6 minutes de lecture

par Jean-Philippe Desmartin, Albane Flamant

En France, plus de 84% des entreprises du CAC40 possèdent sous une appellation ou l’autre une sorte de code de conduite, ou encore de charte déontologique. D’où vient ce concept, et comment est-il appliqué dans les différentes entreprises en Europe ? Pour répondre à ces questions, Metis s’est entretenu avec Jean-Philippe Desmartin. 

 

20131113 Voyage Conseil Entreprise GrimbergenPour commencer, qu’est-ce qui pousse une entreprise à écrire un code éthique ?

J’aimerais d’abord clarifier une question de vocabulaire. Quand vous parlez de »code éthique », il s’agit d’un terme utilisé principalement par les sociétés anglo-saxonnes. Je préfère utiliser avec parcimonie le terme d’Ethique qui relève d’un individu et/ou d’une communauté au profit de la notion de responsabilité de l’entreprise ou encore de code de conduite.

 

De manière plus générale, ce concept nous vient de filiales d’entreprises américaines qui l’ont introduit en France il y a de ça près de quinze ans. Aujourd’hui, les entreprises françaises ont donc majoritairement une charte éthique ou un code de conduite pour différentes raisons plus ou moins vertueuses. Au-delà des motivations évidentes d’intérêt général et de prévention, cela peut être tout simplement utilisé comme un outil juridique qui peut protéger l’entreprise en cas de procès (class actions…). Pour certaines, c’est donc véritablement un instrument utile en cas de conflit juridique où le code en question sert de preuve de l’existence d’un processus de prévention ou de sensibilisation des collaborateurs de l’entreprise, comme c’est souvent le cas aux Etats-Unis.

 

Dans l’esprit du droit français, il s’agit d’ailleurs généralement moins d’une codification précise du comportement que d’un état d’esprit : au cours des quinze dernières années, la plupart des entreprises françaises ont fait véritable un travail de fond en impliquant tous leurs départements dans leur conception et rédaction. Sur la forme, la rédaction est souvent plus courte que pour leurs homologues anglo-saxons, dont les codes font souvent jusqu’à plusieurs dizaines de pages. On se rend également compte que les sujets traités dans ces documents sont sensibles (conflit d’intérêt, lobbying…). Les chartes et code ainsi créés ont souvent des conséquences très concrètes pour les salariés en terme de lutte contre la corruption par exemple.

 

Justement, comment peut-on déterminer si ce code ou cette charte est vraiment appliquée dans la vie quotidienne de l’entreprise ?

Pour qu’un code soit appliqué, il faut véritablement qu’il y ait un suivi, une sensibilisation des salariés, en particulier les personnels exposés (commerciaux, fonction achats…). Dans le cas des multinationales, on peut déjà vérifier si le code en question est traduit dans de nombreuses langues, ce qui est toujours bon signe car cela témoigne d’une volonté de le faire appliquer de la même façon dans toutes les filiales de l’entreprise, en prenant en compte les différences culturelles.

 

Personnellement, il y a une question que je pose toujours quand j’essaie de déterminer le niveau d’efficacité d’un code : je demande à l’entreprise si elle a eu un suivi des problèmes liés à la bonne application du code de conduite au cours des dernières années. Si on me répond qu’il n’y a jamais eu aucun problème, tout particulièrement dans les secteurs sensibles comme le pétrole, l’extraction minière, le BTP ou encore l’aéronautique-défense ou des pays sensibles (Chine, Russie…), le code en question est probablement resté au fond du tiroir, si je puis dire. La façon dont ces problèmes quasi-inévitables sont gérés est très révélatrice pour un observateur extérieur. A noter que certaines entreprises n’ont aussi légalement pas le choix. C’est ainsi le cas pour le secteur bancaire français qui est extrêmement régulé sur les questions de déontologie. 

 

Comment cette question est-elle traitée en France comparé à ses voisins européens ?

D’un point de vue géographique, on peut dire que l’éthique est moins formalisée dans les pays latins (France, Italie, Espagne) que dans les pays anglo-saxons ou scandinaves où il existe dans ces derniers pays une véritable exigence de transparence pour les questions éthiques. Un exemple hors du monde l’entreprise qui pourra surprendre en France ; on a vu dans le passé en Norvège des ministres devoir démissionner pour avoir passé en en note de frais un taxi utilisé en fait pour un usage personnel Il y a donc encore un enjeu de diversité culturelle sur ces sujets, même si les écarts diminuent avec le temps.

 

En France, nous devenons par exemple de plus en plus sensibles au concept de lanceur d’alerte, qui avait été lancé à l’origine par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Aujourd’hui, on retrouve ce souci non seulement dans la direction des entreprises françaises, mais aussi dans les discussions qu’on peut avoir avec les partenaires sociaux, ce qui n’était pas du tout le cas il y a quelques années.

 

Je connais moins bien la réalité des pays de l’est, mais j’aurais tendance à dire que des pays tels que la Pologne restent proches de la France dans ce domaine avec la primauté du code civil.

 

A quel point ces codes de conduite vont-ils au-delà du droit ? Quel est le rôle joué par le législateur dans ce processus ?

En fait, cela dépend surtout du pays duquel on parle. La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) suppose déjà que l’entreprise aille au-delà du simple respect de la loi. Concrètement c’est plus facile à faire aux Etats-Unis qu’en France sur les questions de ressources humaines.

 

En effet, la situation sur les questions sociales et les ressources humaines entre les Etats-Unis et la France n’est pas la même. Concrètement, si l’on prend le cas d’une entreprise américaine, on se rend compte que même si d’un côté de l’Atlantique elle va largement aller au-delà des contraintes du droit social américain, ces efforts pourront se révéler inférieurs aux attentes du code du travail en France…. C’est là que toute la distinction entre hard law et soft law entre en jeu. En France, la hard law est très présente et les directeurs des ressources humaines doivent par exemple jongler avec les restrictions du code du travail en termes de délit d’initié ou de délit d’entrave, ce qui laisse moins de place pour une influence de la soft law. Aux USA, les entreprises ont plus de marge pour aller au-delà du droit sur les questions sociales. Il s’agit donc de différents cadres de référence.

 

A propos 

Jean-Philippe Desmartin est responsable de recherche ISR chez Oddo Securities. 

 

Pour aller plus loin

Infographie : la corruption en France et en Europe (Metis – Février 2015)

Taking Your Codes to China – Kirk O. Hanson & Stephan Rothlin (Janvier 2013)

 

Crédit image : CC/Flickr/Philippe

Print Friendly, PDF & Email
+ posts