Un cadre bancaire a vécu de l’intérieur les prémices de la crise au sein d’une grande banque française. Ecornées à raison par la crise, les banques doivent changer de comportement : clôturer les activités sinistrées (subprimes), moins utiliser les paradis fiscaux, revoir les rémunérations et bonus. Des voeux pieux ?
Le milieu bancaire jouit d’une tradition de paix sociale. Quelles vont être les conséquences de la crise sur ce secteur privilégié ?
La paix sociale était assurée, tant que le secteur était en forte croissance et un grand pourvoyeur d’emploi, à des niveaux de rémunérations plutôt confortables. Le secteur a procédé à de nombreuses acquisitions notamment à l’étranger.
Dans la banque d’investissement, tout est individualisé. Un ensemble de mesures pousse les performances à l’extrême. Les objectifs quantitatifs sont élevés et la pression pour les atteindre constante. Le responsable que j’ai été, par exemple, récompensait chaque membre de son équipe en fonction de ses résultats. Le contrat tacite c’était grosso modo : « vous êtes payés pour ce que vous faites, mais faites plus, pour gagner plus ». La part variable (bonus) est très incitative au dépassement. Au quotidien pour satisfaire ses objectifs, on s’astreint à un rythme qui vous donne le sentiment d’être submergé et pressé comme un citron. En fait, c’est un peu comme chez les sportifs de haut niveau, qui dans un milieu très compétitif sont poussés à aller toujours plus loin. En période de croissance ininterrompue des marchés, cette course folle semble ne pas avoir de fin : objectifs toujours plus élevés, espérance de gain toujours plus haute.
Aujourd’hui, les exigences en terme de performance sont les mêmes, mais les perspectives de bonus se sont considérablement réduites. Par ailleurs, selon toute vraisemblance, les stocks-options ne seront pas exercées, faisant disparaître une richesse virtuelle. Les inquiétudes sont partagées à tous les niveaux dans les états-majors en premier lieu. La crise a un effet psychologique dévastateur sur tous les employés, surtout dans les activités de marché, moins dans les activités bancaires classiques, qui ne sont pas directement menacées.
La banque sera le premier secteur concerné par les restructurations. Les « invitations » au départ sont parfois déjà formulées. Natixis a lancé un premier plan de départ volontaire. Est-ce que les autres banques françaises vont suivre ?
On ne peut pas l’exclure. Dans cet environnement extrêmement anxiogène, l’incitation à partir va se faire sur le mode de la transaction, afin d’éviter les plans sociaux. Naturellement, les seniors sont les premiers concernés. Une des caractéristiques des activités de marché, c’est la jeunesse de ses effectifs. Passé 40 ans, on n’est pas nécessairement moins performant, mais on est moins malléable. Aujourd’hui, les dérives du métier et les pratiques sont mises à jour. La profession renvoie une image négative, elle est fustigée pour sa cupidité, non sans raison.
Les restructurations sont nécessaires. Certaines activités vont être fermées pour un moment, notamment les activités autour des subprimes qui sont sinistrées, d’autres vont être ralenties. Notamment toutes celles liées à la bourse et aux crédits structurés et spécialisés. Cependant des besoins subsistent dans certains métiers. Avec le papy boom, de nombreux postes dans les agences vont se libérer. Néanmoins, les hommes de marché, comme les traders, ne sont pas qualifiés pour les occuper.
Faut-il s’attendre à une ingérence de l’Etat dans les affaires de la banque ?
Le soutien de l’Etat est important, il a rarement été aussi nécessaire. L’ingérence de l’Etat s’impose. Tout récemment, l’intervention de l’Etat a été plus forte au Royaume-Uni, en Belgique et en Allemagne. En France, pour l’instant, l’Etat offre des garanties, mais n’a pas pris de participation directe dans le capital des banques. Au bout du compte les banques françaises ne s’en sortent pas si mal. Elles sont encore rentables sur les activités traditionnelles.
Les banques sont-elles aptes à tenir leurs engagements ?
Le secteur bancaire a besoin de davantage de régulation. Les dirigeants des banques sont conscients des difficultés et des reproches qui leur sont fait. Ils vont davantage communiquer sur la transparence de leurs activités par l’intermédiaire de publicités. Le Crédit Agricole, aujourd’hui dans la Tribune : « Nous n’avons jamais autant prêté au PME/PMI ». Les banques répondent ainsi aux injonctions de l’Etat pour éviter un ralentissement brutal de l’activité des entreprises.
Comment réagissez-vous à la nomination de Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat aux affaires européennes depuis un an et demi, qui passe à la présidence de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Sa vision sera-t-elle régulatrice ?
Sans aucun doute. Les organismes de contrôle du marché vont sortir renforcés de la crise. M. Jouyet n’a peut-être pas été nommé par hasard. En tant que représentant de la France à Bruxelles, il connaît bien les particularités européennes. C’est tout de même incroyable, que des systèmes aussi disparates coexistent dans l’Union Européenne. A cet égard l’exemple du Luxembourg est éloquent… On n’imagine pas à quel point les banques utilisent ces paradis fiscaux !
Est-ce que la conjoncture va être favorable aux investissements socialement responsables (ISR) ?
L’ISR favorise au sein des entreprises la mise en place d’organes de contrôles et de gardes-fous, avec trois grands objectifs : la réduction des dommages sur l’environnement de l’activité des entreprises, une meilleure gouvernance dans le fonctionnement de celles-ci (mise en place de comité d’audit, de rémunération éthique …) et une plus grande prise en compte des facteurs sociaux et sociétaux, visant à valoriser le capital humain et encourager le dialogue avec les parties prenantes. Il serait souhaitable que les investisseurs classiques reprennent à leur compte ces valeurs ISR.
C’est l’investissement intelligent ?
La notion d’intelligence économique est intéressante en effet. Car l’évolution de ces dernières années dénote un déficit de sens, d’humanisme, de spiritualité. D’ailleurs on voit bien que les banquiers sont mal à l’aise, embarrassés même. Jusqu’à présent les banquiers étaient dans leur microcosme de nantis, intouchables.
Cependant, les responsabilités sont partagées. Plutôt que de se désengager d’un certain nombre de ses missions, les Etats auraient dû mieux contrôler. Les rapports de force entre les actionnaires, les salariés, les dirigeants ont évolué en faveur des premiers. Le partage de la richesse créée a surtout bénéficié au premier groupe, voire aux dirigeants. Soumis à de plus fortes pressions des actionnaires, les dirigeants eux-même de plus en plus intéressés aux résultats des entreprises ont mis en oeuvre des politiques à court-terme qui ont aussi alimenté le système.
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