contraire, sa conscience qu’investir ces champs qui devraient idéalement être tous couverts (l’excellence internationale, la présence dans les appels d’offres européens, l’innovation en matière de pédagogie, le développement de formations en alternance, etc.) représente du travail et passe par des apprentissages coûteux.

Ce travail n’est pas intégralement à la main d’une direction d’université. Clairement, tout ne se joue pas dans ses décisions ni sur le périmètre de l’établissement. Dans leurs communautés scientifiques, les enseignants-chercheurs contribuent eux-mêmes à forger une partie de ces attentes. Dans certaines disciplines, les sections du Conseil national des universités durcissent les critères d’excellence sans subir une quelconque injonction de l’extérieur, mais plutôt à l’initiative de certains segments professionnels de ces disciplines. Les normes de travail sont largement fixées par les critères que ces sections se donnent pour décider de la qualification de leurs pairs à postuler sur les postes de maîtres de conférences ou de professeurs ou obtenir telle prime, un congé sabbatique ou une promotion. Ces sections sont le lieu d’une lutte parfois féroce entre chercheurs sur la définition de ce qui est requis pour faire science.

Néanmoins, les directions d’universités ont leur part dans ce qui modèle le travail et il pourrait être clairement affirmé par une direction d’établissement qu’elle ne demande pas à chaque enseignant-chercheur d’être simultanément présent et également engagé, à tout moment, sur chacun des registres évoqués. Elle peut le faire en incitant son conseil académique à reconnaître des profils variés dans les promotions et avancements. Mais cela veut également dire qu’elle se rend consciente des messages qu’elle adresse aux individus lorsqu’elle invite de façon insistante ses unités de recherche à soumettre des appels à projets. Manager le travail demande de la cohérence dans sa communication.

Placer sans relâche les projets et les financements sous un principe du pragmatisme et de simplification

Les appels d’offres obligent à fournir beaucoup de travail et diffèrent sans cesse les temps durant lesquels les individus pourront effectivement se consacrer à la réalisation de leurs recherches ou de leur enseignement. Là encore, tout ne se joue pas à l’échelle d’une université : quand on sait que les taux de succès aux appels lancés par l’Agence nationale de la recherche, en France, sont de 15 %, quand ses équivalentes allemande ou suisse honoreraient 30 à 40 % des soumissions (2), on mesure comment les choix gouvernementaux français combinent une sur-sollicitation du travail des universitaires pour mieux lui adresser, en retour, des messages de dénigrement. Une fois de plus, l’État n’a, en France, rien à envier à la piètre qualité du management du travail par les employeurs privés : c’est une caractéristique nationale que de ne pas savoir soutenir le travail, mais plutôt de le soumettre au soupçon permanent.

Toutefois, ce qui est à la portée d’un établissement est de décider de n’ajouter à cette tendance que dans la limite du strict nécessaire. Tous les dispositifs qui reposent sur des attributions d’enveloppes sur lesquelles s’exerce un a priori de confiance envers les individus quant à la pertinence des dépenses, toutes les mises en forme les plus sobres des documents de soumission des projets sont, dans cet esprit, à favoriser. Les universités sont familières d’un dispositif d’attribution de financements sur projet, le bonus qualité recherche ou enseignement, qui passe généralement par des soumissions sur des formulaires qui peuvent tenir en une page ou deux et une restitution de comptes également très simples. Ce serait le modèle à généraliser.

En interne, par ailleurs, quelle obligation les directions ont-elles d’introduire des jurys internationaux pour des enveloppes budgétaires d’un millier d’euros ou même de 2 000 ou 5 000 ? Quelle nécessité de reproduire les a priori qui ont souvent inspiré l’évolution, ces dernières années, de la gouvernance des projets, en matière de recherche ou de formation ? Il a souvent été postulé la vertu par principe de la concurrence pour fonder l’émulation et la créativité. Beaucoup de règles sont imposées à toutes et tous pour se garder de comportements fautifs de quelques-uns. Dans une phase qui voit nombre d’établissements s’engager dans des fusions pour créer des structures encore plus grosses, vaincre les bonnes raisons de formaliser et de gouverner à coup de mise en concurrence des projets et de règles administratives ne pourra qu’être un choix politique clairement pensé par certaines directions universitaires.

Lutter contre les processus de sur-interprétation des règles et de leurs contraintes

Les règles sont l’objet de niveaux successifs d’interprétation, mais — réflexe spontané dans les bureaucraties, bien connu des sociologues des organisations — la peur de ne pas être déclaré en conformité suscite une tendance de chacun de ces niveaux à se protéger en anticipant les risques de rejet d’une action et en durcissant la règle et ses conditions d’application. Le résultat désastreux est que cela crée une incertitude et un doute sur la véracité des obligations et fait naître un sentiment de surveillance tatillonne. L’addition des soucis individuels de faire le plus correctement possible en matière d’application des règles débouche, par agrégation, sur une tendance à décourager les envies de faire, par anticipation des difficultés qui pourraient être (et sont parfois) rencontrées.

Les universitaires ont tous leur petite histoire à raconter d’une note d’un repas de travail de 100 euros qu’ils ne peuvent se faire rembourser faute de disposer du nom de chacun des convives tandis que, d’un autre côté, ils cherchent les moyens de consommer un budget de plusieurs milliers d’euros, mais qui relève d’autres règles. Parfois, une fois informée, la direction de l’université explique que la règle ne s’applique pas avec la sévérité postulée, mais pour des cas d’abus bien spécifiques. Cependant, dans la chaîne de traitement de la dépense, plusieurs acteurs ont préféré, à leur niveau, interpréter la règle de manière à parer le risque d’un rejet et le système dans son ensemble est bien incapable de découvrir là où cela s’est joué.

Il ne s’agit pas d’entretenir l’illusion d’un inventaire exhaustif et définitif des règles. Les universités sont le lieu d’une vie ininterrompue de l’institution, et les règles sont le siège d’une évolution constante. Ce ne peut être, en fait, que par les échanges réguliers à leur sujet et par un dialogue ou une concertation périodique entre services que l’on peut imaginer conduire les membres d’un établissement à s’accorder sur ce qui est strictement nécessaire. En tout cas, ce dialogue régulier permettant le toilettage des règles et l’échange sur leur juste définition est indispensable pour limiter le sentiment que le métier est entamé de toutes parts par la bureaucratisation.

Lutter contre les fonctionnements impersonnels et créer des moments de rencontre

En voyant leur taille s’accroître — avec ou sans fusion — les universités sont amenées à mettre en œuvre des rationalisations qui enserrent une certaine poésie du métier dans d’épaisses couches de fonctionnements plus administratifs. Comme tous les professionnels, que la montée en généralité et la dramatisation n’effrayent généralement pas, les universitaires sont tentés de jouer la partition de l’atteinte bureaucratique à la noblesse de la cause de la recherche ou de l’enseignement. La moindre consigne administrative énigmatique ou le plus insignifiant outil de gestion faiblement ergonomique peut donner matière à des échanges de courriels qui n’attendent guère plus de deux ou trois tours pour en venir à dénoncer un président d’université obsédé de brider la liberté scientifique ou de l’enseignement. Et, réciproquement, les personnels administratifs peuvent se lasser de chercher à convaincre des enseignants-chercheurs trop portés, à leurs yeux, à faire leurs divas. Pourtant, les énervements réciproques se dissipent sans difficulté lorsqu’une rencontre permet de clarifier les attentes des uns (les services centraux) et les contraintes et difficultés des autres (les enseignants-chercheurs). L’urgence, la distance géographique, l’absence d’interconnaissance, tous ces facteurs contribuent à l’impression d’un travail dépourvu de sens, dans une atmosphère générale où les pesanteurs administratives prennent le pas sur les finalités profondes et le pragmatisme.

Dans le groupe de travail de l’UPEM, certains enseignants-chercheurs avaient pu exprimer parmi leurs premières préoccupations leur impression de manquer de contact direct avec les interlocuteurs, d’informations, d’accès à l’information dans un fonctionnement globalement perçu comme « moins humain. » Leur sentiment était alors que les modes de fonctionnement introduisaient, dans les rapports au sein de l’université, une mise à distance ; que les demandes de remontées d’information se multipliaient sans cesse, sans constance ou homogénéité de la collecte… tandis que les services centraux regrettaient volontiers que les premiers ne les sollicitent et ne les informent que tardivement ou imparfaitement, voire ne lisent pas les messages d’information. Les deux réalités ne s’opposent pas, mais cohabitent bien.

Il est certes paradoxal de l’écrire ainsi, mais, malgré les urgences et le manque de temps, il faut organiser des moments où se crée de l’interconnaissance. Pour les collègues nouvellement recrutés, systématiser une journée d’intégration n’est pas symbolique et milite pour y présenter toujours davantage de représentants des services centraux. Dans la mesure, par ailleurs, où les directions des unités de recherche et des composantes jouent un rôle décisif d’explication et d’arbitrage, les nouvelles équipes de direction et les responsables administratifs devraient également rapidement bénéficier d’une rencontre avec les services centraux. Des « vis ma vie » entre enseignants-chercheurs et BIATSS ne seraient pas non plus nécessairement à voir comme des gadgets. Développer les formations intéressant plusieurs publics (risques psychosociaux, projets européens, gestion du temps…) pourrait augmenter les occasions données à ces personnels de se rencontrer. Des réunions où les services centraux se déplacent dans les composantes sont, par ailleurs, profitables. Un annuaire avec photos permettant de connaître les services et les fonctions de leurs membres aiderait à une meilleure identification des interlocuteurs possibles.

Dans les fusions d’établissements, les avantages à tirer de la taille accrue (pour disposer d’une force de frappe plus massive, de mise à disposition de personnels d’appuis très spécialisés) ne doivent pas occulter le risque d’une perte d’occasion des rencontres. L’interconnaissance ne se produit pas mécaniquement si une direction ne prend pas l’option de la favoriser.

Créer les espaces d’échange et de co-élaboration entre services concepteurs et enseignants-chercheurs utilisateurs et utilisatrices

Les griefs contre les fonctionnements dépersonnalisés et automatisés signalent surtout une recherche d’interlocuteurs et un besoin de dialogue à partir des situations (qui peuvent être des situations d’urgence ou de temps contraint) et en fonction des usages. Un paradoxe s’était exprimé dans le groupe de travail de l’UPEM : d’un côté, des services généraux ou d’appui avaient à cœur de faire au mieux pour aider les enseignants-chercheurs à accomplir leurs tâches ; pourtant, de l’autre, ces derniers nourrissaient le sentiment d’être aux prises avec de nombreuses complications. La piste pour échapper à ce paradoxe est sans doute celle consistant à mieux intégrer la conception (des règles, des outils…), d’un côté, et, de l’autre, les contraintes d’utilisation, les usages et leurs enjeux. Il y a, une fois de plus, un paradoxe à le dire, mais il faut investir du temps dans des groupes de travail permettant la rencontre et la confrontation de logiques entre concepteurs et utilisateurs ou utilisatrices d’outils divers : une application de gestion des candidatures, un outil de réservation de salles, etc. Les échanges peuvent concerner des aspects pratiques comme la réduction du nombre de clics pour accéder à la page ou à l’information recherchée tout comme ils peuvent porter sur les fonctionnalités utiles. On pourrait souhaiter qu’il en soit également ainsi pour des outils conçus par l’Agence de mutualisation des universités et établissements. Les référents qu’une université envoie dans les groupes de travail en phase de conception de ces outils pourraient alors être invités à travailler avec des utilisateurs pour renforcer leur capacité de proposition.

Penser les outils à partir des usages et améliorer leur ergonomie sur cette base

Les services centraux ou d’appui ont l’impression de mettre à disposition toute l’information nécessaire aux enseignants-chercheurs et d’être disponibles pour répondre aux questions. Ces derniers estiment, pourtant, ne pas avoir l’information qu’il leur faut au moment où elle leur est indispensable. Il semblerait utile de réfléchir à la mise à disposition de l’information en partant des situations où les enseignants-chercheurs en ressentent la nécessité. Ce sont les logiques d’usage qui doivent s’imposer dans la conception et c’est la situation qui devrait devenir l’unité de raisonnement. Cela pourrait passer par le développement de sites web spécifiques à certains services d’appui, sur lesquels seraient mises en ligne les réponses aux questions les plus courantes, des formulaires, des liens intranet et internet. La qualité d’un outil de requête aidant efficacement à retrouver l’information pallierait, quant à elle, la difficulté à chercher dans la messagerie électronique ou sur l’intranet une information qui, éventuellement disponible, n’émerge que difficilement de la masse des données accumulées. 

Répondre aux contraintes et besoins des services centraux et BIATSS

Ces derniers ont leur responsabilité dans la capacité des services et personnels administratifs à répondre au mieux à leurs demandes. Ces services et personnels ont leurs propres contraintes et besoins d’informations, certaines de ces informations étant précisément détenues par les enseignants-chercheurs. La coopération de ceux-ci vis-à-vis de ces contraintes et besoins participe pleinement de la fluidité des processus et de l’allègement des rigidités qu’ils ou elles peuvent ressentir. Au niveau des composantes et des laboratoires doivent être discutés et conçus, avec ces services, les règles, les procédures et les outils qui, par exemple, assurent une information de ces services suffisamment en amont. Les gestionnaires jouent, par ailleurs, un rôle irremplaçable de transmission et d’explication des règles, par exemple d’éligibilité des dépenses. Ils ou elles doivent assimiler beaucoup d’informations, et plus encore dans le cas d’un laboratoire multi-tutelles. À leur arrivée, le laboratoire ou la composante a la responsabilité de les équiper rapidement de ces connaissances formelles et informelles. La transmission orale joue son rôle, mais on pourrait également imaginer un kit d’accueil régulièrement mis à jour.

Inviter les laboratoires, les composantes, les formations à penser en continu leurs questions d’organisation.

Il est peu de dire que les collectifs d’enseignants-chercheurs ne sont pas toujours traversés par la qualité du dialogue entre les individus : les mépris scientifiques croisés, les non-dits, les rancunes tenaces pèsent parfois lourdement et affectent la qualité du travail individuel et collectif. D’autres entités de recherche ou d’enseignement savent, au contraire, discuter de façon apaisée. La capacité collective de réflexivité et de dialogue est d’autant plus cruciale que laboratoires, composantes, formations ont des règles d’organisation qui leur sont souvent propres : règles de division du travail, de répartition des tâches, de coordination. Cela dicte la charge de travail effective des individus. Organiser la délégation — cette conclusion à laquelle on parvient facilement lorsqu’on se penche sur le cas précis de tel ou tel qui se plaint d’une charge de travail excessive — mérite une réflexion collective régulière. Tous les fonctionnements qui avaient un sens lorsqu’ils ont été pensés ne justifient pas obligatoirement d’être perpétués et pourraient, au moins, être discutés. Déléguer ne repose pas sur une identification évidente de la frontière entre ce qui doit être assuré personnellement et ce que d’autres peuvent ou devraient faire. Séparer ce qui relèverait objectivement d’une tâche pédagogique ou de recherche d’une tâche administrative ne va pas de soi : un responsable de formation qui monte un séjour d’étude à l’étranger distingue-t-il ce qui est typiquement pédagogique et ce qui ne l’est pas ? La répartition collective du travail dépend de paramètres comme l’expérience des enseignants-chercheurs ou des BIATSS et d’autres caractéristiques de celles et ceux avec lesquels on travaille. Cela justifie d’autant plus de favoriser des réflexions et discussions collectives périodiques pour penser l’organisation.

Des universitaires devant instruire le débat sur l’organisation de leur travail

Les membres du groupe de travail de l’UPEM ont eu l’occasion de mesurer l’ambivalence des attentes des enseignants-chercheurs et le débat que peuvent faire naître entre eux les réponses à apporter. Ils se plaignent des règles qui se sont multipliées et de la réduction des marges de manœuvre qui en résulte. Mais ils demandent également des clarifications, des précisions et, en somme, de l’organisation. Cela appellerait, disent certains chercheurs, un effort de formalisation, par exemple celle des descriptifs de fonction. Mais d’autres les mettent en garde : cela revient à nourrir un formalisme qui ne sera pas sans porter atteinte à ce que les universitaires apprécient par-dessus tout dans leur profession, c’est-à-dire une part importante d’autonomie, de définition personnelle des exigences et d’auto-prescription. Au fond, c’est tout un régime de fonctionnement qui est en train de muter : formes de relations entre les individus dans ces schémas organisationnels et professionnels très peu hiérarchiques ; formes invisibles de mise au travail qu’ont longtemps été (et sont encore parfois) les relations mandarinales. Ce sont les modalités de transmission et d’entraide, les formes du collectif, qui sont interrogées. Cela dans un contexte où l’ambiance générale est à la mise en concurrence des individus au nom de l’excellence, jusqu’à parfois favoriser les profils de francs-tireurs très « publiants », au détriment des soutiers qui font tourner la boutique. Mais un contexte aussi où les réalités des projets à développer sur le plan de la recherche ou de l’enseignement imposeraient volontiers des constructions collectives, du travail en commun d’enseignants-chercheurs et de spécialistes de nouvelles méthodes pédagogiques et du numérique, des équipes de recherche organisant la répartition et la rotation des responsabilités, la transmission entre les membres.

Dans un fonctionnement assis sur les rapports mandarinaux, les universitaires n’avaient historiquement pas développé une pratique de la réflexion sur l’organisation du travail. Les évolutions en cours élèvent la pression sur le groupe et mettent les individus en concurrence. Cela accroît les antagonismes, exige de plus en plus de travail des individus. Les universités, et d’autant plus que leur taille devient massive, sont des organisations comme les autres, gagnées par l’administratif et les process et les enseignants-chercheurs partagent le sort de tous les salariés, créant un sentiment de travail empêché et de métier bridé. Si les universitaires n’apprennent pas à développer la réflexion et le dialogue sur le travail, à instruire la question des coopérations avec les personnels administratifs et l’administration centrale, ils seront en position de faiblesse pour, réciproquement, presser les directions de descendre de la strate de l’élaboration de la stratégie pour manager le travail.

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