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Depuis 11 ans, Jean-Denis Combrexelle est à la tête de la Direction générale du travail (la Direction des relations du travail est devenue DGT en 2006). Récemment confirmé par le nouveau ministre du travail Michel Sapin, Jean-Denis Combrexelle reçoit Metis, au 13ème étage des bureaux de Javel qui dominent la Seine pour évoquer les grands dossiers : négociation collective, représentativité, Europe, mais aussi risques psycho-sociaux et inspection du travail. Entretien

 

  

JG combrexelle

Pouvez-vous  nous parler de la politique du travail sous votre mandature, qui atteint un record de longévité ?  

Auparavant, on discutait surtout des politiques de l’emploi. Désormais, on parle aussi de politique du travail et plus seulement sous un angle juridique. La notion de politique du travail a été évoquée la première fois par Élisabeth Guigou, puis repris par Gérard Larcher, Xavier Bertrand et aujourd’hui Michel Sapin. Bien sûr, les contenus diffèrent. Il va aussi de soi que politique de l’emploi et politique  du travail ne sont pas antagonistes mais complémentaires : l’amélioration des conditions de travail, l’emploi des seniors, l’égalité hommes-femmes dans l’entreprise procèdent à la fois de l’emploi et du travail.

 

 Un des enjeux majeurs est de s’accorder sur la part qui est reconnue à chacun des trois leviers de la politique du travail : la loi, la négociation collective et le contrat de travail. On peut aussi ajouter les outils de responsabilité sociale des entreprises (RSE), ce qu’on appelle à tort, compte-tenu des impacts qu’ils peuvent avoir sur la vie concrète des entreprises et de leurs salariés, la soft law.

 

La France est un pays où la loi a un rôle tout à fait éminent.  Mais, à partir du moment où l’on dit que le modèle social doit évoluer. Sur quel levier s’appuie-t-on ? La politique du travail repose en réalité sur deux axes : le régalien avec la notion d’ordre public social et la négociation collective. Sans méconnaître la portée des arbitrages politiques, on donne plus de place à la négociation collective pour réguler les relations sociales, comme l’a montré la conférence sociale des 9 et 10 juillet.

 

 

 

Comment les relations entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux ont elles évolué ? Quel bilan tirez-vous de la réforme de la représentativité ?

Les  lois  portant modernisation du dialogue social et réforme de la représentativité  sont importantes et auront des effets à moyen terme. La réforme de la représentativité n’est pas une fin en soi. A  partir du moment où on laisse plus de place à la négociation collective, les acteurs syndicaux de la négociation se doivent d’être plus légitimes et avoir une représentativité fondée sur l’élection. En contrepartie, l’État garde des prérogatives régaliennes, par exemple sur  la santé au travail et sur le rôle et la place de  l’inspection du travail.

 

Au-delà, la DGT est  plus présente sur le champ de la négociation collective. Non, pour s’immiscer dans un dialogue social qui par nature n’est pas tripartite, mais parce que les partenaires sociaux expriment parfois le besoin d’être soutenus par l’administration centrale, ou décentralisée (Direccte). Par exemple, quand une négociation de branche se passe mal, les syndicats peuvent se réunir en commission mixte qui sera présidée par un fonctionnaire.

 

Il n’y a jamais eu autant de présidences de commission mixte. Il faut se donner les moyens de les réduire  ce qui passe sans doute par une meilleure structuration des champs conventionnels. Une bonne négociation de branche suppose une vision éclairée de l’avenir de la branche, des moyens d’expertise, etc. Il existe encore trop de micro-branches ce qui explique certaines difficultés que l’on peut rencontrer sur des négociations aussi essentielles que les minimas conventionnels, les conditions de travail, l’égalité hommes/femmes.

 

La qualité du dialogue social ne se décrète pas, même si les pouvoirs publics et l’administration ont leur part de responsabilité. Elle résulte d’abord de la volonté des partenaires sociaux et de leur capacité de créer un contexte favorable à la négociation.

 

Il existe de nouvelles générations de fonctionnaires, notamment au sein du ministère du travail et de l’emploi, qui contrairement à ce que l’on dit parfois, ont la ferme volonté de donner toute sa place au dialogue sa place dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. La dénomination actuelle du ministère n’est pas de ce point de vue un hasard. Elle traduit d’abord une volonté politique mais aussi une conception partagée de l’action publique des fonctionnaires de ce ministère.

  

  

Vous aviez participé à la loi sur les Nouvelles Régulations Économiques (NRE). Faut-il la renforcer, étant donné qu’elle ne prévoit pas de sanctions, pas de dispositifs de contrôle et ne définit pas le périmètre de l’entreprise qui est concerné. Faut-il donné plus de place aux représentants du personnel dans les conseils d’administrations ? Qui devrait contrôler de l’impact social et environnemental d’une entreprise ?

À l’époque de la loi NRE, j’étais au ministère de la justice à la direction des affaires civiles. Vous avez d’un côté des instances de gouvernance des entreprises, qui relèvent du code du commerce, de l’autre les instances sociales. Généralement, l’évolution du droit social consiste à donner davantage de pouvoir aux instances sociales. Il s’agit souvent d’un pouvoir de consultation au sein du comité d’entreprise ou  du CHSCT.

 

Une des questions posées est de savoir si, et comment, on met davantage de social dans le processus de décisions des instances dirigeantes. Cela passe par une meilleure information sociale de ces instances qui sont souvent sur informées sur les aspects économiques, financiers et boursiers de leurs décisions et comparativement moins sur les aspects sociaux. Ces points sont au cœur des problématiques de responsabilité sociale.

 

 

Au niveau communautaire, quelle est la vision qui s’impose sur les politiques du travail ? La plupart des acteurs déplorent l’absence d’agenda social de la DG emploi et critiquent la manière dont la troïka a imposé des réformes structurelles en série à la Grèce, au Portugal, à l’Irlande, à l’Espagne.

Il faut développer une vision partagée de l’évolution de nos relations sociales. Cela ne va pas de soi eu égard à la diversité des situations et des pratiques nationales. Un des points clef, qui permet de comprendre les difficultés que nous rencontrons sur la directive relative au temps de travail, porte sur la place respective du contrat de travail et des régulations collectives (loi ou négociation collective).

 

 

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Concernant la santé au travail. L’emballement sur les questions de RPS et de stress est retombé très rapidement. Qu’est-ce qui a été fait, et qu’est ce qu’il aurait fallu faire ?

L’emballement n’est pas retombé. Au départ on a fait de la soft law, avec des mécanismes d’incitation à la négociation en estimant qu’il n’était pas nécessaire ni utile d’ajouter une strate supplémentaire à la législation existante. Je constate simplement que la demande de réglementation vient des professionnels eux-mêmes.

 

L’État a aussi la responsabilité d’aller au delà d’une vision réduite des conditions de travail. Il lui faut certes insister sur les RPS mais aussi rappeler qu’il existe des accidents mortels du travail à cause de violations de règles élémentaires de santé, des cancers professionnels, des troubles musculo-squelettiques qui sont la première cause de maladies professionnelles.  Le sujet des conditions de travail prend beaucoup d’ampleur. L’attente de la société et des salariés aussi. C’est une des clés de la compétitivité des entreprises où se rejoignent l’économique et le social.

 

Pour la traiter, les lois, décrets et circulaires ne suffiront pas, ce impliquera de la négociation à tous les niveaux : l’interprofession pour fixer les grands principes, la branche jouera son rôle notamment auprès des PME, et enfin, s’agissant des grandes entreprises, le bon niveau est l’accord d’entreprise à la condition qu’il y ait une volonté réelle  et non simplement affichée de leurs  dirigeants de faire avancer les choses en la matière..

 

 

Le corps de l’inspection du travail a connu beaucoup de tensions suite au plan de modernisation et à la restructuration qui découle de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Où en êtes-vous ?

Parmi les causes de tension, il faut souligner la concomitance de plusieurs réformes outre le Plan de modernisation et de développement de l’inspection du travail, la mise en place de la RGPP, la fusion des quatre inspections en un seul corps de contrôle unique d’inspection généraliste et leur rattachement aux Direccte. Reste qu’il faut construire un système d’inspection du travail efficace dans l’application des normes dans les entreprises.

 

Le ministre s’est exprimé au début de l’été sur ces points avec deux maître mots : celui du dialogue social avec les agents et leurs représentants et celui de l’Etat et de ses obligations.

 

Maintenant que nous avons les premiers éléments de bilans sur la rupture conventionnelle, pouvez-vous revenir sur ce mode de rupture du contrat de travail et ses effets pervers ? 

Je suis assez mesuré sur ce qu’on appelle les effets pervers. La rupture conventionnelle remédie à un manque juridique. Avant la réforme le cadre juridique n’existait pas. Si l’employeur et l’employé étaient d’accord sur le départ du salarié, l’entreprise devait procéder à un faux licenciement. La rupture conventionnelle répond à un besoin partagé des salariés et des entreprises dont un accord signé entre plusieurs centrales syndicales et les organisations professionnelles a été le point de départ.

 

Il existe des dérives ponctuelles et il faut que l’administration soit particulièrement vigilante notamment dans un contexte de crise. Dans certaines entreprises, il existe une instrumentalisation du système, qui n’est pas conforme à l’esprit de la loi. Nos services déconcentrés vérifient que la rupture conventionnelle n’est pas utilisée pour contourner les plans de sauvegarde de l’emploi, et ou encore pour « exfiltrer » les salariés âgés de façon abusive.

 

Tel est le sens des instructions qui ont été données à nos services.

 

  

Quel point de la feuille de route publiée après la conférence sociale vous semble le plus sensible ?

Il n’y a pas de points plus sensibles que d’autres. Tout est important aussi bien pour les salariés que pour les entreprises ! Une chose est certaine. Tant du point de vue du contenu que du calendrier, c’est un enjeu pour les syndicats, les organisations professionnelles et pour les administrations en charge du travail et de l’emploi.

 

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