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Episode 5 du panier (bientôt ?) reconfiné de Victor Castellani.

Marseille confinement

Sortis, partis, eux aussi

Toujours l’harmonie. Et parfois même un p’tit grain de folie. Les jours se font un peu moins courts, beaucoup moins gris. L’air aussi respire d’une nouvelle énergie. Dimanche avec Luc, Sabine et Danny nous nous sommes retrouvés du côté de Luminy. Les calanques en hiver. Le vent nous poussait, dansait, nettoyait, festoyait. Le soleil nous guettait et nous accompagnait, bienveillant, éclatant sans être bouillant. Des chênes, du vert, des pins, des fleurs, du thym, du romarin, Sugiton se réjouissait, rayonnait, souriait. Bain de joie, de nature et de vie. Frimousses épanouies. Nous étions ébahis, éblouis et ravis.

Lumières de janvier en Méditerranée. Temps radieux, temps des vœux. Que l’on reçoit, que l’on présente. Ceux qui arrivent une fois par an, de gens qu’on ne voit que rarement. Vœux professionnels ou bien plus personnels. Usage et rite de passage. Longtemps je m’en suis détaché, pensant que je pouvais m’en passer. Et puis petit à petit, je m’y suis mis aussi. Histoire de conserver un lien, d’en raviver un autre. 2021, année du lien et du câlin. On en a sacrément besoin. Le virus pourrait, devrait nous unir, nous fédérer, nous rassembler. Histoire de contrer les régressions en marche dans nos sociétés polarisées et distanciées. Mais ce que je vois, c’est plutôt chacun pour soi, chacun chez soi.

La maison, ta maison, ma maison. Je rêve d’autres horizons. Une page d’ailleurs va se tourner. J’envisage de déménager, de quitter le Panier, ses ruelles, ses escaliers. Un immeuble avec des ami. e. s, en copropriété, en collectivité. On cherche. Trois déjà nous sont passés sous le nez. L’un à Longchamp, l’autre à la Plaine, le dernier à deux pas de la rue des Cartiers. Le confinement a fait bondir ici l’immobilier. Nous ne pouvons plus hésiter si nous voulons vraiment nous installer. Je vis aussi mes dernières semaines avec Abdenbi. Venu pour une grosse quinzaine, il sera resté un an et demi. Il va, il veut s’envoler du nid, suivre sa voie, vivre sa vie. À son grand étonnement, la préfecture lui a délivré un titre non pas d’un, mais de trois ans. Pour lui cela signifie évoluer, se projeter, en finir enfin avec un parfois sombre passé. Je ne vais pas pour autant perdre l’ami, le confident, le cuisinier. De nos chemins croisés est née une très solide et confiante amitié. Ce départ annoncé me rend à la fois triste et soucieux, heureux et malheureux. Me vient en mémoire un chant de gitans. Autres lieux et autres temps. Joie et nostalgie, fête et mélancolie. Ederlezi.

Beaucoup moins proche, un autre est lui déjà parti. Quatre années de pitreries et de supercheries, d’inepties, de russophilie et de sinophobie. Impéritie dans la gestion de la pandémie et pour terminer un dernière salve de vilénies, de grâces qui sont autant d’ignominies, de coups foireux au Capitole, en Virginie. Après toute cette hystérie, place désormais à l’éclaircie. Soulagement pour les Etats-Unis, le monde et nous, bien sûr aussi. Fragiles démocraties. Moquées à l’Est, en Russie — où l’on tente de museler Navalny — en Turquie, en Asie. Contestées, violentées de l’intérieur aussi. Oubliés, déclassés, nombreux sont ceux qui ont décroché, basculé dans la pauvreté ou l’insécurité. Qui ne se sent plus ou mal représentés. Et puis il y a la pandémie. Restrictions des libertés qui risquent de durer. Progression inquiétante de la surveillance, du contrôle, des mesures disproportionnées. Le tout sous couvert d’une primauté donnée au médical, à la santé et la sécurité. Est-ce me laisser aller, forcer le trait, exagérer ? Tout peut arriver. Il n’y a pas je crois de destin tout tracé, de choix de la fatalité. De l’autre côté de l’océan, Joe n’a pas perdu de temps. Premières décisions, premiers instants, premiers pas apaisants. Restons pour autant vigilants. Une hirondelle ne fait pas le printemps.

Royaume-Uni, autre départ, attendu lui aussi. Le bordel du Brexit ne fait que commencer. S’il n’y avait que les sandwichs et plats désormais non agréés, les tournées d’artistes rendues plus compliquées, le passeport et non plus la carte d’identité ! Mais ce qui risque de durablement nous perturber, ce sont d’ores et déjà tous ces camions bloqués, ces cargaisons bonnes à jeter, ces flux interrompus, ces échanges brisés. Avec ces entreprises qui ne pourront plus produire et exporter. Des milliers de gens qui vont être licenciés. Je pense aussi à mes proches, à Lorna, Kevin et Gab, profondément attristés, déprimés. Qui rêvaient de revenir en France ou ils ont déjà passé de longues années. Pour eux tout s’est embrouillé. Visa requis pour tout séjour de longue durée. Autorisation pour travailler et se soigner. Tout cela au nom d’une souveraineté sans doute plus fantasmée que retrouvée ! Certes l’Europe ne fait plus rêver. Le citoyen la trouve à raison souvent trop compliquée, éloignée, désincarnée. À force de ne jamais expliquer, assumer, à force de se défausser sur des arbitrages auxquels ils ont pourtant participé, nos dirigeants y ont beaucoup contribué. Puisse au moins le départ des Anglais — soulignons-le car ce n’était la volonté ni des Irlandais et encore moins des Ecossais — nous aider à forger une destinée moins bridée dans ses capacités, plus confiante dans ses valeurs, plus ouverte enfin sur ses voisins méditerranéens.

Connus ou inconnus, le virus a emporté des millions de gens. Metis avait été jusque-là épargné. Mais le 12 janvier dernier, notre ami Wenceslas a été emporté. La dernière fois que nous nous sommes parlé, il était déjà hospitalisé. Après des semaines d’intubation et autres réanimations, nous l’avions cru tiré d’affaire. Le matin où il est décédé, je m’apprêtais à l’appeler pour lui souhaiter une bonne année ! Peu après, la nouvelle est tombée. L’homme était depuis longtemps très engagé. Après une riche carrière à la fois publique et privée, il s’était consacré à l’insertion des personnes handicapées. Parmi ses nombreuses qualités, il pourfendait hypocrisies et préjugés. Ses articles faisaient autant dans la description que dans l’indignation, l’analyse et les propositions. Un de ses papiers m’avait beaucoup touché : il y narrait une tranche de vie d’adolescent, face à ses profs et ses parents. Perçant, poignant, presque glaçant. L’homme qui nous a quittés était tout à la fois exigeant et bienveillant. Les actes qu’il a posés, les idées qu’il a embrassées, l’humour, l’esprit qu’il avait développés : tout ceci lui survivra et nous inspirera.

Olivier et Richie, mutants et variants

Sciences Po Paris refait la une ces temps-ci. Je connais l’établissement, j’y étais enseignant. Au hasard d’une rencontre dans un bar, j’avais été embauché par Richard. Celui qu’on ne surnommait pas encore Richie était déjà l’homme de bien des inventions, attractions et autres transgressions. Je n’oublierai pas non plus l’homme attentionné, celui qui, avec son compagnon, m’accueillit un soir où j’étais fort déprimé et quasi décidé à me supprimer. Le personnage était un mélange permanent de fascination, d’irritation et de provocations. À l’image de ce milieu pétri d’intelligence, de connivences et, souvent, d’arrogance. Je parle d’expérience. Celle en particulier de ma première année. Sans l’en parler, mes étudiants étaient allés le trouver, s’estimant désavantagés. J’étais, me dit-il, le seul qui n’avait pas passé l’Ena. Cela faisait de moi, un sous-prof, rien que ça ! Il m’appela, me convoqua sans pour autant revenir sur son choix. J’ai quant à moi persisté, continué à enseigner, sans rien montrer de ce qui m’avait été rapporté. Pas ébranlé, plutôt stimulé. Envie aussi de démontrer qu’un simple inspecteur pouvait autant que d’autres les initier, les éclairer. Sur le travail et l’emploi, le droit et sa complexité. À la fin de l’année, ils organisèrent un puis deux dîners. Lors du dernier, ils m’ont tout avoué et m’ont même remercié. Encore tout étonnés que j’aie pu continuer sans paraître troublé.

L’établissement a-t-il depuis évolué ? Richard avait voulu l’ouvrir et le diversifier. Il y est en partie arrivé. Pour autant, l’entre soi et ses codes ont-ils été brisés ? L’exercice du pouvoir s’est-il transformé ? Pour y avoir professé avant de le présider, en avoir usé et abusé, le parcours d’Olivier D — qui fut en même temps journaliste, député, conseiller — permet très sérieusement d’en douter. Quant à l’inceste désormais public et dénoncé, il confirme que tous les milieux sont également touchés, également silencieux, également protégés. Bien de ceux qui exercent des responsabilités sont encore loin d’une exemplarité qu’ils ne cessent par ailleurs de prôner, sur les réseaux, à la Chambre, à la télé. Qui d’entre nous d’ailleurs n’a pas déjà confié la direction de la Cité à des hommes, des femmes dont nous connaiss (i) ons les faiblesses, voire les perversités ?

Autre sujet encore un peu secret, mais on ne peut plus concret. Il y a quelques semaines je vous parlais d’Homos Deus, livre qui m’avait fasciné, excité, perturbé. Noah Harari nous annonce ici l’homme du futur, l’homme augmenté, le surhomme. Pas dans 100, mais dans 5, 10 ou 20 ans. J’ai appris récemment que notre armée y vient à marche forcée, qu’elle délibère déjà du « soldat augmenté ». Elle a pour ce faire constitué et saisi un nouveau comité — qualifié d’éthique — qui se serait déjà penché sur le recours à des exosquelettes, des robots tueurs et autres objets de défense connectés. Qui aurait aussi discuté d’injections ou d’absorptions de substances, d’opérations chirurgicales ou encore d’intégration de puces sous la peau. Et ce aux fins d’envoyer ou recevoir des informations à distance sur un théâtre de guerre. Toute une panoplie de techniques dites « invasives » pouvant accroître les performances physiques ou cognitives du corps humain. L’avis du comité, si tant est qu’il doive être publié, méritera d’être disséqué, discuté. Le cocktail santé/armées nous a certes permis des avancées. Mais plus souvent encore, il a recelé de bien plus grands dangers.

Retour sur le virus. La fin du tunnel arrivait. Certaines polémiques, parfois justifiées, se dégonflaient. La campagne vaccinale était enfin mieux engagée, même si des millions de doses se faisaient — et se font encore — désirer. Beaucoup se voyaient même revenir à la vie d’antan. Mais ça, c’était avant ! Putains de variants. Certains semblent plus résistants, d’autres plus inquiétants. Il y a déjà le chinois, l’anglais, le sud-africain, le japonais, l’amazonien. Que nous réserve-t-on demain ? Une souche mexicaine, indienne, égyptienne ? Et pourquoi pas une alsacienne, une parisienne, voire une buco rhodannienne ? Tout droit sortie non pas d’un obscur labo de Wuhan ou de je ne sais où, mais de celui de Raoult ! Je vois déjà la Toile s’en emparer, les théories du complot exploser, des hurlements anti-gouvernement, les déclarations et autres justifications de Macron, d’Attal ou de Véran. En attendant ce grand moment, les histoires de masques — artisanaux et pas encore chirurgicaux — (re) prennent les devants ! Pour résumer, ils ne nous protégeaient pas, puis ils nous protégeaient quand même et désormais ils ne nous protègent plus. Les voilà à nouveau pourfendus. Et peut-être demain défendus ? À côté de ça, les histoires à la Payan et la Rubirola, c’est du pipi de chat !

Nos malheurs vont de pair avec les rumeurs. À nouveau reconfinés, ça nous pend paraît-il sérieusement au nez. Comme beaucoup et sans doute comme vous j’aimerais y échapper. Retrouver un semblant de normalité. Pouvoir skier en février. Me remettre à voyager. Aller voir mes ami.es à Nantes, Londres, Lisbonne ou Paris. Refaire du théâtre, monter Edmond comme on se l’était promis. D’autres sont, je le sais, plus à plaindre que moi. Mentalement, socialement, professionnellement, économiquement. On se regarde, on se désole. On se compare, on se console. Enfin c’est le proverbe qui dit ça. Cette saloperie de bestiole fait déjà plus de dégâts que le Sida. Ce dernier d’ailleurs n’avait pas fortement impacté la vie en société. Je crains qu’avec ce que nous vivons maintenant il en aille bien différemment. Que le retour à cette fameuse normalité ne soit sans cesse repoussé. Bref qu’il faille apprendre non seulement à faire avec, mais autrement. Plus sagement, plus sobrement ? Rien n’est moins sûr pour autant. Alors, un peu d’humour en attendant. Avec Pierre Perret et le virus à maman.

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