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Des nouvelles de notre ami Victor qui depuis son panier Marseillais nous parle d’Asie, de maladies et de la vie aussi.

Marseille confinement

Messages, voyages, orages

A Marseille on est trop fort. Un peu comme Victor. Ne vous avais-je pas prédit dans mes derniers écrits un variant buco-rhodanien ? Et bien, deux jours après c’était fait, il arrivait ! Notre Didier, notre Chloroking comme on dit ici, l’a identifié, confirmé, classifié. Il lui a même donné un petit nom. En pur marseillais il aurait pu oser le teston, l’estron, le pégon, ou alors le toti, le supi, le fifi. A tout le moins chercher un prénom bien d’ici, César, Marius ou Fanny. Sauf que point du tout, que nenni ! Marseille 4, c’est tout ce qu’il a trouvé, un truc qui sonne comme un arrondissement  ou comme une série. Il fait tout d’ailleurs pour exister et s’apprête même à publier. Un livre où il affirme en toute humilité ne pas s’être trompé et ne rien regretter. D’autres gloires locales ont bien du mal à l’imiter. L’OM se débat entre résultats mitigés, un entraîneur mis à pied, un président chahuté et un rachat  envisagé. Sans même parler de cette nouvelle raclée infligée par ces affreux, ces horribles du PSG. Quant à notre municipalité, ce n’est pas non plus le super pied. Elle est non seulement méga endetté, mais ne peut plus épargner. Notre maire se débat, aboie, se déploie, veut tout analyser pour économiser. Le Stade vélodrome serait demain à vendre ! Peut-être à la criée ?

Le contexte sanitaire recommence à peser. Certes, provisoirement du moins, nous ne sommes pas reconfinés. Nous faisons le gros dos, respectons, plus ou moins, les gestes barrières. L’ambiance pourtant est assez délétère. Moins de gestes solidaires. Les soignants épuisés, les travailleurs-clés oubliés. On n’en a plus rien à faire alors qu’on les applaudissait naguère. Des jeunes, des étudiants de plus en plus amers et dont certains sont tombés dans une grande misère. Une culture qui plaide, qui meurt, dans le désert. Un équilibre entre économie et santé toujours aussi précaire.  Pendant ce temps-là, l’Assemblée vote des lois. Toujours plus de lois. Pour remplacer d’autres lois, souvent inappliquées. Comment mettre fin à cette course effrénée ? Comment se concentrer sur l’action et la transformation plutôt que sur un empilement de normes de circonstance ou d’exception ? Ce gouvernement prétendait avoir une vision, mener une révolution. Qu’en est-il ? Qu’ont donné les innovations, simplifications, disruptions et autres start-up nations ? Ce que je vois de mon Panier c’est surtout l’improvisation, la polarisation et, de plus en plus, la paupérisation.  Sans oublier les progrès de la technocratisation au moins aussi rapides que ceux de l’incompréhension.  Tout est facteur de distanciation. Sociale, physique, économique et politique. Aujourd’hui encore le pays se tient sage. En attendant l’orage ?

Maman a eu sa première dose. Ma belle-cousine, elle, s’y oppose. Au nom des médecines naturelles, des incertitudes actuelles, du soupçon attaché à la parole officielle. J’entends, je comprends, mais ne partage pas pour autant. Que de la médecine classique, des médocs et de la chimie, il ne faille pas abuser, il y a du bon sens, de la rationalité. Mais de là à tomber dans les excès opposés au risque de s’exposer, de se maltraiter et de contaminer, il y a pour moi un fossé. Catherine mon amie en est morte, je ne l’ai pas oubliée. Médium, magnétiseuse, énergéticienne, sur les médecines parallèles elle avait tout misé. Au début je l’avais suivie, elle m’avait soigné et même par deux fois hypnotisé. Ça m’avait calmé, soulagé, allégé.  Puis survint un cancer, tardivement détecté.  Un refus absolu de la chimio, de la radio, de se faire opérer. Envers et contre tout, elle a lutté jusqu’au bout. Prétendant même que la tumeur grossissait du fait d’anticorps qui interagissaient. Elle est partie dans d’atroces souffrances. Récusant jusqu’à la fin médicaments et calmants. Cette tragédie m’a, si j’ose dire, vacciné.  On peut croire sans pour autant s’exempter du principe de réalité. Expérimenter et alterner sans se faire enfermer. L’époque est hélas aussi propice au doute systématique qu’aux théories les plus ésotériques, et aux gourous parfois catastrophiques. Moderna, Pfizer ou AstraZeneca,  j’attends quant à moi le vaccin même si ce n’est toujours pas pour demain.

Vous faites-vous tester ? Ce truc désagréable où on vous gratte le fond du nez. Qui me fait parfois pleurer, voire éternuer. Pour moi c’est régulier. Moins peur d’être infecté que de contaminer. D’autant qu’à Marseille la circulation du truc a explosé. C’est ce que disent en tout cas nos valeureux marins-pompiers qui relèvent jour après jour les eaux usées. Le virus chez nous a failli s’inviter. Mercredi dernier c’est Abdenbi que la Sécu a appelé. Cas contact identifié. Téléphone, sms, emails, les messages, instructions et prescriptions n’ont pas cessé de défiler. De plus il se sentait très fatigué, courbaturé. Nous nous sommes immédiatement organisés : éviter de trop nous croiser, circuler masqués, manger – on n’allait quand même pas tout le temps s’ignorer – distancés. Et de gel nous copieusement badigeonner. Fausse alerte : vendredi le premier test est tombé. Négatif. Nous voilà rassurés. Il continue sagement à s’isoler. Confiné dans sa chambre dont il ne sort que pour s’alimenter, se soulager et se laver. Sorte de répétition générale, car tout peut encore arriver. Inch Allah on y échappera !

Abus, harcèlement, viols, inceste. Sexe et pouvoirs. Tabous et toutes ces choses que l’on cachait, que l’on savait ou devinait. On n’a pas voulu, pas pu y croire. La parole se libère dans la société, sur les réseaux. Combien de secrets de famille que l’on pensait enfouis désormais déballés, dénoncés, des flots de douleurs, de colères, des écrits et des cris. Nécessaires. Tentaculaires. Parfois aussi lapidaires. Trop de faits qui font honte, parfois aussi des règlements de comptes. Habitués des prétoires et du contradictoire, des amis magistrats me disent leur inquiétude, d’une opinion prompte à toutes les indignations, trop souvent exempte de vérifications. Mais ce métier leur enseigne aussi combien ces faits sont ancrés, traversent tous les milieux, toute la société. Un de mes frères a sans doute été abusé. Un ami de mes parents, un type sympa, à la fois chaleureux et déséquilibré. Qui bien après d’un balcon s’est jeté. Mon frère n’a jamais voulu en parler et du reste depuis des années, de notre famille s’est quasiment coupé.  Les fratries ne sont pas toujours unies. La mienne me pesait, souvent je l’ai fuie. En m’engageant politiquement et socialement, en partant de Strasbourg, en allant à Paris.  Cherchant auprès de copains et d’ami.e.s, ce que je ne trouvais pas chez mes parents, mes frères, mes sœurs, mes taties, mes mamies.

Il y a trente ans j’ai découvert l’Asie. La Chine alors se réveillait, Deng Xiao Ping la dirigeait. Retour Pékin-Paris, en train via la Sibérie. Vinrent ensuite le Japon, la Malaisie, la Turquie et, juste avant la guerre, la Syrie.  Puis l’Iran et le Tadjikistan. La Birmanie juste avant la libération de Aung San Suu Kyi. L’Inde aussi, découverte plus récente mais ô combien prenante et surprenante, attirante et bourdonnante ! Philippines et Taiwan enfin, histoire d’explorer des îles, de prendre d’autres chemins. Des voyages nombreux et passionnants. Pour les découvertes, la nature, les monuments. Mais surtout, surtout, les rencontres et les gens. Trajets en avion, en bus, en train, en bateau. Randonnées à pied, à vélo, à moto et même une fois sur le dos d’un chameau. Dans beaucoup de ces pays, une hospitalité ici largement oubliée, une ouverture, une chaleur, une grande curiosité. Des rencontres qui m’ont bousculé, mis à mal stéréotypes et préjugés. Pourtant, malgré tout ceci qui m’attire et qui me plaît, ne pas être à présent fort inquiet ? Ce qui se trame là-bas nous touche ou nous affectera de loin, de près. Ce fut, ça l’est encore un peu, le cas de l’Amérique et des Etats Unis. C’est désormais le cas, le tour de la Chine, celle sur laquelle règne ou plutôt sévit le nouvel empereur, j’ai nommé Monsieur Xi. Industries et technologies. Echanges et mode de vie.  Démocratie et, bien entendu, écologie. La mondialisation devait apporter progrès, libéralisation et démocratisation. Un mantra bien plus qu’une prédiction. Ankara, Rangoun, Pékin et Téhéran ont décidé qu’il en irait tout autrement. La tendance est au militaire et au sécuritaire, la pandémie fournissant toutes justifications aux états d’exception et autres formes d’oppression. Des Ouïghours rencontrés il y a quinze ans à Kashgar m’avaient confié leurs craintes et se faisaient du mouron. Le temps bien tristement leur a donné raison. Bref, notre Covid-19 non content d’être un agent perturbateur, agit comme un révélateur autant que comme catalyseur. Et ce qui se profile, à court terme du moins, a de quoi nous faire peur.

Restructurations et autres, terribles, passages à l’action

Du côté de mon administration, on est en pleine réorganisation. Je pensais pouvoir continuer sans trop avoir à y toucher. Mais on m’a demandé de m’y plonger. Je le fais sans plaisir, par devoir, essayant, souvent en vain, d’en voir le bon côté. C’est au moins la cinquième des reconfigurations qui se sont succédé. Chaque gouvernement a voulu s’y frotter, aucun n’ayant pris la peine d’évaluer ce qui avait pu être modifié. Cette fois, Paris avait eu une idée, celle de laisser la main au terrain pour « préfigurer ». Inventer les organisations les plus adaptées. Et donc forcément différenciées. Certains de nos directeurs ont voulu y croire, joué le jeu, discuté et proposé. Huit mois après, nouvel appel de Paris : laissez tomber, ce sera comme ça et pas comme vous l’avez imaginé, concerté; copiez, collez, exécutez ! Ils n’y croient plus et nous, non plus ! Et cerise sur le gâteau, on nous ressert  les mêmes mots !  Exemple avec la fameuse transversalité, qu’on nous rebat, façon Coué illimitée. Mot magique, mot-clé dont la répétition même prouve qu’on a échoué. Mais qu’on nous demande une nouvelle fois d’essayer. Cette fois on a des coachs pour nous « accompagner ». De bonne volonté sans doute, mais toujours les mêmes poncifs sur l’Etat-stratège, les synergies à développer, le management qui doit se faire bienveillant autant qu’efficient, les valeurs de l’organisation et patati et patapon. Pas très loin de cette vidéo, envoyée par une amie bien à propos ! Nous donnons désormais dans le groupe, le mood, le mode projet. Lors de la dernière réunion, je me suis rebellé contre tous ces trucs qui ont échoué dans le privé. Leur ai dit qu’on pouvait nous épargner tout ce langage, toutes ces idées.  Je ne suis pas hostile à une réforme du service public. Bien au contraire. Il faut évoluer, se bouger, se transformer. A condition de respecter sa raison d’être, son éthique et son identité. Qui part du terrain, des acteurs, des citoyens, des agents. Ca les a perturbés jusqu’à vouloir me couper et me mettre en difficulté. Jusqu’à inviter le reste du groupe, qui n’avait pas moufté, à se positionner. Manque de pot, derrière moi, gentiment mais fermement ils se sont tous rangés. Les obligeant à se raviser, changer de pied, accepter de mettre de côté si ce n’est leurs idées, du moins leur langage et ces putains de mots-clés. Victoire que je sais par ailleurs éphémère et amère tant les injonctions sont usantes, puissantes et mortifères.

Un bol d’air pour nous changer de ces absurdités ? Avec mes Edmonds on parlait depuis si longtemps de se revoir, se retrouver. Certes sans théâtre mais au moins pour bavarder, randonner, piqueniquer. Plusieurs tentatives, aussi souvent lancées que vite abandonnées. Un groupe whatsapp où chacun.e. s’était tortillé, défilé, excusé. Le virus, les enfants, les parents, le ménage, les amants, le chat, le chien, le boulot, à moins que ce ne fût la météo ! Mais cette fois ça a marché. Sans doute à cause d’un drame qui nous a rassemblés, donné envie de nous retrouver. Le temps n’était pas vraiment beau, le vent soufflait, était au sirocco. Le chergui comme le nomme Abdenbi. Du thé et des gâteaux amenés par Muriel et par Caro. Partage de bouts de vie, de joies, de peines, de scènes, d’envies. Beaucoup ont des enfants, souvent adolescents. Période rarement très facile. Il y a celles et ceux qui ne veulent plus manger, plus se lever, plus étudier. Celle qui vous dit un jour « je veux prier », qui veut aller à la mosquée. Parents interloqués, médusés, désemparés. Parfois braqués enclins à ne plus discuter. Fatigués de lutter pied à pied, de décider ou d’orienter. Petites et grandes fragilités. Hélas, certains ne peuvent les surmonter et décident un jour d’en terminer. C’est ainsi que Félix a été emporté. Douleur, malheur, horreur. Tristesse et questions infinies pour notre Sabine, sa mère, son père, son frère. Ses copains, ses proches et tous ceux qui lui étaient chers. Je ne le connaissais pas mais ça remue en moi. C’était il y a longtemps, je n’étais plus adolescent. Une immense déception doublée de terribles obsessions, de longues semaines, des mois durant. Un jour, une décision froide et sans hésitation. Un passage à l’action. Une gare, un quai, un train, j’avais choisi ma fin. Et puis soudain, derrière moi une main. Qui m’a saisi et sans un mot avait tout vu et tout compris. Je me suis retourné, fâché, étonné, empêché. Le train était passé. Je suis parti sans remercier. Sans plus jamais recommencer. Des années d’analyse pour tenter de comprendre et non d’incriminer, d’expliquer et pas de culpabiliser. Il y a des gestes insensés qui dépassent toute rationalité.

Dans ce paysage un peu noir et dépourvu de grands espoirs, j’ai fait une parenthèse, une escapade à Paris. Sur invitation de Pascal et Denis. Un bus gare de Lyon, direction Buttes Chaumont. Heureux de revoir mes amis. Malgré le ciel bas et la pluie, les rues ternes, les mines peu réjouies. Ce fut un défilé, déjeuners, goûters et dîners. On a beaucoup discuté, beaucoup mangé, on a bu (pas trop !),  on a ri. On a parlé de tout, de rien. De voyages, de cuisine, de vélo et de chiens. De séries, de livres et de bien des choses que j’ai oubliées depuis. De la macronie, de la gauche et de l’écologie aussi. La première nous exaspère quand les autres nous désespèrent. Pas de quoi nous emballer mais quel plaisir de partager, de taquiner et même parfois de s’étriper ! Cependant cela reste frustrant. S’apprécier et s’aimer, sans se toucher, sans s’approcher, sans s’étreindre ni s’embrasser, ainsi va aujourd’hui notre vie distanciée, limitée, surveillée. Envie de spontanéité, de se laisser aller ! Attendez donc l’été disent les autorités. Tel est l’horizon en matière de santé. Testons négatifs et restons positifs. Récurons nos pifs, nos culs (si, si, ça se passe en Chine vous avez bien lu !) et nous ne serons pas déçus !  Cultivons ce qui nous reste, nos rêves, nos amis, nos envies. Nos amours d’une fois ou de toujours. Sans oublier l’humour qui vaut tous les discours. Il y a parfois des annonces qui valent le détour. C’est donc en TGV que se termine la chronique du jour !

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