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par Pierre Tartakowsky

Le 11e congrès de la Confédération européenne des syndicats s’est tenu à Séville au mois de mai sous l’enseigne d’un appel à « l’offensive sociale » ; une « offensive » qui devrait se concrétiser dans l’immédiat par une manifestation à Bruxelles, à l’occasion du sommet des chefs de gouvernement les 21 et 22 juin. Pour le reste, à suivre…

La crise aurait pu éclater. Elle a été mise sous le boisseau et avec elle, nombre de débats récurrents portant d’abord sur la nature de la CES : simple lobby ou organisation syndicale revendicative ? Sans aller jusqu’à opposer des pratiques qui peuvent parfaitement se révéler complémentaires, on peut estimer que c’est la seconde orientation qui a prévalu. Encore plus simplement dit : le syndicalisme méditerranéen, porté en son temps par Emilio Gabaglio, reste le modèle de référence à la CES. La stigmatisation du capitalisme financier sauvage, la proposition de taxation des fonds d’investissements, l’occupation de l’espace public européen sous forme d’euromanifestation en juin, tout cela est assez éloigné d’une culture lobbyiste traditionnelle.
De même, l’affirmation par John Monks de la volonté de construire un syndicalisme qui puisse « proposer, négocier et agir » s’inscrit en rupture avec la vision d’un syndicalisme de « contre poids », au bénéfice d’une conception de « contre-pouvoir ». Le débat ouvert sur les services publics, comme contre-offensive aux privatisations, aura été à cet égard symptomatique des évolutions en cours et des rapports de forces en présence. Nombre d’amendements – provenant y compris d’ anciens pays de l’Est comme la Roumanie – sont venus conforter une conception égalitaire de ces services, comme outils d’appropriation sociale. Et si les plus de trois cent mille signatures récoltées en Europe ne sont pas un succès phénoménal, elles suffisent largement à légitimer la poursuite d’une campagne qui n’a pas toujours fait l’unanimité…

Sauver la charte européenne des droits fondamentaux

C’est dire que des tensions pré-existaient à ce congrès et qu’elles auraient pu être graves. Sans doute les velléités manifestées en amont du congrès par le DGB allemand de ne pas voir augmenter le montant des cotisations à la CES, ou encore le désir de certaines organisations nordiques de revoir le mode d’élection des dirigeants de la confédération, au bénéfice des organisations nationales, sont-ils à inscrire à ce chapitre de construction identitaire.
Si le congrès a réussi à surmonter ces difficultés identitaires, il est resté dans les limites posées par la crise de la construction Européenne. Les « non » français et hollandais aux référendums sur le Traité constitutionnel européen et la mise en panne de l’Europe politique qui en a suivi, ont contribué, de fait, à relativiser la Charte européenne des droits fondamentaux. Aujourd’hui, le risque grandit de la voir sacrifiée sur l’autel d’un traité simplifié tel que prôné par le gouvernement français. La CES ne s’y est d’ailleurs pas trompée, qui a fait voter une « résolution d’urgence » pour la défendre. De fait, la Charte, adoptée à Nice, présentait l’immense avantage, pour le syndicalisme européen de constituer une base unifiante des modèles sociaux en présence : méditerrannéen, nordique, rhénan. Ce qui explique que, CGT française et TUC britannique mises à part, l’écrasante majorité des organisations syndicales nationales aient exprimé une nette préférence pour le TCE plutôt que pour un « redémarrage » sur d’autres bases. Le risque étant évidemment, dans un tel cas de figure, de subordonner la construction de l’Europe sociale à un hypothétique redémarrage institutionnel…

La force de proposition de la CES n’aura pas été flagrante.

Dans ce contexte, la réflexion revendicative n’aura pas connu de saut qualitatif majeur. Certes, le congrès, organisé autour de cinq sessions, aura traité du marché de l’emploi, de l’égalité femmes-hommes, du dialogue social et de la gouvernance économique et environnementale. Mais, face aux déclarations tranchantes d’un Jean Claude Trichet, venu défendre la politique de la Banque centrale européenne, ou d’Ernest-Antoine Seillière, président de BusinessEurope, rappelant que « le but de notre modèle social devait être d’améliorer notre capacité à faire face à la concurrence internationale », la force de proposition de la CES n’aura pas été flagrante. La notion de flexicurité, invoquée comme parade à la dérèglementation du contrat de travail sur la base des exemples nordiques, est restée floue. Et même, si c’est à un moindre niveau, l’impossibilité de se mettre d’accord sur le principe d’un salaire minimum par pays témoigne du travail qui reste à fournir pour aboutir à une vision revendicative à l’échelle continentale.

Au final, un congrès d’attente. Au-delà des déclarations de tribune et des objectifs revendicatifs qui constituent un minimum respectable, les travaux du congrès de Séville témoignent d’un sursis, d’une suspension turbulente. Suspension car rien n’émerge de façon forte qui pourrait constituer la « nouvelle étape dans l’édification du mouvement syndical européen » évoquée. Turbulente car les débats engagés vont certainement se poursuivre après Séville. Seront-ils à la hauteur du déficit d’efficacité du syndicalisme, à la hauteur des attentes sociales ? C’est rarement dans les congrès que ces questions trouvent leurs réponses. Du moins ont-ils le mérite de permettre de les poser.

Pierre Tartakowsky

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