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Grâce au numérique, l’industrie produit autrement. Mieux, l’innovation est à la portée de tous dans les Fab Labs, littéralement les laboratoires de Fabrication. Certains inventeurs-amateurs bricolent contre l’obsolescence programmée des objets. D’autres travaillent sur une imprimante 3D à béton ou argile, pour dupliquer des maisons. Les Fab Labs pourraient devenir les ateliers pour l’industrie collaborative et durable de demain.

 

imprimante 3D

Vivien fabrique un robot. Cet étudiant en école d’ingénieur va pouvoir utiliser la machine à découpe laser pendant que Marion et Adel prennent leur pause-déjeuner. Derrière lui, la fraiseuse et l’imprimante 3D, un curieux cube en contreplaqué, relié à un ordinateur patientent en ce début d’après-midi plutôt calme. Vivien réalise son travail de fin d’étude au FacLab de l’Université de Cergy-Pontoise, car son école ne dispose pas d’atelier. Le laboratoire de Fabrication de Gennevilliers est un des premiers Fab Labs parisiens. Depuis trois ans, le concept des Fab Labs créé en 2001 par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) essaime en France. En février 2012, six salles de travail équipées d’une vingtaine d’ordinateurs et de plusieurs types de machines ont ouvert grâce au soutien de l’université et d’Orange.

 

Depuis, le FacLab reçoit une dizaine de visiteurs par jour : curieux ou fidèles, retraité ou actifs, entrepreneurs ou demandeurs d’emploi. « Nous avons assez peu d’étudiants de l’université pour le moment et peu de salariés, ou alors ils viennent en coup de vent entre midi et deux, explique Olivier Gendrin, fabmanager du FacLab. Nous réfléchissons à ouvrir un samedi par mois et en soirée pour y remédier ».

 

Les Fab Labs tirent leur différence de leur ouverture, comme l’impose la charte du MIT pour obtenir l’appelation Fab Lab. « À l’image de l’internet, tout le monde peut potentiellement se rendre dans un Fab Lab pour un prix modique » insiste Fabien Eychenne, chargé de projet à la Fondation internet nouvelle génération (FING) un think tank, qui travaille sur la manière dont les individus s’approprient les nouvelles technologies.

 

Les entreprises des environs sont aussi venues voir le FacLab. Certaines connaissent et utilisent déjà le concept (Microsoft, Thalès). D’autres sont séduites par ces outils de conception et de fabrication permettant de passer rapidement d’une idée à un produit. Une TPE de design a fabriqué ses prototypes ici. De grandes entreprises réfléchissent à venir utiliser le lieu pour du team building, ou encore pour former leurs collaborateurs à la modélisation 3D, voire pour y fabriquer des éléments non stratégiques. Au FacLab L’accès est gratuit pour tous, à condition de « participer, partager, documenter » comme le veut la charte MIT des Fab Labs. « Mais il est possible de privatiser le lieu si on ne souhaite pas rendre public son travail», précise le fabmanager

 

En principe, tout utilisateur ajoute la documentation et les plans de ses créations au catalogue des Fab Labs (en opensource ou sous licence creative commons), conformément aux pratiques de l’internet du partage et du logiciel libre. Les designs et les procédés peuvent être protégés et vendus comme le souhaite leur inventeur, mais doivent rester disponibles de manière à ce que les individus puissent les utiliser et en apprendre. Enfin, si une entreprise a développé un produit qu’elle commercialise, elle n’oublie pas de remercier le Fab Lab.

 

Business ou glocal

Deux visions différentes émergent dans les Fab Labs. L’une orientée business, l’autre orientée glocale (concept signifiant de penser mondial, mais d’agir local). Fabien Eychenne a fait le tour d’Europe des Fab Labs. Il en a tiré l’ouvrage Fab Lab : L’avant-garde de la nouvelle révolution industrielle. Pour lui, la culture anglo-saxonne des Makers, en référence à la Bible de Chris Anderson (Makers, la nouvelle révolution industrielle) défend l’idée que le numérique élargit la base de l’innovation. Elle voit les Fab Labs comme des incubateurs d’innovation pour les entreprises. « À Manchester, il rend de nombreux services aux entreprises, notamment en prototypage rapide, car il a la possibilité de reconfigurer ses machines rapidement », explique-t-il.

 

La vision française est plus glocale et moins business. Il s’agit plutôt de « produire localement pour l’équipement des collectivités », ou réaliser « des produits de niche que la société de consommation de masse ne produit pas pour des « pro-amateurs » qui ne trouvent pas ce qu’ils veulent dans le commerce pour pratiquer leur hobby. Enfin, on remarque aussi un côté émancipation, le Fab Lab est un lieu de mise en pratique de l’éducation par le faire » ajoute-t-il.

 

Les Fab Labs sont-ils la base d’un futur écosystème de production ? Pour le moment, les investisseurs ne sont pas nombreux en France. L’argent privé est quasi nul, les structures reposent le plus souvent sur du bénévolat actif, ou associatif. Cependant, les choses pourraient s’accélérer. Au Pays-Bas, chaque ville possède son Fab Lab. A Barcelone, bientôt chaque arrondissement. Fabien Eychenne insiste sur les prémices. « En 2012, le « Do It Yourself » est devenu un objet d’investissement.  Makerbot Industries a levé 10 millions de dollars, ils sont les premiers à avoir vendu et proposé les plans d’une imprimante 3D à 1200 $ ». En 2011 Autodesk (leader mondial des logiciels de design 3D) a racheté la plus grande communauté d’inventeurs amateurs Instructables. Philips a investi dans Shapeways, qui a inauguré en octobre la première imprimerie 3D industrielle au monde à New York, la Mecque du numérique. Baptisée modestement « l’usine de l’avenir », elle pourra créer 3 à 5 millions d’objet par an.

 

fab lab house bcn

Anticiper plutôt que subir

La FING a réalisé plusieurs scénarios de prospective. L’un d’eux, intitulé « Industrie de proximité », envisage que les Fab Labs, Makerspaces, Techshops soient soutenus par des intermédiaires qui les aident à passer au stade industriel (Ponoko, The Humble Factory…). Ainsi se multipliraient de « petites unités de production situées à proximité des centres villes, flexibles, interconnectées, insérées dans le tissu des acteurs locaux qui les nourrissent et s’en nourrissent ».

 

Il vaut mieux « anticiper plutôt que subir ! » s’enthousiasme Daniel Kaplan, délégué général de la FING, lors des rencontres Cap digital au siège du groupe la Poste. Internet est ouvert depuis 20 ans, et ses promesses initiales étaient : la fabrication numérique personnelle, l’intelligence collective, l’innovation ascendante ouverte et collaborative. Le bilan aujourd’hui est plutôt amer. Selon Daniel Kaplan, « le numérique est en partie responsable de la crise financière (fast trading, produits dérivés dérivés dérivés) et économique, car il a fournit les outils qui ont augmenté la fragmentation de la production. Cela dit, quelles seront les promesses du numériques pour demain ? »

 

Le scénario de la FING imagine que les entreprises pourraient produire autrement, des objets plus durables, réparables, adaptables aux conditions et aux ressources locales. Celles-ci seront concurrencées par des « néo-artisans », amateurs ou professionnels, qui conçoivent, améliorent et diffusent leurs modèles d’objets sur des réseaux « libres ». Ce serait selon le délégué général, l’amorce d’une « innovation indignée », qui utiliseraient les technologies pour transformer notre modèle de développement ».

 

Pour que ce scénario devienne crédible et souhaitable, il faudrait se donner les moyens d’atteindre des niveaux de productivité équivalents à ceux de la production de masse en bouclant des  circuits industriels qui minimisent la consommation nette de matières premières et d’énergie. La « part matérielle » de la production pourrait être réduite, grâce à la transformation de produits en services, le partage et la réutilisation d’objets, d’espaces, de capacités technologiques, physiques… Créant ainsi les fondations solides d’une industrie de proximité.

 

Le défi est immense. Mais pour les plus optimistes, Fab Lab signifie laboratoire fabuleux…

 

 

Lire :

Fabien Eychenne, Fab Lab : L’avant-garde de la nouvelle révolution industrielle

Le FacLab : http://www.faclab.org/

Scénario de prospective de la FING http://fing.org/?Vers-l-industrie-de-proximite

 

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