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La Pologne s’est réindustrialisée à grand train en 10 ans, au point que certains observateurs affirment qu’elle est devenue « la Chine de l’Europe ». Une appelation à double-tranchant, estime Michał Kurtyka, directeur de BPI Polska. Entretien

 

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Qu’a produit le libéralisme comme nouvelle base productive en Pologne ?
L’industrie polonaise s’est développée très vite avec une forte montée du secteur de la biotechnologie ou de l’aviation. Étonnamment aussi, l’industrie de services est en pleine expansion. La Pologne effectue sa troisième révolution industrielle. De nombreuses entreprises européennes externalisent leurs centres d’appels et d’informatique, leurs processus de gestion (paie, contrôle, frais) et parfois même la R&D. Le phénomène a pris de l’ampleur depuis 3 ans. Les entreprises étrangères trouvent une main d’œuvre jeune et dynamique, bien éduquée et polyglotte. Ce sont les nouveaux ouvriers qui travaillent à la chaîne, même si ce n’est pas en usine. Les salaires sont plutôt bas : 6 400 zlotys soit 1 500€ pour un développeur de logiciel.

 

L’État oriente-t-il les stratégies industrielles des entreprises ?

Le terme de politique industrielle est très peu populaire, car il est ancré dans un passé communiste récent où la politique industrielle était la boussole de toutes les actions gouvernementales. Officiellement, le gouvernement parle de dérégulation, de privatisation. Cependant récemment, il a annoncé la création d’une entreprise d’État pour financer les infrastructures prioritaires : Polish investment.

Le ministre du Trésor a aussi changé de vocabulaire. Il parle de consolider les quelques entreprises publiques du secteur chimique pour créer un leader européen.

 

Il semble que les salaires restent bas et que la vie devienne plus chère. Quelles sont les interventions de la puissance publique en matière sociale, fiscale ? 

En effet, la Pologne affiche un taux de croissance de 2 à 3%, mais l’inflation oscille entre 2 et 4%. Le pouvoir d’achat n’augmente pas. La Pologne va entrer dans une période de tension. Mais les Polonais n’attendent pas pour autant du gouvernement un filet de sécurité plus large. La société est très individualiste.

La grande réforme des retraites de l’an dernier a fixé l’âge de départ à 68 ans, mais elle est allée à contre-courant de la tendance vers la capitalisation pour préserver la retraite par répartition et la solidarité nationale.

 

Concernant les coûts salariaux, le gouvernement a entrepris de simplifier le système, de supprimer les faveurs accordées à certains, de supprimer les niches fiscales, notamment en terme de propriété intellectuelle des professions libérales.

 

Existe-t-il toujours des incitations fiscales dans les dépenses d’investissement, et des subventions allant jusqu’à 50% pour des projets permettant la création de nouveaux emplois, des avantages dans les zones où le chômage est élevé (zone economiques spéciales) ou des exonérations d’impôts dans les zones franches ?

 

L’impôt sur les sociétés est à 19% depuis 2004. Le système des impôts évolue plutôt vers une simplification vers le haut – les taxes sont plus élevées. Par exemple le gouvernement a augmenté la TVA l’an dernier, et est en train d’élargir l’assiette fiscale correspondante.

En ce qui concerne les zones industrielles, elles fonctionnent toujours et permettent de bénéficier de réductions d’impôts importantes. Par contre leur fonctionnement ne peut pas être éternel. 

 

Quel est le rapport de force sur la question des salaires ? Les syndicats réclament-ils le partage de cette croissance et la hausse des salaires ? Est-ce envisageable ? Y a-t-il un risque de faire fuir les investisseurs ?

 

Les récentes controverses concernent plutôt les inégalités croissantes en terme de statut légal des personnes qui travaillent. En effet, la grosse tendance va à l’augumentation des différents contrats civils qui offrent une moindre protection et moindre stabilité, même s’ils permettent de diminuer le coût d’emploi. Sinon, les tensions sociales sont de moins en moins accentuées, et je ne pense pas que cela puisse faire fuir les investisseurs.

 

Certains observateurs affirment que la Pologne est « la Chine de l’Europe ». Qu’en pensez-vous ?

L’expression n’est pas courante ici et à première vue, elle ne paraît pas justifiée. Cela dit, elle peut l’être à double-titre. La Pologne s’industrialise très fortement et se spécialise dans des produits industriels grand public, comme l’électroménager, l’électronique utilitaire, ce qui rappelle étrangement les origines du succès chinois. De plus, les exportations progressent, tirant le développement industriel comme une locomotive.

Enfin, les Chinois s’intéressent de plus en plus à la Pologne, alors qu’ils avaient traditionnellement des liens plus forts avec la Hongrie. PAIZ, le portail polonais dédié aux investisseurs étrangers propose même un guide spécial pour les entrepreneurs chinois. Ces investissements connaissent parfois des difficultés de mise en œuvre. Lors des travaux pour l’Euro 2012, le chantier de l’autoroute piloté par une entreprise des travaux public chinoise a connu de nombreux rebondissements (lien vers article Metis).

 

Photo DR C. de Gastines

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