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À l’origine de l’aventure, 5 amis, quadragénaires, entrepreneurs, ancrés dans la vraie vie, qui souhaitent « essayer de faire mieux pour laisser quelque chose de valorisant à nos enfants ». Ils sont implantés à Mulhouse et veulent agir sur ce territoire désindustrialisé où la précarité touche 30 % de la population, où coexistent des communautés qui ont du mal à vivre ensemble. Martine Zussy, à ce jour, salariée de l’association Énergies de citoyens raconte.

energie citoyens

Engagement sociétal
Après une phase d’exploration, les 5 amis décident que leur engagement « sociétal » portera sur l’énergie, même si aucun d’entre eux ne connaît le sujet. Ils se renseignent, sont intéressés dans un premier temps par la démarche de Jeremy Rifkin (auteur de La troisième révolution industrielle : Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde. Ed. Les liens qui libèrent, 2012), pour se rendre compte qu’elle est trop « top down » pour eux, notamment elle n’inclut ni les citoyens, ni les TPE.

« Nous sommes partis de zéro, explique Martine Zussy, avons pris des contacts avec des élus, des associations, des entreprises. Nous avons été surpris de constater qu’aucun des acteurs impliqués sur le sujet n’en mesurait précisément l’enjeu financier. Ainsi, il a fallu se renseigner pour apprendre que la facture énergétique de l’agglomération de Mulhouse, 250 000 habitants, s’élevait à 625 M d’€ par an. Sur ces 625 M, 90 % sortaient du territoire. Nous avons réalisé que nous avions trouvé notre objectif : refaire jaillir l’énergie des gens, transformer leur énergie en énergie physique. »

C’est avec ce projet que l’association qui s’est d’abord appelée « Mulhouse 100 pour 100 » est créée en avril 2013, elle intègre dans un collège de 40 personnes des politiques, des institutions, l’université, la maison de l’emploi et de la formation, des chefs d’entreprise, des citoyens… « Nous avons tourné en rond pendant quelques mois sans avoir pu faire émerger un objectif commun. L’attente était là, de très nombreuses micro actions ont été envisagées, mais notre démarche manquait d’efficience, poursuit Martine. Nous sommes repartis en quête d’expériences porteuses de résultats, avons compris que ce qui fonctionnait ce sont les partenariats public privé, qui posent dès le départ une raison économique et une raison sociale. C’était nouveau pour nous. »

 

Apéro-réno
De retour sur leur territoire, les 5 amis repositionnent leur action, rebaptisent leur mouvement « Énergies de Citoyens » et se fixent comme objectif que 20 % de l’énergie consommée par l’agglomération soient produits localement, « pour que le montant de la facture énergétique retourne dans la richesse locale ». « Nous avons cherché des « vides » sur lesquels nous concentrer et avons défini trois axes possibles : augmenter la production d’énergie renouvelable, réaliser des économies d’énergie et améliorer la productivité de l’énergie. C’est sur le deuxième axe que nous avons démarré en nous focalisant sur le bâtiment : les solutions techniques existent, elles sont connues (des gros travaux comme l’isolation, le chauffage, les ouvertures …mais aussi des petits accessoires comme les thermostats, les économiseurs d’eau, etc.) mais le sujet est compliqué, les particuliers ont du mal à se repérer dans les différentes offres ayant en face d’eux des artisans qui manquent d’une vue globale, des grands groupes un peu agressifs au plan commercial ou des militants éloignés de la mise en œuvre. »

À partir de l’hiver 2014, l’association engage des actions de pédagogie en organisant chez les particuliers des « apéro-réno » (rénovation), sur le modèle des réunions Tupperware. Elle monte une offre très locale, essaime à Valenciennes et à Angers, valide un business plan et crée une société d’exploitation pour développer cette activité. Après une levée de fonds, Hey’Nergie voit le jour en décembre 2015. L’association y a des parts.
En parallèle, Énergies de Citoyens sous-traite à des exploitants de chaufferies collectives une activité de conseil aux particuliers co-propriétaires.

Sensibilisation dans la rue
Enfin, il s’agit de sensibiliser un maximum de personnes sur ce sujet et notamment les jeunes qui ne sont pas du tout accompagnés à occuper un jour ce genre d’emplois. L’association engage un nouveau projet, Urban Energies, qui consiste à lancer une opération de sensibilisation dans la rue. « Pour toucher les jeunes, nous ne voulions pas organiser une conférence, ni distribuer des flyers. Nous avons opté pour une approche plus ludique et décidé de fabriquer du mobilier urbain producteur d’énergie. Nous avons pu bénéficier d’un fonds social européen, d’une aide du conseil départemental du Haut-Rhin et de fonds privés. Nous avons organisé des ateliers de créativité avec les citoyens. Et pendant six mois, de mai à décembre 2015, nous avons fait travailler ensemble des ingénieurs, des artistes et 5 jeunes en insertion. L’enjeu était de taille : sur le plan technique, mais aussi humain. Les collaborations ne sont pas toujours allées de soi. Les jeunes ont pu reprocher le manque de structure de la démarche, le flou « on fait quoi maintenant ? ». Mais le résultat est là. Ces éléments de mobilier urbain seront installés en janvier 2016. Il s’agit d’un confident avec panneau solaire orienté, d’une balançoire et d’une sphère avec des éléments mobiles produisant de l’énergie.

Les jeunes ont découvert un univers dont ils ignoraient tout, ils ont beaucoup appris au contact des ingénieurs, des artistes et des entreprises locales qui ont fabriqué le mobilier. Aujourd’hui, deux ont opté pour une formation, deux ont trouvé un emploi et le cinquième crée son entreprise. Nous allons reproduire l’opération à Mulhouse, à partir de mars, et nous développerons le même process dans d’autres villes. »

La Ruche qui dit… Watt
En parallèle, l’association continue à imaginer d’autres actions. « Nous avons connu des échecs, nous avons parfois perdu du temps à tourner autour d’une idée avant de savoir comment la prendre, nous nous sommes toujours accrochés. Aujourd’hui, nous travaillons sur le lien entre l’agriculture et l’énergie. À terme, notre objectif est d’optimiser des productions agricoles productrices de matières qui peuvent être utilisées pour isoler les bâtiments, comme la paille.

« Notre rencontre et bout de chemin avec Guilhem Cheron, co-fondateur de la Ruche qui dit oui, nous a beaucoup inspirés sur la richesse des collectifs locaux.  Énergies de Citoyens sert d’incubateur. Dès qu’une idée prend forme, nous créons l’entité économique qui la portera. Nous allons créer des petites Ruches, sur un quartier ou sur une rue, pour une production locale et collective d’énergie, par exemple avec des panneaux photovoltaïques installés sur le toit des garages. Ce genre d’actions transforme de fond en comble les relations entre les habitants du quartier.

Nous avons également un projet que nous menons avec la ville et le conseil général dans un objectif de lutte contre la précarité énergétique. Il s’agit, avec les bailleurs sociaux, de proposer à un public de personnes touchant le RSA, de rénover ensemble leurs habitations pour diminuer leurs factures énergétiques. »

Culture de la méconnaissance
« Pour atteindre notre objectif, nous avons réalisé qu’il n’existait pas une solution unique, mais une multitude de petites solutions. Cela correspond bien à notre positionnement : nous ne sommes pas des militants, mais des activateurs. Nous travaillons avec tous les experts et nous les faisons travailler ensemble. Du fait de notre méconnaissance du sujet, nous avons une autre porte d’entrée que ceux qui sont dans le métier depuis 30 ans. Nous avons fait le choix de rester une petite association, et créons des équipes sur les projets qui peuvent être très différents les uns des autres. Nous travaillons avec les réseaux locaux et, au fil du temps, avons établi de nombreuses connexions en France, en Suisse, au Luxembourg…

Martine Zussy était chargée de développement économique à la CCI de Mulhouse jusqu’en juillet 2013. Après un an de bénévolat, elle est (la seule) salariée de l’association depuis octobre 2014. Les autres continuent à gérer leur entreprise. Leur engagement au sein de l’association se fait le soir, le week-end ou pendant les vacances. « Pour tous les cinq, cela a représenté une vraie transition. Nous ne sommes pas dans un emploi, mais dans une action qui a un impact sur l’économique, la vie de citoyen et le rapport à la société. L’association reçoit peu de fonds publics (20 %), elle se finance sur du mécénat privé et sur la vente de prestations. Nous sommes persuadés que c’est ainsi que se feront les évolutions, des montages mixtes publics privés, encore difficilement compréhensibles. »

 

Pour en savoir plus

Énergies de citoyens est une association mulhousienne créée en 2013. Elle œuvre dans la relance énergétique et regroupe citoyens, entrepreneurs et institutions locales autour de projets d’efficacité énergétique et de production d’énergies renouvelables.

 

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Fanny Barbier, éditrice associée au sein de la Smart Factory d’Entreprise&Personnel (réseau associatif qui mobilise, au service de ses adhérents, les expertises de consultants RH et la recherche en sciences humaines). Elle étudie en quoi les évolutions de la société ont un impact sur le travail et les organisations et propose des pistes pour la transformation heureuse de ces évolutions au sein des entreprises. Elle dirige le service de veille et recherches documentaires d’E&P. Elle a co-créé et animé des think tanks internes au sein d’E&P, BPI group et Garon Bonvalot et publié de nombreux ouvrages et articles sur le travail et le couple travail/société.