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Cette semaine Victor a traversé la France et, malgré les avertissement de Madame de Sévigné, est même passé par Paris. Destination l’Alsace.

Marseille confinement

Marseille-Strasbourg. Levé, douché, rasé. Petit déjeuner. Abdenbi que j’ai laissé. Un bus qui n’est jamais passé. St Charles donc, à pied ! 6 h 40 pour retrouver maman. Voyage. Nuages. Paysages. Enfin de grands espaces, en lieu et place de ma terrasse. Toute cette nature traversée, habitée par le printemps. Des champs, des fleurs, des monts, des horizons. Du vert et des couleurs. À 300 km à l’heure. Et déjà loin des rues en pierre, de Marseille, de sa lumière. Vues spectaculaires ou plus ordinaires, zones pavillonnaires, villas de millionnaire. De l’air ! J’ai aperçu la Sainte Victoire, le Lubéron et Cavaillon, longé le Rhône, croisé la Drôme. Les Monts du Lyonnais, ceux du Beaujolais et même le Mâconnais. Terres vigneronnes, et bientôt bourguignonnes. Une sorte de route des vins. Par le train. Puis ce fut Paris. En dépit des conseils de Madame de Sévigné. Extrait d’une lettre à sa fille envoyée :

« Surtout, ma chère enfant, ne venez point à Paris !

Plus personne ne sort de peur de voir ce fléau s’abattre sur nous, il se propage comme un feu de bois sec. Le roi et Mazarin nous confinent tous dans nos appartements.  Monsieur Vatel, qui reçoit ses charges de marée, pourvoie à nos repas qu’il nous fait livrer. Cela m’attriste, je me réjouissais d’aller assister aux prochaines représentations d’une comédie de Monsieur Corneille “Le Menteur”, dont on dit le plus grand bien. Nous nous ennuyons un peu et je ne peux plus vous narrer les dernières intrigues à la Cour, ni les dernières tenues à la mode.

Heureusement, je vois discrètement ma chère amie, Marie-Madeleine de Lafayette, nous nous régalons avec les Fables de Monsieur de La Fontaine, dont celle, très à propos, “Les animaux malades de la peste” ! “Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés”.

Je vous envoie deux drôles de masques ; c’est la grand’mode. Tout le monde en porte à Versailles. C’est un joli air de propreté, qui empêche de se contaminer,

Je vous embrasse, ma bonne, ainsi que Pauline ».

Sur le quai, le ciel était presque beau. Mais faisait chaud dans le métro. N’y avait pas d’air dans le RER. Au terminus alors j’ai pris le bus. Bastille, puis Filles du calvaire, juste derrière le cirque d’hiver. Là où pendant 12 ans j’ai vécu, où j’avais mes repères. Avant que je décide de tout quitter. Pour aller vers la Méditerranée. République, Magenta, le bus ne s’est pas attardé. La Gare de l’Est semblait fermée, prière de bien vouloir la contourner. Entrée par le côté. Nouveau contrôle, attestation, soupçons, déclaration. Ciel bleu et policiers grincheux. À nouveau un TGV. Toujours clairsemé. Autres visages et paysages. Rien de très attrayant ni de très palpitant. Avant que tout d’un coup la nature change. Nous approchons de Morhange, Fénétrange et Haboudange : là pas d’industrie, pas non plus de sidérurgie, mais un bout de Lorraine secret et très joli. Forêts, étangs, verts bocages et petits villages. Pourquoi pas votre prochain voyage ?

Bientôt la ligne bleue des Vosges s’est dessinée, l’Alsace n’allait pas tarder quand soudain j’ai vu des ailes se déployer. Nous étions tous scotchés de voir une cigogne s’enticher d’un TGV ! Arrivée à la maison. Ma mère, mon frère. On ne s’embrasse pas. Le cœur y est, mais y ne faut pas. Dimanche maman elle a fêté ses 91 ans ! Avec son chat et trois de ses enfants. Un bel anniversaire. Et même 4 invités pour le dessert. Nous nous sommes installés dans le jardin. Autour d’elle, des arbres, des fleurs, des roses, du lilas blanc et même quelques humains. Nous étions là, nous étions bien. Parlions de nous, de tout, de rien, sans trop penser aux lendemains. Les oiseaux gazouillaient eux aussi avec entrain. J’aime ce quartier, sa maison où je n’ai pas vécu. Pas loin pourtant de celle que j’ai connue. Après avoir habité rue Liszt, mes parents ont décidé de bouger et de déménager. Pas loin, une rue presque à côté, un autre musicien. Waldteufel, nom peu habituel, qui a composé quelques valses passées à la postérité. Dont celle des patineurs, mélange de glisse et de douceur.

Un appartement. Un petit bout de jardin, qui donne sur les voisins. 4 chambres, salon, salle d’eau, WC, salle à manger. Et une pièce où j’ai toujours du mal à pénétrer. Celle de mon père, son bureau avant d’être sa chambre à coucher. Des livres, souvent érudits, des encyclopédies. Et puis aussi ses propres écrits. Le Lion, la Vierge et le Miel, Le Signe de la pomme, et le dernier, Promenade aux frontières de la parole. Ces dernières années, il était aussi lucide que déprimé, presque désespéré. Sa vieillesse, ses empêchements, ses multiples fragilités. Dur de le voir geindre et trop souvent pleurer. Parfois, pourtant il parvenait à s’échapper. Grâce à ma mère, ma sœur, ses infirmiers et toutes celles qui l’ont accompagné. Un peu aussi grâce à la télé. Ou quelques poèmes qu’il aimait entendre ou réciter. A moins que ce ne soit une conversation en russe avec son ami tchétchène. Ou des mots d’allemand qu’il parlait couramment. Il appréciait les mots choisis, les traits d’esprit. De ma mère, j’ai très vite su ce qu’elle m’avait appris. Mais pour mon père cela a pris des décennies.

Longtemps je l’ai perçu faible, absent et décevant. Longtemps de lui me suis senti très incompris. Toutes ces choses qu’il m’avait promises et dont très vite il s’est dédit. Sans parler de mes choix de vie. Jusqu’au bout nous eûmes du mal à nous parler, pas faute pourtant d’avoir essayé. Ni de gauche, ni particulièrement sensible aux ouvriers, c’est lui qui m’orienta pourtant un jour vers mon premier métier. L’inspection du travail, telle était sa trouvaille. « Ce serait bien que tu y ailles. Ton goût de la justice au moins autant que la bataille. Ça t’apprendra la vie ». Bref quand j’y réfléchis, il y a tant de choses qui me viennent de lui. Cet intérêt pour l’Est et pour l’Europe centrale. Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Bulgarie, Pologne et Roumanie. Sans même parler de la Russie ou encore de la Géorgie. Des noms en — dzé et en — chvili. Il avait une passion pour les globes et les cartes, aussi. Il est venu me voir à Madagascar. Je le vois encore échanger une carte de visite usée dans une forêt de lémuriens, avec un savant japonais qui ne demandait rien ! Faire à Fianarantsoa un discours devant mes élèves rassemblés, un proverbe malgache pour terminer. Le jour de Pâques, lui qui n’aimait pas danser, je l’ai même vu se balancer au son de chants d’Église : Afrique oblige, chanter c’était aussi se trémousser, il n’allait quand même pas rester planté ! Il m’a transmis enfin son goût des langues. Nous ne les aimions pas pour la même raison. Lui c’était pour la grammaire, la syntaxe, leur abstraction. Moi pour la musique, la découverte, la communication. Alors aujourd’hui si je suis ce que je suis, c’est largement à cause de lui. Même si ce fut parfois contre lui…

Sociétés de la méfiance

Du reste de la semaine, que vous dire, que vous narrer ? J’ai pas mal bossé, me suis peu diverti. On a changé de séries. Fini Mammon, la Norvège, ses corrompus et ses ciels gris. Place à Why women kill, choix d’Abdenbi. Trois femmes, trois époques, trois couples volatils. Pas très subtil, ni œuvre pour cinéphiles. Pas con non plus, et souvent cru. Intrigues à bride abattue et rythme très soutenu.

Entre pluie et soleil, le ciel jeudi hésitait. Lui aussi ne savait plus si en ce mois de mai, il pouvait faire encore tout c’qui lui plaît. Et sur mon téléphone, pluie de bouquets ! Jamais je n’ai reçu tant de muguet. M’enfin ! Qu’est-ce que je vous ai fait ? Sans défilé, sans pouvoir battre le pavé, fallait bien trouver un truc à célébrer. Les uns ont fait dans la simplicité, d’autres dans le plus sophistiqué. En ce jour peu banal, je pense à un cadeau original. Une chanson russe pour nous changer du virus ? Vous la connaissez et peut-être même l’avez-vous chantée. Dieu sait si elle a été interprétée, traduite et parfois massacrée. Armée Rouge et ses succédanés, Mireille Mathieu, Ivan Rebroff et autres célébrités. Moscou et ses soirées. PodmoskovniéSa version swing ici vous la découvrirez.

Sur le boulot, pas grand-chose à signaler. Audios et vidéos se sont à nouveau succédés. La plateforme continue à fonctionner, nos référents à modérer. Et d’un beau questionnaire nous avons accouché. Et à tous ceux qui, structures ou bénévoles, se sont mobilisés, nous allons l’envoyer. Reste la lutte contre la pauvreté. Et une précarité qui risque d’augmenter. Je ne veux pas vous faire pleurer, mais rien qu’à Marseille les chiffres ont explosé. Avant, chaque jour on comptait environ 150 repas distribués, aujourd’hui c’est déjà 2800 et les chiffres ne cessent de grimper. Notre commissaire passe des heures à consulter. Prospecter. Demain il faudra encore mieux accompagner, abonder et faire participer. Ah et puis aussi contractualiser. Avec les collectivités. J’en reste là. Le reste est un peu compliqué et risque de vous ennuyer.

10 jours encore avant la délivrance. Même si nous n’en avons pas fini avec l’état d’urgence. Ni avec les ordonnances. Sociétés de la méfiance. Hier encore de la vigilance. Et désormais sous surveillance. Alors quand j’entends le mot bienveillance… Faut-il dire adieu à notre belle insouciance, à une forme d’abondance ? Je préférerais que l’on décrète la fin de l’inconstance et plus encore celle de la suffisance. Seule la rouspétance me paraît avoir encore toutes ses chances. Covid ou pas, on est en France ! Avec le terrorisme, nos libertés en avaient déjà pris un coup. Le virus a fait sauter d’autres verrous. On a, avec raison, critiqué Chine, Russie et Turquie, leurs dictateurs et autres hommes de fer. Est-ce parce que nous serions en guerre, qu’il faut se taire, qu’on peut tout faire ? Jusqu’où iront consignes et gestes barrière ? Traçages numériques et quasi militaires ? Crise sanitaire, aubaine pour des régimes et les gouvernements autoritaires.

Vous avez peut-être lu cette, comme diraient les Québécois, grande entrevue. Celle où Edgar Morin, parle du monde d’avant et d’aujourd’hui. Où il essaie de comprendre de quoi sera fait demain. Un texte à lire et à relire. Pas du prêt à penser, plutôt un essai sur la pensée. Et comme il le dit si bien, ce qui était séparé doit désormais être relié. À méditer.

Retour à mes amis, mes Edmonds, mes jolis. Ceux avec qui je skype le mercredi. Bien que plus clairsemé, notre dernier apéro nous a fait rigoler. Il y avait ceux qui préparaient une choucroute pour l’été. D’autres pour qui la seule idée était de se faire coiffer. Sans parler de celle qui caméra au poing a voulu tout nous montrer. Mais honni soit qui mal y pense ! Il ne s’agissait que de sa maison ! Tout y est passé : terrasse, cuisine, salle de bain, chambre et WC, plus un placard à réparer. Et puis encore les masques ! Comment les éviter ? Il y avait déjà ceux à base de couches, ou de tissus usés. Désormais c’est chez Chantelle que certains vont les commander. Pour lui, pour elle, la dentelle revient à la pelle !

Quelques notes pour terminer. Vous avez eu droit au rock, au slam, au swing et au gospel. À la musique classique ou romantique. Je vous laisse aujourd’hui avec des sons caucasiens, géorgiens, que mon père aimait bien. Avec Suliko vous serez loin de la house, sans même parler de la techno. Et même si vous ne pigez rien, laissez-vous aller. Ecoutez et rêvez.

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