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par Lydie Colders

Entretien avec Gabou Gueye, président de l’alliance syndicale mondiale de France Télécom

Pourquoi avoir créé une alliance syndicale mondiale chez France Télécom ?

gabon

Le constat était simple : il y avait carence en matière de négociation syndicale mondiale chez France Télécom, qui a pourtant un poids énorme à l’étranger, avec plus 80 000 salariés en Europe et en Afrique essentiellement. Jusqu’à la création de l’alliance en 2003, il n’existait pas de structure impliquant des syndicats de salariés à l’échelle mondiale dans le groupe, juste un comité européen. Nous voulions créer une plate-forme où tous les syndicats affiliés à l’UNI Télécoms puissent être représentés afin de fédérer des revendications à l’échelle internationale.

L’objectif de l’alliance est aussi d’harmoniser la politique sociale de France Télécom dans tous les pays. Par exemple, l’année dernière, devant les résultats exceptionnels du groupe, l’alliance a négocié et obtenu une prime exceptionnelle qui concernera tous les salariés au niveau mondial. Enfin, cette alliance vise à garantir plus d’égalité entre les salariés des filiales : même si le groupe a signé le pacte mondial éthique de l’ONU, ce n’est pas suffisant : il y a encore des difficultés dans la pratique du dialogue social et de l’exercice syndical, voire des transgressions au droit du travail dans certains pays ou France Télécom est implanté, au Cameroun ou en côte d’Ivoire notamment.

Comment fonctionne cette alliance ?

Il s’agit bien d’une alliance, et non d’un syndicat mondial, dans le sens où nous n’avons pas de statuts réglementaires. Nous travaillons en réseau avec les syndicats de France Télécom affiliés à l’UNI principalement en Europe et en Afrique francophone, notamment au Sénégal, au Mali et au Cameroun. Nous avons créé un secrétariat constitué du président et des syndicats représentés au siège du groupe (FOcom, FAPT/ CGT et la F3C /CFDT), qui coordonne les revendications des représentants syndicaux des différents pays et fait remonter leurs demandes au siège.

Par exemple, si nous avons un problème au Cameroun, ce sont les affiliés syndiqués français qui transmettent et suivent les revendications auprès la direction en France. Tous ces pays n’ont pas forcément d’organisation syndicale sur place, pour des raisons de droit social en vigueur dans le pays. En relayant leurs problèmes, l’alliance leur permet d’avoir une représentativité syndicale.

En 2006, votre alliance a signé un accord mondial avec les dirigeants de France Télécom. Pour quelles raisons ?

C’était une priorité de l’alliance mondiale : nous voulions asseoir les bases d’une équité de traitement sociale entre les salariés du groupe, sur le plan de salarial, de l’accès à la formation ou de la mobilité, mais aussi améliorer la représentativité syndicale dans les pays où le groupe est implanté. Cet accord mondial – conclu en décembre 2006 entre la direction du groupe, l’alliance syndicale mondiale de France Télécom et l’Uni Telecom – reprend ainsi les dispositions fondamentales du BIT, comme le droit à la liberté et à la négociation syndicale par exemple, ou le respect des droits humains fondamentaux, comme l’absence de discrimination et la sécurité au travail. Cela nous permet de couvrir des pays n’ayant pas ratifié les conventions de l’OIT, si un jour France Télécom s’installe en Chine par exemple.

L’autre raison, c’est que nous souhaitions remédier aux écarts parfois choquants qui existent entre nos conditions de travail et celles de nos sous-traitants et de nos fournisseurs, en Afrique notamment. Nous voulions – et nous avons obtenu – que cet accord les concernent également, afin de garantir le respect des droits fondamentaux, notamment en matière de salaires, qui ne doivent pas être en dessous des conventions collectives nationales.

Cet accord créé aussi un signal d’alerte mondiale, pouvez-vous en expliquer le principe ?

L’accord prévoit que la direction de France Télécom s’engage, avant toute communication externe, à initier une concertation avec l’alliance si des points de l’accord ne sont pas respectés. Le texte prévoit également deux réunions annuelles avec la direction du groupe, afin d’assurer le suivi mais aussi de faire remonter les problèmes rencontrés par certains pays concernant les engagements de cet accord. L’autre point concerne la prévention de la gestion des conflits. L’accord prévoit ainsi que l’alliance doit être informée avant toute restructuration envisagée par France Télécom, afin d’anticiper les reconversions et de limiter les suppressions d’emploi. Nous avons ainsi plus de visibilité sur les mouvements de restructuration et de filialisation qui s’accélèrent dans le groupe, et pouvons négocier des mesures de plan social plus favorables.

Après deux ans de mise en œuvre. Quel bilan faîtes-vous de cet accord ?

Il est un peu tôt pour en mesurer précisément l’impact. Nous attendons les résultats de sa première évaluation à la fin juin. Mais ce que l’on peut d’ores et déjà constaté, c’est que cet accord dynamise la syndicalisation sur le terrain : les syndiqués dans le groupe ont progressé, des syndicats sont en train de se créer dans certains pays, au Mali par exemple. Sur le plan qualitatif, Il est certain que cet accord contribue à enrichir le dialogue social, en permettant à des pays dépourvus de droits syndicaux d’être entendus, mais aussi de trouver des repères pour mieux se situer.

Les résultats obtenus – en côte d’Ivoire notamment où nous avons pu renégocier à la hausse les conditions de départ de 500 salariés suite à la fermeture d’un site d’une filiale du groupe – créent aussi un précédent dans le dialogue social international, qui me semble très important. Ses acquis pourront être consolidés au fur et à mesure de nos réunions mondiales.

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