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L’AFDET – Association Française pour le développement de l’enseignement Technique — organisée nationalement et en régions, réfléchit et agit pour transformer, faire progresser et promouvoir les différentes voies de formation professionnelle des jeunes. Un colloque national à Marseille le 11 mai 2023 « Voie professionnelle, voie d’avenir pour les jeunes » a réuni tous les principaux acteurs des formations techniques et professionnelles. Quatre jours après les annonces du Président de la République concernant la réforme des lycées professionnels, ce colloque arrivait à point nommé pour aborder les grands enjeux concernant l’enseignement professionnel à la lumière des travaux engagés depuis le lancement de la réforme et des actions en cours au sein du système éducatif.

Deux sujets majeurs étaient à l’ordre du jour de ce colloque : l’orientation avec la question « Quelles conditions pour réussir une orientation positive ? », et la voie professionnelle avec « Comment la voie professionnelle peut-elle répondre aux besoins de mutation des territoires et offrir des perspectives professionnelles pour les jeunes ? ». Les orateurs étaient des responsables académiques, des chefs d’établissement et des directeurs délégués aux formations professionnelle et technologique (DDFPT), des représentants des régions, des responsables d’entreprise ou de branches professionnelles et des experts. Les travaux devaient être clôturés par une intervention de la ministre Carole Grandjean, mais ce rôle avait échu finalement à son directeur de cabinet, la ministre ayant été retenue par le Président pour participer à une réflexion gouvernementale sur la réindustrialisation de la France.

L’enjeu majeur de l’orientation

Les débats concernant l’orientation ont donné lieu à une série de présentations d’initiatives diverses, engagées parfois de longue date tellement cette question de l’orientation par l’échec vers la filière professionnelle est un « serpent de mer » dans la conscience collective, mais aussi dans les réflexions et les multiples initiatives prises au sein du système éducatif.

La discussion était cadrée par Philippe Dole, Président de l’AFDET qui soulignait l’importance du rôle des entreprises dans les questions d’orientation dans un contexte cumulant pénurie de main-d’œuvre qualifiée, baisse démographique et accroissement de l’accès des bacheliers à la poursuite d’études. Le collège est ainsi au cœur de l’orientation, le lieu privilégié de la constitution de la motivation. Les conditions de réussite d’une orientation positive sont d’abord l’engagement et les initiatives des équipes pédagogiques des collèges et des lycées, la mobilisation des acteurs économiques, le travail auprès des parents d’élèves et le dialogue et la coopération entre tous ces acteurs auxquels contribuent des structures telles que les CMQ (Campus des métiers et des qualifications) et plus généralement les régions.

Parmi les « bonnes pratiques » présentées par les intervenants on relève en particulier : les « Parcours Avenir » lancés en 2015 par Najat Vallaud-Belkacem pour permettre à chaque jeune collégien d’apprendre à connaître les métiers et de s’orienter dans la vie économique ; le travail systématique auprès des parents (collège Camille Claudel à Vitrolles où sont scolarisés des jeunes de plus de vingt langues maternelles différentes et où l’on propose aux mamans des cours de français ainsi que l’invitation à participer à des visites d’entreprises dans ce collège) ; l’appui sur le numérique et le jeu pour visiter les entreprises et imaginer les parcours professionnels dans l’industrie (un métavers consacré à « l’usine extraordinaire » élaboré par le CMQ des métiers du futur à l’initiative du Délégué régional de l’UIMM Alpes-Méditerranée) ; d’autres initiatives de plusieurs CMQ qui fédèrent les actions de différents partenaires publics et privés ; et enfin des actions lancées directement par les Régions telles que les « nuits de l’orientation » dans la région Centre-Val de Loire où se retrouvent les jeunes, leurs familles, les établissements de formation et les entreprises.

Ce faisant, les intervenants faisaient valoir un certain nombre d’insuffisances et de questions. Furent ainsi mis en cause les réflexes traditionnels au sein d’un système éducatif qui repose sur la sélection par l’échec, entretient le déterminisme social, ne voit pas bien que les jeunes ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans, et que dix ans après leur diplôme, plus de la moitié des jeunes exercent d’autres métiers que celui pour lequel ils ont été formés. Pour François Bonneau, Vice-président de l’Association des Régions de France et Président de la Région Centre-Val de Loire, on est passé en quelques années du chômage de masse à la pénurie des compétences. L’enjeu de l’orientation des jeunes n’en est que plus crucial. Mais il faut en finir avec le déterminisme dans lequel on s’est enfermé jusque-là. L’orientation doit maintenant s’organiser en référence à des parcours individualisés basés sur des projets changeants. Il faut dédramatiser les situations, le droit à l’échec doit être possible et l’éducation nationale doit le comprendre.

Pour la secrétaire nationale de la PEEP (parents d’élèves de l’éducation publique), le dialogue avec les parents est souvent difficile à établir et leur participation à des réunions d’information dans les établissements scolaires n’est pas toujours acquise. Les raisons sont d’ordre économique ou de difficultés de transport, mais elles tiennent aussi aux difficultés pour les familles de se repérer dans les appellations et les sigles de nombreux diplômes souvent porteurs d’incompréhensions ou de malentendus.

Également mentionnées les difficultés à déconstruire les stéréotypes de genre concernant les études scientifiques et technologiques, l’abus des sigles incompréhensibles et souvent trompeurs des diplômes, l’absence de prise en compte des compétences comportementales dans les procédures du système Affelnet (destiné à recueillir les vœux d’orientation en fin de troisième), l’insuffisance du travail auprès des familles et plus généralement, les limites de la formation des enseignants qui grâce à la formation continue devraient mieux prendre en compte les questions d’orientation.

Dans ce contexte, l’annonce récente par le Président de la République selon laquelle dès la rentrée de septembre 2023, les collégiens de 4è et de 3è bénéficieront d’un temps de trois heures par semaine dédié à la découverte des métiers était rappelée par Roland Kastler, Vice-président de l’AFDET. Cette initiative s’appuie sur la proposition de l’AFDET d’un espace – temps au sein de chaque collège dédié à l’orientation en même temps qu’à l’acquisition des compétences comportementales et sociétales.

La voie professionnelle, les territoires et les perspectives pour les jeunes

En introduction des débats concernant la voie professionnelle, au nom du CEREQ, Thomas Couppié mettait en évidence quelques-unes des principales leçons de l’enquête Génération 2017 : (i) la montée discrète des niveaux (depuis la précédente enquête), avec près de 80 % titulaires du bac et 50 % d’un diplôme du supérieur ; (ii) parmi ceux qui ont commencé une formation de bac pro, 51 % disposent à la sortie d’un diplôme de niveau bac, 16 % d’un diplôme du supérieur, mais 33 % sont sans diplôme, synonyme de décrochage, ces différences étant très corrélées avec les inégalités sociales ; (iii) au moment de l’insertion dans l’emploi, 63 % le sont en CDD et 37 % en CDI, mais après 3 ans, 44 % de ceux qui ont commencé en CDD ont obtenu un CDI ; la formation par apprentissage joue comme un accélérateur d’insertion par rapport à la voie scolaire ; le retour en formation s’accroit ainsi que la formation en situation de travail ; (i) parmi ceux qui ont en emploi, 78 % souhaitent y rester (dont 90 % se disent satisfaits et 10 % résignés), et 22 % voudraient en changer (voir dans Metis « Insertion des jeunes : embellie passagère ou vrai tournant ? » entretien de Thomas Couppié avec Jean-Louis Dayan, juillet 2022)

Que ce soit à l’initiative des régions, des académies, ou en partenariat entre elles, les mesures sont multiples en vue d’identifier les besoins des territoires en compétences, d’appuyer le développement conjoint des lycées professionnels et de l’apprentissage y compris de la mise en œuvre de la mixité des parcours et des publics, de moderniser les plateaux d’équipements technologiques, d’apporter des aides directes aux jeunes, de promouvoir le mentorat et l’insertion professionnelle (Nouvelle-Aquitaine, Bourgogne Franche-Comté, PACA). Dans ce contexte, des CMQ (par exemple celui intitulé « process et technologies en milieux sensibles » porté par le Lycée Albert Einstein de Bagnols-sur-Cèze), des lycées des métiers et des CLEE (comités locaux école-entreprise), jouent un rôle essentiel dans le développement du partenariat au niveau des territoires en matière d’information sur les métiers, de promotion de l’apprentissage, du lancement d’opérations d’école en entreprise, d’aide à la recherche de stages…

Cependant les intervenants émettaient des interrogations et des craintes quant aux besoins de répondre aux objectifs de la réindustrialisation et du développement des territoires et en réaction aux annonces du Président Macron. Étaient ainsi évoquées : la constatation que les jeunes sont de moins en moins attirés par la technique, d’autant qu’il est difficile de trouver des stages et qu’il est souvent très compliqué pour les PME d’y pourvoir ; le risque de promouvoir l’adéquationnisme vis-à-vis des besoins à court terme des entreprises dans un contexte où les métiers évoluent de plus en plus vite ; le risque d’enfermer les jeunes dans des territoires ; le manque de coordination entre les initiatives des CMQ, des CLEE, des GRETA et autres établissements concernés ; le besoin de revoir régulièrement les cartes des formations et d’adapter les référentiels ; le besoin impérieux de mieux former les enseignants.

En outre, la mise en œuvre des stages et en particulier des PFMP (périodes de formation en milieu professionnel) des baccalauréats professionnels a donné lieu à plusieurs commentaires parfois divergents. Pour le DDFPT (directeur délégué aux formations professionnelles et techniques (1)) du lycée Raspail à Paris, les PFMP sont appauvrissantes, moins professionnalisantes qu’il y a 15 ans ; cela tient à la baisse de l’âge d’entrée en seconde pro ajoutée aux précautions de plus en plus grandes prises pour des raisons de sécurité, et il en résulte que les tâches confiées aux stagiaires sont moins valorisantes et s’éloignent de la réalité du travail professionnel auquel ces périodes sont censées préparer. Pour le DDFPT du lycée Jean Perrin à Marseille, une PFMP peut devenir un succès ou une catastrophe, tout dépend de la qualité du tuteur ou maître d’apprentissage et de la qualité de la relation qui se noue avec l’établissement de formation ; la situation est plus favorable dans le cas de l’apprentissage où le tuteur est beaucoup plus présent auprès du stagiaire ; ce qui se joue là c’est la pédagogie de l’alternance qui devrait en particulier s’appuyer sur une vision commune des référentiels de diplômes. Là encore, la formation des enseignants et des tuteurs est un enjeu majeur.

En répondant à la fin du colloque aux questions posées quant aux douze mesures de la réforme, le directeur de cabinet de la ministre insistait sur l’importance, inscrite dans la réforme, de cette reconnaissance de l’enseignement professionnel comme un atout essentiel dans la stratégie industrielle de la France ; reconnaissance qui se traduit dès aujourd’hui par la multiplication des demandes des entreprises et des branches à l’égard du ministère. Il y voyait un signe de la revalorisation de la voie professionnelle à égale dignité avec les autres filières générale et technologique. Rappelant les trois promesses de la réforme : plus d’insertion, plus de poursuite d’études et la lutte contre le décrochage, il faisait valoir l’importance de la création dès la rentrée prochaine d’un bureau des entreprises dans chaque LP, placé sous l’autorité du DDFPT, avec les objectifs de développer la communication avec les entreprises, formaliser les partenariats, aider les jeunes dans la recherche de stages et former les tuteurs. Quant à la carte des formations, il annonçait la mise en œuvre de procédures transparentes visant la fermeture et l’ouverture de filières dès la prochaine rentrée, basées sur des indicateurs précis concernant l’insertion et la poursuite d’études. Il terminait en soulignant le rôle essentiel des enseignants dans toutes ces mesures et en évoquant les mesures de revalorisation dont ils allaient bénéficier y compris la rémunération supplémentaire pouvant aller jusqu’à 7500 euros brut par an pour les nouvelles missions qui leur seraient proposées.

Ces annonces figuraient dans le dossier qui avait été distribué aux participants au début du colloque (voir ci-dessous), mais on pouvait se demander s’ils avaient bien pris conscience de l’ampleur des changements à venir d’ici septembre et si tout cela était bien réaliste. On ressentait comme un hiatus entre le colloque et les annonces politiques.

Ce qui change dès la rentrée 2023

Pour le lycéen :

  • Généralisation du dispositif pour prévenir le décrochage « Tous Droits Ouverts »
  • Renforcement du travail de soutien en petits groupes et activités optionnelles (grâce aux professeurs engagés)
  • Mise en place du dispositif « Ambition Emploi » pour accompagner chaque jeune bachelier sans solution (emploi ou poursuite) après le lycée de septembre à décembre
  • Expérimentation du Parcours de consolidation dans les lycées volontaires pour les élèves entrés en BTS qui sont en risque d’échec
  • 50 % des lycéens qui souhaitent une insertion directe post LP et seront accompagnés par France travail tout au long de l’année scolaire (Avenir Pro)
  • Gratification des périodes de stage
  • Une meilleure orientation vers la voie professionnelle grâce à la découverte des métiers au collège
  • Révision des modalités du bac pour tous les élèves qui entrent en 1re professionnelle en septembre 2023
  • Premiers élèves mentorés grâce au dispositif 1 jeune 1 mentor

Pour l’équipe éducative :

  • Revalorisation pour tous les professeurs et chefs d’établissements
  • Rémunération supplémentaire jusqu’à 7 500 euros brut par an pour les professeurs volontaires en lycée professionnel pour exercer de nouvelles missions favorisant la réussite des élèves (remplacement de courte durée, amélioration des savoirs fondamentaux, coordination des projets CNR, interventions auprès de petits groupes d’élèves selon leurs besoins, tutorat un groupe d’élèves) et autres missions (cf. p.29)
  • Formation des cadres de direction nouvellement affectés en lycée professionnel (conduite du changement)
  • Une autonomie renforcée des chefs et des équipes dans l’organisation de leurs établissements et leurs projets

Pour le lycée :

  • Création d’un bureau des entreprises dans chaque lycée professionnel
  • Déploiement d’Orion pour disposer d’outils de suivi de l’insertion, des poursuites d’études et du décrochage
  • 2 600 places fermées dans des formations non insérantes
  • 3 000 places ouvertes dans des formations insérantes
  • 1 050 places supplémentaires ouvertes en relation directe avec des entreprises via France 2030
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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.