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Habitant et agissant à Marseille, Victor Castellani a commencé la semaine dernière pour Metis un « Corona journal ». Voici la semaine 2.

Marseille confinement

Audio-boulot-dodo

Lundi 23. Confinement J7. Après le petit dej, forte est la tentation de rester en t-shirt et boxer —  il fait encore trop frais pour que je dorme à poil et ça fait une éternité que j’ai dit adieu au pyjama. Mais je n’y cède pas (encore). Entre les multiples conférences et appels vidéo, je n’ai pas envie d’exhiber ma collection de Charlie et autres Bugs Bunny ! Et puis mine de rien, s’habiller structure nos journées. Une chemise, un pantalon et vous voilà passés de l’horizontal au vertical, du passif à l’actif, des odeurs de la nuit au goût du jour. La semaine s’annonce rythmée. Allo ou plutôt audio-boulot-dodo, presque une nouvelle routine. Au programme du matin : appels de collègues, dialogue avec l’équipe nationale en charge de la plateforme jeveuxaider.gouv.fr, échange avec les nouveaux référents-modérateurs de chaque département, réponses à des organismes sociaux et médico sociaux : beaucoup découvrent l’outil et demandent conseil. Tous sont loin d’être accros aux réseaux sociaux. Il faut diffuser l’info, former et organiser notre réseau. Montrer comment ça marche. Mais aussi et surtout, répondre aux mille et une questions techniques juridiques ou éthiques de nos correspondants. Avec Benjamin dans son jardin, Yannick dans son bureau, Bertrand dans son salon, nous testons la première session de la formation en webinaire programmée pour le lendemain. S’agirait pas de se planter face à une centaine de personnes. Ici en PACA, sur les six, j’en connais déjà quatre. Ceux qui avaient accompagné la réserve civique ancienne formule (et que le présent gouvernement avait jugée inutile il y a encore 10 mois…) Nous ne partons pas de zéro et allons pouvoir embrayer très vite pour accompagner les associations ou collectivités qui nous sollicitent. Je leur propose une audio quotidienne vers midi afin de partager questions, propositions, solutions et, s’il le faut, états d’âme. Dès l’après-midi, pluie d’appels et de mails. Ici ce sont des responsables du conseil départemental qui me demandent s’ils peuvent y aller. Là des assos qui ne comprennent pas bien comment ça marche. Sans parler de la préfecture, qui pointe déjà son nez et demande des chiffres ! On ne soulignera jamais assez les dégâts dus à la pandémie du reporting. D’autant qu’ici, point de gestes barrières !

À 14 h audio conférence avec les banques alimentaires, médecins du monde, des restaurants sociaux, l’armée du salut, bref toutes les structures qui s’occupent de produire et de distribuer de la nourriture aux gens de la rue, migrants et autres habitants des bidonvilles. Tous très pros, prêts à redoubler d’efforts pour atteindre ceux qui pourraient avoir été oubliés. Il faut ré-estimer les besoins, déjà conséquents en temps normal. On parle aussi masques, gants, gel : ces actions ne sont pas sans risques. Ils n’en ont pas et de toute façon sont hors des priorités du ministère de la Santé. Qui au passage et question masques peinent visiblement à convaincre. Mais ils y vont. Méthodiquement. Courageusement. Certains vont manquer de chauffeurs. D’autres se demandent comment faire respecter les distances de sécurité lors des attroupements qui se forment à la moindre distribution. La plateforme les intéresse d’autant que nombre de bénévoles ont plus de 70 ans et en sont donc réduits à un strict confinement.

Un peu de com aussi. Rédiger avec ma collègue Jacqueline des posts pour les sites administratifs. Répondre aux journalistes de Toulon, de Marseille, déjà avides de chiffres. Informer enfin d’autres collègues que je ne serai plus en mesure de les aider, au vu du taf que la mobilisation citoyenne commence à engendrer. Dernier mail. Il est 21 h. On n’a pas eu le temps de causer avec Abdenbi. Mais il a suivi ce qui se passait et demande si lui aussi peut être utile. Pas de chance, tout ce que la plateforme propose est à l’autre bout de Marseille. Reste une mission plus proche émanant d’un centre israélite d’action sociale :

  • « Ça ne te gênerait pas d’aller aider des Juifs » ?
  • « Ben non pourquoi mon petit ? »(Y a des jours où c’est mon grand, c’est selon !).

À moi d’être gêné. Par mes préjugés.

Mardi 24. Sitôt avalés mon bol de thé et ma banane quotidienne, j’allume mon ordi. Mails de nuit. Faut répondre aux angoisses bureaucratiques d’un préfet. Aux questions techniques d’un directeur. Préparer le webinar. Je n’ai toujours pas reçu le lien qui me permet de me connecter. D’autres référents sont comme moi et s’inquiètent. Paris nous assure avoir fait le nécessaire, mais m’envoie par précaution le fameux lien que je répercute aussitôt. Ça sent le gros bug. Bingo. À 9 h 30 alors que toute la France des référents est censée être là, il n’y a que nous de PACA et deux ou trois miraculés du numérique. Il faut tout interrompre, envoyer, mails et SMS. Il est plus de 10 h quand tout le monde est enfin réuni. Le test d’hier a été utile, la démo de Benjamin convaincante. Au bout de 20 minutes, on passe aux questions-réponses, qui fusent à tout va. Ici on ne sait pas encore valider une mission, là comment éliminer un organisme douteux. Ailleurs on s’inquiète de l’honorabilité des bénévoles qui postulent pour garder des enfants. Tous abordent le sujet de la fameuse attestation. Comment les bénévoles qui sortent vont pouvoir se justifier auprès des forces de police qui déjà verbalisent en veux-tu en voilà. Le national répond comme il peut. Des dizaines de questions techniques ou politiques restent en suspens. Il va pourtant falloir s’y mettre. Et bricoler sans doute un peu.

Nous enchaînons avec notre première audio régionale. Satisfaction et frustration après le webinaire. Premières inquiétudes aussi. Arrivent sur la plateforme des entités à but lucratif, des auto-entrepreneurs et autres coachs qui font leur pub. Certains visiblement sincères, d’autres beaucoup moins. Agissez avec doigté nous a dit Paris. Car si les bénévoles commencent à affluer, les missions elles sont encore rares.

Aujourd’hui c’est non-stop. Abdenbi m’a servi à déjeuner devant l’ordi. J’ai même dû, en pleine visio, me soulager dans une bouteille. C’est fou ce que permet le télétravail ! Le soir, premier bilan chiffré. Hors de question d’imposer des tâches inutiles aux référents. Une copie d’écran de leur tableau de bord suffira amplement. 700 bénévoles déjà mis en relation dans la région. Mais sans doute cinq fois plus qui en cherchent. Le soir, batterie de WhatsApp aux amis. C’est là que je découvre un premier touché. Touché, mais pas coulé, car il commence heureusement à émerger. À la fin de la semaine, ils seront déjà 4. Pour moi la pandémie prend désormais leurs visages. Appel de Maria-Dolorès, une vieille amie chilienne qui a fui en 1973. Née Pinochet, elle avait eu le malheur d’appartenir à la famille du dictateur. Elle a gardé depuis une capacité incroyable à s’insurger, notamment contre la bêtise administrative. Et conservé un accent rauque intact qui évoque l’Atacama, la Tierra Del Fuego au moins autant que Valparaiso. Autour de 23 h, c’est Bernard, décalage horaire oblige. Mon frère est lui aussi confiné, et ce à Mexico où il vit depuis longtemps. En 2019 il a morflé : décès de papa, séparations personnelle et professionnelle. Nous nous interrogeons ensemble sur les leçons qui sortiront de cette crise. Depuis Madrid, Ricardo m’avait écrit : « la capacité de l’humanité à ne pas apprendre s’est beaucoup améliorée avec la dernière crise ». Bernard est un peu du même avis. Moi pourtant j’y crois. Va-t-on vraiment pouvoir consommer, circuler, travailler comme avant ? En 8 jours toute l’administration française s’est convertie au télétravail. Croyez-vous un seul instant que le retour au bureau se fera « comme avant » ? Une pensée encore. Pour les cités et autres oubliés de la République. Habitat, emploi, sécurité, infos : tout y est déformé. Les éducateurs encore en place disent que le confinement a du mal se faire entendre, comprendre. Il leur restait la rue et parfois aussi les stups. Tout cela va cesser. Mais à quel prix ?

Mercredi 25. J’aimerais vous parler d’autre chose que du Corona. Mais les jours se suivent et se ressemblent. Coordination, organisation, visios et audios. Dehors la température a chuté. Il a même neigé à la Sainte Baume, c’est dire. Au réveil la gorge m’avait un peu gratté, le nez un peu coulé. Premiers signes ? Non, fausse alerte. À 10 h tout cela n’est déjà plus. Avant, je ne me serais posé aucune question. Mais c’était avant. Et depuis 4 ans, j’ai commencé à écouter mon corps. Ça a pris du temps. Ce n’est qu’en 2016 que le déclic a eu lieu. J’étais convalescent, mais fatigué, si fatigué. C’est Anahit, ma psy de Percy, qui m’a aidé à mettre les points sur les i. Depuis le 13 novembre, l’envie irrépressible de vivre m’avait conduit au déni. De mes blessures, de mon état, de ma fatigue, de mon corps. Débauche de livres, d’objets, de gravures, Aznavour et elle en aquarelle : c’est dans le secret de son cabinet que tout s’est déclenché. Grâce à elle je perçois mieux aujourd’hui les signaux de mon corps. Je les relativise mieux aussi.

Notre communauté de référents s’organise progressivement. Après chaque audio, je rédige une petite synthèse à la fois pour eux et pour Paris. Entre-temps et comme pour répondre à la courbe de la pandémie, le nombre de bénévoles s’est envolé. On est passé à 71 000 bénévoles dans la France entière. Nous mettons en place un espace de travail collaboratif. Les référents font un sacré boulot. Dans des administrations qui au fil des RGPP, restructurations et autres modernisations, ont vu fondre leurs effectifs, ils assurent cette fonction avec cœur et engagement. Même si pour Macron et ses amis de Bercy, l’administration c’est d’abord et surtout du gras, pour eux c’est une éthique et un sens de l’intérêt général. Avec le Corona, la bonne nouvelle c’est la suspension des réformes. Y compris celle de l’administration territoriale qui nous touche en premier chef. Conjuguée au gel des salaires puis depuis peu à la réforme des retraites, elle n’a provoqué ni révoltes ni débats. Pas non plus d’acceptation et encore moins d’adhésion. Plutôt une sorte d’abattement, de découragement. Le pire pour moi est là. Quand on n’y croit plus, quand on n’est pas reconnu, quand on ne cesse de vous considérer comme une charge plutôt qu’une ressource. Quant à la suspension, je suis sans illusion. Je crains, tout en espérant me tromper, que le virus n’ait malheureusement pas touché le mantra néolibéral de nos élites.

Chouette, ce soir je suis de sortie. Chez Monoprix. Lol. Fruits et légumes ont été dévalisés. Peuchère, ils n’ont toujours rien pigé ! Plus une banane. Ni courgettes ni salades. Je me rabats sur des navets. Les caisses à cette heure sont aussi vides que les rayons. Ambiance. Une employée me fait un sourire. Lumineux. Un vrai soleil à elle seule. Dehors il fait très frais. Je me dépêche de rentrer. C’est l’heure de l’apéro. Du Skype apéro. Avec mes amis du théâtre, mes Edmonds. Bien qu’à 15 ce soit compliqué, le moment est précieux, chaud et joyeux. Si on n’a pas beaucoup bu, on a beaucoup ri.

Ce soir ma mère est un peu penaude. Profitant de ce que mon frère travaillait, elle a voulu sortir et faire des courses. Avec sa canne, mais sans son autorisation. Sans compter qu’à Strasbourg, sortir c’est quand même prendre de sacrés risques. Au retour, grosse engueulade par mon frère. Qui me demande d’en rajouter. Comme en général c’est moi qui lui passe un savon — de Marseille — je m’abstiens. Ce sera mon jour de bonté.

Notre Didier et autres potions magiques

Jeudi 26. Dans notre audio du jour, les référents se réjouissent de la montée exponentielle du bénévolat, mais s’inquiètent également de celle, plus limitée, des dérives. Du côté de Toulon, certains proposent de premiers essais gratuits de télépathie. À Nice, l’église de scientologie offre, sous couvert de lien avec les plus fragiles, des centaines de missions. Dans l’Hérault, un collègue me signale l’apparition de mystérieux « Anges réunis pour une conscience solidaire » qui ont eux déjà posté plus de mille missions. Toutes ont trouvé preneurs en quelques heures. Il faut y mettre le holà sinon malheur ! Mais il est déjà bien tard. Nous ne contrôlons qu’a posteriori. Sectes et escrocs ont entre-temps récolté quelques milliers de coordonnées. Autre sujet, la garde d’enfants : nous proposons au national d’exclure la garde chez des particuliers et de n’accepter que celle dans des établissements agréés. Les risques, sanitaires ou sécuritaires, sont bien trop élevés. Il est 13 h 30. Petite pause déjeuner ensoleillée. Saveur des plats, douceur du ciel. Au moment du café, au-dessus de nos têtes, un oiseau s’est posé. Gros et coloré. Petite merveille, premier cadeau d’anniversaire. Hé oui ! Une année de plus. A priori rien de prévu. Mais je n’avais encore rien vu ! Cet après-midi, la réserve civique me laisse un peu de répit. Je peux commencer à répondre aux messages. Photos, vidéos, écrits, oraux. Famille et amis des quatre coins du monde me disent leur amitié. À partir de 18 h je suis interdit de cuisine. Abdenbi veut me faire une surprise. Je ne serai pas déçu ! Couvert et nappe de fêtes, apéro au champagne (aux couleurs de l’OM !) suivi d’un tartare de thon aux deux sésames, d’un magret accompagné d’asperges vertes, de pommes de terre et poivrons grillés qui baignent dans une sauce délicatement pimentée. Et pour finir un gâteau aux noix nappé d’une mousse aux poires meringuée, concocté en grand secret par son pote pâtissier. La déco des assiettes est exquise. Délice pour l’œil comme pour le palais. Tout au long de la soirée, les appels se succèdent. Nous sommes deux à table, mais des dizaines par les ondes. Merci mon Corona. Tout ça, c’est à toi que je le dois. Ah j’allais oublier : après avoir beaucoup hésité, j’avais décidé ce soir-là de partager mon journal avec mes Edmonds. Ils en savent beaucoup les uns des autres, mais de moi, rien ou presque. Et donc, whatsapp aidant, je le leur tend. Les retours sont beaux, touchants, émus, aimants. Certains messages me font rire et d’autres pleurer. Merci pour ce que vous êtes et ce que vous faites, mes amis. J’aurai encore bien des choses à vous dire. Patience et j’en suis sûr bienveillance.

Vendredi 27. Réveil aux couleurs des émotions de la veille. Pas trop le temps de rêvasser. D’autant qu’il y a le rapport de la veille à envoyer. L’audio conf à préparer. Élargie aujourd’hui à nos collègues d’Occitanie. Nous ne serons plus 7, mais 21. Et pour maintenir un échange de qualité, mieux vaut le structurer. Tour de table virtuel, chacun se présente et explique où il en est. Certains découvrent et le concept de réserve civique et la plateforme qui l’accompagne. D’autres sont déjà plus aguerris. L’une évoque la lubie de sa préfète qui exige un contrôle a postériori de chacun des bénévoles avant la validation d’une quelconque mission. C’est clairement contraire aux directives. Mais dans notre monarchie républicaine, ce que préfet veut… Nos échanges sont nourris, attentifs, constructifs. Les dérives sectaires sont remontées à Paris qui déjà a pu agir. Au détour des interventions de chacun, je prends conscience de nos différences : il y a les débutants, les timides, les proactifs, les sur-actifs, les fans du contrôle, les passionnés du dogme, les cools, les rigides et j’en passe. Mais aussi une forte convergence faite d’une solide culture professionnelle et d’une éthique sans faille du service public. Cette audio élargie est plutôt réussie. Nous prenons date pour lundi. Courte pause déjeuner avec Abdenbi. À 15 h 30 second webinaire national. Au menu à nouveau mille questions, mais surtout deux informations. Avec plus de 170 000 inscrits en 5 jours, la plateforme est d’ores et déjà un succès. Même si le déséquilibre entre offres et demandes de missions reste élevé. Et puis, nous passerons dès ce week-end à un contrôle a priori des structures. Les dérives sont déjà trop nombreuses. Et c’est la seule manière de pouvoir, si ce n’est de toutes les éviter, de les limiter. Les référents qui y sont largement favorables verront pourtant leur travail considérablement alourdi. J’en profite le soir pour enrichir mon dernier bilan hebdo que je diffuse bien au-delà de notre petite communauté : directeurs et chefs de service doivent savoir plus précisément ce qui se passe.

Samedi 28. Marseille, ce n’est pas qu’un port. C’est d’abord une lumière brute, unique, parfois envahissante. Ce matin pourtant elle se fait hésitante, timide, voilée, pour tout dire mijaurée. Heureusement ça ne va pas durer. Car aujourd’hui j’irai enfin me promener. Bouger, respirer. Je prendrai mon heure, mais toute mon heure, c’est décidé. Vieille Charité, Major, Mucem et Vieux-Port : à moins d’un kilomètre, j’irai vous saluer. Je passerai aussi devant la sublime statue du migrant, moitié d’homme, moitié vide, et valise à la main. Un résumé de Marseille, de son passé et de son actualité. De ses tragédies et de ses réussites. Au retour, mon journal — et désormais aussi un peu le vôtre — m’attendra. Une semaine déjà qu’il s’impatiente. Les journées ont passé sans que j’aie eu le temps ou l’énergie de le compléter. À peine quelques notes et anecdotes. Sur les clients d’une boulangerie qui, nous raconte Sylvie, se sont battus à coup de baguettes plus que de viennoiseries. Tout ça pour non-respect de la distance sociale. Sur ce que m’a rapporté Bernard de Mexico : avec une économie informelle qui rassemble près de la moitié de la population, le confinement se heurte à la survie. Là-bas, comme en Inde, en Afrique ou une large partie de l’Asie, point de chômage partiel. No work, no pay aussi à Manille où mon ami Aram s’était lancé il y a un an dans la création de vêtements. Sa clientèle a fondu, comme ses revenus. Il survit grâce à sa mère tandis que beaucoup d’autres sont forcés d’aller travailler pour vivre. Et de marcher des kilomètres, puisque les transports publics sont à l’arrêt. Fragilisés, exploités, surexposés, ils n’ont en outre pas les moyens de se protéger ni, plus encore, de se soigner. Quant à l’élite politique, une partie profite honteusement de la crise en prélevant sur les dons sa dîme.

Dans le genre on peut en rire ou en pleurer, je n’oublie pas Didier Raoult. Notre Didier. Microbiologiste, médecin, bravache, rebelle, couillu et barbu. Vrai héros, ce nouveau Cyrano ? Peut-être. Vrai marseillais, c’est sûr ! Sa chloroquine a tout d’une potion magique. Dommage qu’Uderzo nous ait quittés (et là ce n’est pas la faute du coro) et ne puisse y goûter. Parti le 24 mars il était dit-on le 2e papa d’Astérix. Un enfant, deux papas ? Vive la GPA ! L’humour a parfois de l’avance sur les mœurs.

À la maison Abdenbi s’occupe. Tandis que d’autres s’éclatent dans le bricolage et le jardinage, lui c’est plutôt cuisinage et repassage. Faut dire qu’au fil du temps, ce sont des dizaines de chemises, polos, t-shirts et pantalons qui se sont froissés et empilés. C’est un tas, un mont, un pic, que dis-je c’est une pyramide. Il aime aussi piocher dans les CD. Après Louis Armstrong et d’autres célébrités du jazz ou du blues qui ont tourné en boucle, il est passé à d’autres sons, yiddish, marocains ou iraniens. Mais depuis hier, il nous met du Bach et du Schubert. Et entre-deux, du Komitas, prêtre, chanteur et compositeur arménien. Auteur de mélodies aussi troublantes que celle qui m’avait pris aux tripes dans le monastère montagnard et semi-troglodyte de Geghard. Grand musicien donc. Rescapé du génocide. Puis réfugié en France où il mourut fou et incapable de composer.

Je n’ai pas cessé d’écrire de la journée. Et totalement zappé le must du jour. Via Facebook, Philou s’était proposé de nous faire danser. Je suis confus, désolé, frustré. Et me rattrape sur le dîner !

Dimanche 29. Nous sommes passés à l’heure d’été. J’aimerais bien paresser et pour tout dire, vous délaisser. Me viennent pourtant quelques pensées. Sur la nature de la crise pour commencer. Bernard Gazier, grand économiste avec qui j’avais collaboré lorsqu’avec d’autres, nous travaillions sur les restructurations et spécialiste reconnu de la crise de 1929, soulignait que toute crise comporte trois dimensions. Celle tout d’abord du choc, de la sidération. Du fait de la soudaineté de l’effondrement. Celle ensuite de la révélation qui peut être positive — résilience —, mais aussi négative. Celle enfin de l’accélération qui fait apparaître des idées et des choses nouvelles, souvent invisibles, largement insaisissables, mais qui pourtant peuvent structurer l’à venir. Nous en sommes toujours à l’étape du choc. Le reste nous est encore très largement inconnu.

Pensez à organiser vos journées m’écrit par ailleurs ma copine Nadya. Comme beaucoup d’autres, elle croit qu’il importe en ce moment d’apprendre à gérer son temps. Et nous conseille de « le couper en petits morceaux, de donner à chacun une couleur, un nom, une fonction, une utilité. Puis de semer ces morceaux un peu partout dans la maison pour retrouver son chemin dans l’inaction et éviter d’angoisser la nuit à l’idée d’un lendemain sans planning, sans rendez-vous, sans histoire, coronaviré en prime (..) Cette épreuve du temps libre, comme un grand oral, nous pensions être un certain nombre à l’avoir déjà passée. Et dépassée. Certains par choix, les plus heureux, les artistes. D’autres par nécessité, quand leur temps social s’est arrêté, les chômeurs, les précaires,  rayés du monde des agissants, des bien-pensants, des importants. Tiens, les voilà tous logés à la même enseigne, le temps du confinement (…) »

Fin de journée. À 20 h comme tous les soirs je sors sur mon balcon. Une bonne partie du quartier est désormais au rendez-vous. Et chaque soir y va de sa petite variation. Un jour aux claps se joignent des tambourins, un autre ce sont des casseroles, ce soir ce sont des cris et des youyous ! En fond le son grave et puissant des paquebots. Et toujours une pensée pour ma Zabeth qui se bat à Colmar, pour Mumu qui fait de même à Aix, mais aussi pour Tina, Catherine, Ariel, Walther et tant d’autres que j’ai croisés à St Antoine ou à Percy. C’est pour eux que slame ce grand Suisse, le dénommé Narcisse. C’est avec lui que je vous laisse.

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