Aurélien Cadiou, président de l’ANAF, propos recueillis par Michel Weill
L’apprentissage se développe fortement depuis deux ans. Mais surtout dans l’enseignement supérieur. Et le plus difficile est toujours d’avoir une approche globale des besoins du jeune. Metis en parle avec le responsable de l’Association Nationale des Apprentis de France (ANAF) qui regroupe les apprentis eux-mêmes.
Les jeunes entrés en apprentissage en 2020 font face à un double choc : celui de l’impact de la crise sanitaire sur les entreprises qui les accueille, mais tout autant aux conséquences de la mise en place du nouveau cadre issu de la loi « Pour la Liberté de choisir son avenir professionnel » du 5 septembre 2018. Une disposition majeure de cette loi a été d’enlever la compétence « apprentissage » aux régions pour la donner aux OPCO, les opérateurs de compétences qui remplacent les anciens OPCA. Leur agrément devait intervenir au plus tard le 31/12/2021.
Pour faire face à la crise sanitaire, un « plan de relance de l’apprentissage » a été mis en place en juin 2020 par le gouvernement ; il comprend essentiellement deux mesures :
- Une augmentation de l’aide financière aux entreprises embauchant des apprentis, portée de 4 125 à 5 000 € pour les apprentis mineurs, et même à 8000 € pour les majeurs.
- Une prolongation de 3 à 6 mois du délai de signature d’un contrat d’apprentissage avec une entreprise pour les jeunes entrés en formation entre le 1er août et le 31 décembre 2020. Pour les premiers, l’échéance arrive donc ce premier février.
Cette conjonction de dates nous a paru opportune pour interroger Aurélien Cadiou, président de l’ANAF, qui a fêté l’année dernière ses 10 d’existence, sur son analyse de la situation des apprentis.
Aurélien, quelle appréciation portez-vous sur les statistiques récemment présentées par la ministre du Travail montrant une progression importante, 11 % en moyenne, de la signature de contrats d’apprentissage en 2020 par rapport à 2019 ?
On peut bien sûr s’en réjouir, mais en nuançant fortement. Les apprentis post-bac ont encore plus qu’avant progressé dans l’effectif global. Pour ceux-ci, l’apprentissage par rapport à une formation traditionnelle changera peu leur vie ; les statistiques montrent que leur accès à l’emploi n’en est pas bouleversé ; ils auraient de toute façon trouvé très majoritairement du travail. Pour les apprentis infra-bac au contraire, l’apprentissage constitue un avantage majeur dans la recherche d’emploi. Lorsque les régions étaient en responsabilité, certaines freinaient l’apprentissage post-bac d’abord pour des raisons financières. Pour cette raison, la réforme coûte cher et n’est pas financée. Autre nuance de taille : on a assisté à une bascule importante des contrats de professionnalisation vers les contrats d’apprentissage beaucoup plus intéressants financièrement pour les CFA. Si on cumule ces deux modalités de l’alternance, la croissance ne semble pas si positive.
Compte tenu de la crise, on a dû aussi constater des écarts très importants selon les secteurs d’activité inégalement impactés ?
Très certainement des secteurs comme l’hôtellerie-restauration, l’automobile, l’aéronautique, l’événementiel ou la culture ont été très fortement impactés, mais malheureusement, on ne dispose d’aucune statistique sectorielle.
Comment appréhendez-vous la signature des contrats d’apprentissage avec les entreprises en lien avec ce butoir de six mois pour signer ?
Depuis le premier août, 52 000 jeunes sont rentrés dans le dispositif, 9 700 ont signés un contrat, 4 300 sont sortis du dispositif et 38 000 sont sans contrat au 18 janvier 2021. La question de leur devenir est donc urgentissime.
Quelle solution voyez-vous ?
La nouvelle ministre n’a pas la même position que l’ancienne. Muriel Pénicaud avait fixé le délai à 6 mois pour mettre la pression sur les CFA pour la recherche d’employeur, mais avec une idée de prolonger. La prolongation jusqu’à la fin de l’année est notre souhait. Pour des apprentis déjà très fragilisés, il faut changer le moins possible de choses, les laisser valoriser leur année et non pas la perdre complètement, ce qui serait le cas s’il y avait un couperet à 6 mois. Ils auraient ainsi une chance de rejoindre un processus de recrutement pour l’année prochaine qui démarre traditionnellement au mois de mai-juin. Il faut leur permettre d’aller jusque-là.
Il n’y a pas de plan B ?
Valérie Pécresse y songe en Île-de-France, comme d’autres régions (récente communication des Régions de France). Elle veut proposer aux sortis une autre formation professionnalisante. Mais ce serait un statut très compliqué ; on leur demande de ne pas envoyer de contrat de stagiaire de la formation professionnelle. Cela veut aussi dire de déménager pour faire un CAP ou un BTS. Il faudrait que les lycées-pro acceptent les apprentis sans employeur même en plein milieu de cette année scolaire ; mais les échanges continuent sur le sujet entre les ministères du Travail et de l’Éducation nationale. Il faudrait dans ce cas que la décision soit prise maintenant. Cela resterait toutefois un plan B, pas un plan A. L’expérience ces décrets pris fin septembre sur les aides alors que les annonces avaient été faites trois mois avant, nous fait là aussi craindre la lenteur.
Que pensez-vous du niveau des aides aux entreprises qui devrait baisser ?
Nous avons demandé la prolongation de leur revalorisation, mais peut-être pas à ce niveau. Elle devrait concerner plutôt les secteurs en difficulté pour ne pas constituer un effet d’aubaine pour ceux qui embauchent de toute façon des apprentis. Mais on observe quand même que des entreprises qui ne l’avaient jamais fait embauchent.
Qu’en est-il des aides directes aux apprentis ?
Avant la réforme, les apprentis bénéficiaient de la part des Régions d’une aide dite THR, transport, hébergement, restauration, d’une aide pour l’équipement professionnel, ainsi que souvent d’une aide à la mobilité internationale et d’un fond social pour les plus démunis. Depuis la réforme, les OPCO ont repris ces aides, mais ils n’ont pas l’obligation de verser une aide-transport, le Gouvernement souhaitant que les régions continuent cet aspect. Sur les deux autres volets des montants, plus qualifiés de maximum, ont été définis par décret : 3€ par repas et 6€ par nuitée. Les OPCO décident des conditions d’attribution et peuvent voter beaucoup moins. De plus les crédits sont donnés aux CFA et non directement aux jeunes comme auparavant, et seulement à ceux qui prouvent des dépenses. Pour les CFA qui ne disposent ni de cantine ni d’internat, ce qui est fréquent, c’est la double peine pour les apprentis. En fonction des OPCO, beaucoup de CFA se plaignent. Et du coup, des jeunes de la même classe dépendant de deux OPCO différents peuvent ne pas bénéficier des mêmes aides.
Quid de l’égalité à situation identique ?
Il en va de même pour l’aide aux équipements, y compris informatiques qui deviennent essentiels dans la période. C’est à la discrétion des OPCO avec une aide maximum de 500 € à acheter directement par les CFA. Si le CFA ne veut pas s’en occuper, il n’y a pas d’aide. Du temps des Régions avec les cartes d’achat données aux apprentis, ça marchait beaucoup mieux.
Les fonds sociaux n’existent plus, alors que par exemple les Hauts-de-France provisionnaient 500 000 € utilisés à 90 % et bénéficiant à 1 000 apprentis.
Est-ce que cela peut évoluer ?
Nous sommes en discussion avec le cabinet de la ministre par exemple pour donner des tickets-restaurant lorsqu’il n’y a pas de cantine dans le CFA. Pour le fond social, il envisage de passer par le CNOUS (centre national des œuvres universitaires et scolaires) avec un abondement du ministère du Travail. Mais les négociations sont lentes, seulement 15 minutes au téléphone depuis le Gouvernement Castex. Les échanges étaient réguliers et constructifs avec les équipes de Muriel Pénicaud.
Autrefois les Régions attribuaient aussi des aides au permis de conduire, essentiel pour trouver du travail. Il y a du retard sur ce sujet aussi. Uniquement pour les majeurs et cela passe encore par les CFA. Il est envisagé de les transformer en aide à la mobilité pour bénéficier de tous les modes de transport individuel ou collectif. Certaines OPCO peuvent aussi créer d’autres aides, mais nous n’arrivons pas à avoir l’information. Certaines Régions envisagent aussi de prendre des initiatives lorsqu’on saura exactement ce que font les OPCO.
Et dans la fonction publique, que se passe-t-il ?
On avait assisté à un développement de l’apprentissage dans la fonction publique, tout particulièrement dans les collectivités locales. Dans beaucoup de régions, la formation ne coûtait rien au CFA, car prise en charge. Mais depuis la réforme, la fonction publique ne disposant pas d’opérateur de compétence, plus personne ne finance. Il a été décidé que le CNFPT, l’organisme de financement de la formation continue pour les collectivités locales, allait prendre en charge 50 % du coût de formation…à budget constant ! Dans le public, on a assisté en 2019 à une baisse du nombre d’apprentis. On aurait aimé que l’État aussi fasse un effort comme il le demande au secteur privé.
Une dernière réflexion ?
Je voudrais attirer l’attention sur des dérives : avec le développement de l’apprentissage dans des écoles supérieures privées, on assiste à la tentation de faire payer directement aux jeunes des frais d’inscription ou de scolarité qui peuvent s’élever à plus de 1 000 € quand le jeune n’a pas d’entreprise, alors que le contrat d’apprentissage avec l’OPCO est censé couvrir tous les frais.
Réforme et crise sanitaire, pour ces deux raisons la situation des apprentis est donc particulièrement mouvante. Elle demanderait une forte concertation de tous les acteurs que la situation sanitaire, et peut-être aussi la hiérarchie des priorités politiques, tant au niveau de l’État que des branches professionnelle, ne facilitent pas vraiment.
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