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Un dossier consacré à l’accompagnement ne pouvait faire l’impasse sur l’engagement des milliers de bénévoles qui remplissent ce rôle quel que soit le domaine : accompagnement de personnes en souffrance, soutien scolaire, alphabétisation, accueil, intégration, insertion, etc. Dans la foulée des articles de Jean-Marie Bergère et de Martin Richer, voici ce qui ressort de l’entretien que nous ont accordé deux bénévoles de l’association Solidarités nouvelles face au chômage, Geneviève de Beco et Micha Ricciardi.

 

snc

La toute première expérience de Geneviève dans l’accompagnement de chercheurs d’emploi remonte au « premier choc pétrolier ». Nous sommes dans les années 70, Geneviève travaille pour le CESI à qui l’ANPE et l’APEC confient l’accompagnement de ces précurseurs, « en majorité des hommes, autodidactes, dont les femmes ne travaillent pas, dont les CV ont l’allure de faire-part mortuaire qui mentionnent en première ligne « licencié pour cause économique » ! À l’époque, on cachait être au chômage. » Geneviève les forme aux techniques de recherche d’emploi, à la rédaction de CV, à l’entretien d’embauche, à l’expression orale… Parallèlement à cette expérience, elle poursuit une carrière de freelance dans la formation pour adultes, la créativité, les études qualitatives, etc. En 2010, une amie d’enfance lui fait connaître Solidarités nouvelles face au chômage. Elle décide de rejoindre le mouvement « plutôt que de balayer le café associatif dont je suis bénévole, autant faire quelque chose que je sais faire ! ».

Micha, psychologue du travail et gestionnaire RH, commence sa carrière au Liban dans le conseil et le recrutement. Elle arrive en France en 2000 et intègre les RH d’un cabinet d’audit (Deloitte). Elle le quitte en 2012 et se forme au métier de coach et à la gestion des risques psychosociaux, qu’elle pratique à son compte depuis. Dans le cadre de cette formation, elle rencontre une personne de SNC et décide de rejoindre l’association. « Ce qui m’a attirée, c’est la vitalité de SNC et l’accompagnement en binôme ».

Geneviève et Micha se retrouvent souvent dans le même binôme. C’est le principe de SNC : deux accompagnateurs pour un accompagné, des rencontres qui se font dans des lieux publics – les cafés sont sans doute les premiers espaces de travail en France – pour des séances ne dépassant pas 1h30, au rythme souhaité par la personne accompagnée.


Une grosse boutique

SNC a été créée par Jean-Baptiste de Foucauld en 1985. L’association compte aujourd’hui 3 000 accompagnateurs – plus de 1 000 à Paris – répartis dans 200 groupes sur toute la France. Chaque groupe compte en moyenne 15 accompagnateurs pour 25 accompagnés. SNC suit environ 5 000 personnes, de tous profils, tous métiers, tous âges, qui approchent l’association via leur réseau, la communication institutionnelle ou bien qui sont envoyées par Pôle Emploi. L’association est financée par des dons (de personnes physiques et morales), a noué de nombreux partenariats notamment dans l’objectif de créer et mettre en place des emplois solidaires. Le taux de réussite des accompagnements SNC – trouver un emploi ou une situation satisfaisante – s’élève à 66 %, ce qui est un très bon résultat notamment lorsqu’on le ramène aux chiffres donnés par Martin Richer dans son article (57 % des licenciés économiques accompagnés par Pôle emploi sont en emploi 13 mois après le début de l’accompagnement et 49 % pour ceux suivis par un opérateur privé). 

Il convient de noter toutefois que les caractéristiques de l’accompagnement SNC empêchent ces comparaisons puisque tous les chercheurs d’emploi accompagnés par SNC ont volontairement rejoint l’association, puisque l’accompagnement n’est pas limité dans le temps, puisque les accompagnateurs ont in fine plus de temps disponible pour chaque personne que n’en ont les conseillers Pôle Emploi ou les consultants des opérateurs privés de placement.

Professionnalisme
Les accompagnateurs sont attachés à un groupe qui se réunit en général une fois par mois. Deux moments ponctuent chacune de ces rencontres. Dans un premier temps, on constitue les binômes qui s’occuperont de la ou des nouvelles personnes à accompagner. Celles-ci auront d’abord été reçues à une des permanences d’accueil et « acceptées » : parce qu’elles sont en état de rechercher un job, elles sont en règle avec l’administration, elles ne sont pas déjà suivies par de multiples structures. « Certains n’en ont jamais assez, et vu la liste d’attente des demandes d’accompagnement, nous ne pouvons pas accueillir tout le monde ! » souligne Geneviève. Ensuite, le groupe fait le point sur les accompagnements en cours. « Le binôme est souverain dans son accompagnement, quand il le souhaite, il peut demander conseil au groupe et alors on s’y attarde ». La particularité de SNC par rapport à un cabinet d’outplacement est que « nous n’avons pas de limite dans l’accompagnement. Certains peuvent durer très longtemps, ils sont alors quelquefois à l’état dormant. Cette absence de pression n’implique pas un dilettantisme de notre part. Nous nous adaptons à la demande de la personne ».

Au-delà de leur binôme, les chercheurs d’emploi peuvent solliciter d’autres bénévoles, appartenant à des satellites de SNC, dont l’action complète l’accompagnement. Ainsi, une structure spécifique a été créée. « Dire et faire ensemble » propose un programme d’expression et de formation dans l’objectif de favoriser les échanges entre chercheurs d’emploi (avec l’organisation de sorties), de les aider à développer l’efficacité dans leur recherche via des ateliers et in fine de les aider à reprendre confiance en eux. Il existe également une cellule psychologique qui reçoit des personnes accompagnées en cas de difficulté et qui sortent du registre des accompagnateurs.

SNC ne fixe aucun prérequis pour devenir accompagnateurs, à part le bénévolat et le paiement de sa cotisation annuelle (minimum 10 €). « Certains ne supportent pas le job et s’en vont d’eux-mêmes. D’autres font ça pour le CV. Ça fait bien d’avoir été accompagnateurs chez SNC ». Cela fait peut-être bien, mais c’est certainement une bonne école. L’association est puissante, c’est d’ailleurs un des critères du choix de SNC chez les accompagnateurs comme chez les accompagnés. Elle met à la disposition des bénévoles un panel d’outils et de ressources tels que des formations – dispensées en général le samedi de 9 à 17 heures – qui ne sont pas obligatoires, une méthodologie, des aides psychologiques, etc. En 30 ans d’existence, SNC est devenue un acteur important de l’accompagnement des chercheurs d’emploi – sans doute le plus gros cabinet d’outplacement en France – comme en témoigne l’établissement de relations institutionnelles avec Pôle emploi.


Bénévolat et liberté

Pour Micha Ricciardi, rejoindre SNC relève d’une démarche spontanée. « J’ai toujours fait ça, je trouve naturel de participer à la vie sociale. C’est une activité qui m’intéresse, le travail, la souffrance au travail… Pouvoir apporter quelque chose à des personnes en recherche d’emploi me permet de me sentir mieux et de faire en sorte que ça aille mieux dans la société. On est très content quand un chercheur d’emploi trouve une solution, on fait la fête ! ».

« Au cours de ma carrière, j’ai eu l’occasion de mettre ma force de travail au service de très mauvaises causes, telles que l’industrie pharmaceutique ou le marketing de barres chocolatées… » explique Geneviève. « Avec SNC, j’ai l’impression d’avoir une utilité sociale. Toute ma vie, j’ai eu des chômeurs entre les mains. Je sais un peu faire. Dans cette association, j’ai l’impression de le faire bien. Il y a des moyens, des règles connues de tous qui sont autant de repères. Le fait d’être bénévoles nous permet d’échapper à la pression du résultat. Cela nous permet de prodiguer un conseil ‘’ soft ‘’, respectueux de la personne et de sa demande. Cette relative liberté permet aussi de faire preuve de créativité. Pour certains, il faudra être stimulants, pour d’autres, plus maternants. C’est sûr que nous avons une relation de pouvoir… mais c’est pour la bonne cause ! » Geneviève cite le cas d’une dame qui vient aux rendez-vous avec ses accompagnateurs avec un jeune enfant dans une poussette : « pas question de nous voir dans un café ! Nous nous retrouvons chez moi, même si ce n’est pas dans les règles. On est obligés de s’adapter, d’inventer parfois…». Cette liberté permet d’endosser plusieurs rôles, de pousser le conseil juste un peu plus loin que d’habitude : « à ceux qui souffrent de solitude, nous n’allons pas conseiller de devenir auto entrepreneurs ou de créer leur start-up. Ils ont besoin d’avoir des collègues, un arbre de Noël organisé par le comité d’entreprise ».


Engagement sociétal

Être accompagnateurs chez SNC, c’est aussi être en prise avec la société. « Nous avons un rôle sociétal. Les chômeurs demandent toute l’attention du monde. Certains vont toucher le fond souvent plusieurs fois avant de refaire surface. Très vite, ils risquent de perdre le sens du temps et de l’espace. Les conseillers de Pôle emploi sont débordés, ils ne peuvent accompagner au plus près les plus fragiles. Nous, nous pouvons le faire. Et nous avons aussi la chance d’observer la société et de prendre des options sur son devenir. Je chéris les mots développement durable, ville durable, économie circulaire… Il faut réfléchir à ce que nous voulons vivre ».

C’est sur ces mots que s’achève notre entretien. J’ai rencontré deux femmes puissantes et qui communiquent leur force. Geneviève et Micha me font penser aux premiers consultants en outplacement (avant qu’ils ne vendent leurs cabinets aux financiers.

 

Pour en savoir plus :
http://snc.asso.fr/

 

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Fanny Barbier, éditrice associée au sein de la Smart Factory d’Entreprise&Personnel (réseau associatif qui mobilise, au service de ses adhérents, les expertises de consultants RH et la recherche en sciences humaines). Elle étudie en quoi les évolutions de la société ont un impact sur le travail et les organisations et propose des pistes pour la transformation heureuse de ces évolutions au sein des entreprises. Elle dirige le service de veille et recherches documentaires d’E&P. Elle a co-créé et animé des think tanks internes au sein d’E&P, BPI group et Garon Bonvalot et publié de nombreux ouvrages et articles sur le travail et le couple travail/société.