– article initialement publié le 10 février 2025 –
Dans un précédent article de Metis, nous décrivions la nécessité d’organiser un dialogue social technologique sur le déploiement de l’intelligence artificielle ainsi que la méthode d’expérimentation organisationnelle utilisée pour mener à bien deux projets destinés à faciliter ce dialogue. Il s’agit de SeCoIA Deal (SErvir la COnfiance dans l’Intelligence Artificielle par le Dialogue) et Dial-IA (Dialoguer sur l’IA).
Nous revenons dans cet article sur le projet Dial-IA, dont le dernier livrable a été mis en ligne début 2025.
Dial-IA, pour un dialogue social au service des bons usages de l’IA et d’une nouvelle étape de progrès social dans les entreprises et les administrations
Le projet Dial-IA a été porté et coordonné par l’IRES, l’institut de recherches économiques et sociales pour les organisations syndicales en France, avec le soutien d’Ultra Laborans. Il a bénéficié du soutien financier de l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT) et de la volonté de l’Agence de soutenir et équiper le dialogue social technologique pour faire du dialogue professionnel et social un levier central de la transformation numérique.
Il a été rendu possible grâce à l’implication forte et continue, 18 mois durant, d’acteurs du dialogue social : quatre organisations syndicales nationales et interprofessionnelles l’ont piloté sur toute sa durée (CFDT, CFE-CGC FO-CADRES et UGICT-CGT). Les activités ont reposé sur l’implication active de tous les participants, émanant notamment de l’UNAPL, Solidaires Finances Publiques, CINOV DIGITAL, CGT Santé Action Sociale, FEC FO (section Pôle Emploi), FBA CFDT, FCE CFDT, Interco CFDT, UFFA CFDT, CFDT HDF, F3C CFDT, CFE-CGC Métallurgie, CFTC Média+.
L’objectif de la cinquantaine de participants à l’élaboration du projet, tous parties prenantes des transformations liées à l’IA et du dialogue social, a été de :
- Faire émerger une « grammaire commune » de leur appréhension des spécificités de l’IA comme objet sociotechnique impactant le monde du travail,
- Prendre la mesure du levier puissant qu’offre le dialogue social technologique pour exploiter pleinement les opportunités du déploiement de l’IA dans les organisations,
- Elaborer et concevoir des outils et leviers pour accompagner et favoriser le déploiement opérationnel de ce dialogue social technologique.
Le projet Dial-IA a débouché sur deux livrables.
- Le manifeste : « Pour un dialogue social au service des bons usages de l’IA et d’une nouvelle étape de progrès social dans les entreprises et les administrations » dont nous avons parlé dans notre précédent article.
- L’outil Dial-IA, qui offre un cadre méthodologique de déclinaison de l’accord européen de 2020 au niveau national interprofessionnel qui pourrait nourrir les discussions dans l’agenda social autonome : dial-ia.fr mis en ligne début 2025.
Pourquoi le projet Dial-IA a-t-il mis au cœur de sa réflexion les enjeux de dialogue social ?
Du fait même des impacts organisationnels majeurs et de l’incertitude qui accompagnent le déploiement des projets d’IA, les représentants du personnel et le dialogue social ont un rôle majeur à jouer.
Les participants au projet Dial-IA ont porté la conviction que les systèmes d’IA ne sont en effet pas des technologies « finies » quand ils rentrent dans une entreprise ou une administration. Ils ont des impacts organisationnels potentiellement majeurs, et, pour certains, inédits. Il en résulte fondamentalement que les impacts d’un système d’intelligence artificielle ne sont pas « prédéterminés » et dépendront crucialement des conditions de déploiement, des règles métiers qui seront appliquées, de l’interfaçage avec l’organisation du travail.
Les participants au projet Dial-IA ont également porté la conviction que l’implication de l’ensemble des parties prenantes du dialogue social, dès l’amont, et tout au long du « cycle de vie » du projet, est une condition essentielle de sa réussite, et que parler collectivement d’IA dans l’entreprise ou l’administration est crucial tant les impacts sur l’organisation du travail et sur les métiers peuvent être forts. Ils ont été confortés dans cette conviction par les études, désormais nombreuses, qui mettent en évidence le fait que la consultation des représentants des travailleurs conduit à de meilleures performances économiques et à de meilleures conditions de travail en cas de déploiement de systèmes d’intelligence artificielle[1].
Les outils proposés par le projet Dial-IA visent précisément à créer des conditions favorables, au travers de propositions et de leviers opérationnels, pour prendre conscience de l’importance du dialogue social technologique, et faire en sorte que l’IA émerge, enfin, comme objet de négociation et de dialogue social [2].
L’outil Dial-IA offre un cadre méthodologique inédit de déclinaison de l’accord européen de 2020 au niveau national interprofessionnel qui pourrait nourrir les discussions dans l’agenda social autonome.
Une partie dédiée de la boîte à outils Dial-IA s’attache dans ce cadre à apporter des arguments mettant en évidence l’intérêt, pour toutes les parties prenantes, d’instaurer un dialogue social technologique autour de l’IA dans nos organisations.
Les partis pris de la méthodologie de dialogue social technologique proposée par Dial-IA
Deux partis pris importants ont dès lors irrigué les travaux de réflexion qui ont débouché sur l’outil Dial-IA :
- Si l’on veut s’assurer que les organisations comme les hommes qui les constituent gardent le contrôle, il est primordial de maitriser la finalité des projets de SIA, d’en permettre la visibilité, mais aussi, plus pragmatiquement, d’en comprendre, même grossièrement, les différentes étapes ;
- Si l’on veut s’assurer que les impacts des SIA sur les métiers, sur l’organisation, sur le travail, soient pleinement appréhendés, il est fondamental de sortir d’une approche statique du dialogue social, de prévoir des points de revoyure, de mettre en place des comités de suivi, de s’autoriser des boucles de rétroaction, bref, en quelques sorte, de mettre du dialogue social à toutes les étapes du cycle du projet de SIA.
Ce que contient l’outil Dial-IA
Pour répondre aux partis pris et permettre au dialogue social technologique de se déployer, l’outil Dial-IA met à disposition de tous les acteurs susceptibles de s’emparer de ces sujets en entreprise ou dans une administration :
- Des ressources pour équiper les acteurs et les aider à développer un dialogue social technologique ;
- Des outils opérationnels, « prêts à l’emploi », pour permettre aux acteurs du dialogue social de déployer un dialogue social technologique itératif à même de tirer le meilleur parti des potentialités de l’IA dans les entreprises et les administrations.
Zoom sur l’outil Dial-IA
L’outil Dial-IA est un site est scindé en deux parties : Acculturation à l’IA et Modalités du dialogue social. Conçu comme un webdoc, il est itératif, il propose de très nombreuses ressources, avec des liens, des fenêtres, un bloc-notes.
Il faut également mentionner sa ligne graphique, conçue par Pauline Gourlet[3], non seulement de toute beauté, mais aussi, avec une simplicité apparente, très précieuse pour comprendre un sujet complexe.
Première partie : Acculturation à l’IA
Ainsi, la première partie s’adresse à toute personne intéressée par le dialogue social sur l’IA.
Elle permet de faire le point sur ce que recouvre le terme d’intelligence artificielle, de comprendre les enjeux derrière les développements de systèmes dits d’IA dans les entreprises et les organisations.
Elle propose des définitions, des représentations et des ressources pour appréhender les innovations de l’informatique contemporaine sous l’angle du dialogue social. En voici des morceaux choisis.
a. Les basiques de l’IA
Extraits
Ce qu’est l’IA
- Un produit sur un marché concurrentiel
- Un processus de traitement de données
- Des interactions humains-machines
- Un paradigme de réponse
- Une empreinte écologique
Ce que n’est pas l’IA
- Objective
- Intelligente
- Le sens commun
- Universelle
- Située
(Derrière chaque notion, une explication)
b. Cartographie des enjeux
Chacun de ces enjeux est décrit en détail, il est expliqué pourquoi le dialogue social est important sur cet enjeu et comment s’y prendre et il est proposé des ressources pour aller plus loin et comprendre.
c. Les situations de développement des SIA
Le parti pris ici est de privilégier une approche centrée, non pas sur le cycle de cycle de vie du système d’intelligence artificielle comme cela est très souvent le cas, mais sur celui du cycle de vie du projet d’application ou de système d’IA afin de donner plus de prise aux partenaires sociaux.
Deuxième partie : Modalités du dialogue social
A visée opérationnelle, cette partie s’adresse plus spécifiquement aux représentants du personnel et syndicaux ou tout autre personne impliquée dans des actions relatives à l’introduction d’un dispositif d’IA au sein de son organisation. Il s’agit de réfléchir aux moyens de se doter d’une méthodologie de « dialogue social technologique » adaptée aux spécificités des systèmes d’intelligence artificielle.
La conviction partagée par l’ensemble des participants au projet est que pour adapter le dialogue social aux spécificités de l’IA, il faut sortir d’une approche « statique » du dialogue social, se donner la possibilité d’agir avant, pendant, et après l’introduction de l’IA dans l’entreprise, se donner la possibilité de « retours en arrière ».
Deux chapitres ici :
Dans les trois contributions présentées ici, les porteurs du projet Dial-IA partagent leur conviction qu’un dialogue entre l’ensemble des parties concernées permet de mieux prendre conscience des enjeux de l’IA et d’y apporter des réponses dont le bénéfice est partagé par tous.
Les outils et leviers proposés dans cette partie ont été identifiés et coconstruits principalement lors de deux ateliers de « design thinking« . Il s’agit de fournir aux représentants du personnel les moyens de mettre en visibilité les Systèmes d’Intelligence Artificielle dans leur entreprise/administration, de mobiliser les canaux du dialogue social institué, mais aussi d’initier des pratiques de dialogue social itératif, au travers d’outils ad hoc, comme la clause de revoyure, le registre des SIA, etc. Ces outils, téléchargeables en PDF, ont par nature vocation à évoluer et s’enrichir.
Ceci n’est qu’un aperçu du site, à chacun de s’y plonger afin d’en saisir la très grande richesse. Et la profonde utilité. Au carrefour des potentialités ouvertes par le règlement européen sur l’IA, le RGPD, le code du travail, et les deux accords-cadres européens, c’est donc un cadre de réflexion « situé », coconstruit par une large communauté de participants, qui a permis de déboucher, in fine, sur l’outil Dial-IA.
L’IRES est l’institut de recherches économiques et sociales pour les organisations syndicales en France.
Sa gouvernance est mixte : organisations syndicales, France stratégie, Insee, Dares, Drees.
Les recherches produites par l’Institut sont évaluées par une commission scientifique composée de chercheurs universitaires selon le principe de l’évaluation par les pairs.
Pour soutenir la qualité du dialogue social à tous niveaux et en outiller les acteurs sur les transformations à l’œuvre dans le monde du travail, l’IRES délivre une recherche sous des modalités diverses : rapports scientifiques, colloques, revue, recherches actions, intégrant ainsi une fonction de médiation vers les acteurs du monde du travail.
Site internet : https://ires.fr/
Linkedin : https://www.linkedin.com/in/ires-fr-aa276672/
Bluesky : @iresfr.bsky.social
[1] OECD (2024), The impact of Artificial Intelligence on productivity, distribution and growth, M. Lane et al (2023), ‘The impact of AI on the workplace: Main findings from the OECD AI surveys of employers and workers’, FEPS (2024), Algorithm by and for the workers., Cazzaniga and others (2024), ‘Gen-AI: Artificial Intelligence and the Future of Work.’, IMF Staff Discussion Note SDN2024/001, International Monetary Fund, Washington, Steve Jacob and Seima Souissi (2022), L’intelligence artificielle dans l’administration publique au Québec.
[2] A peine plus de deux accords pour mille seulement avaient intégré les sujets de l’IA en 2023, avec une focalisation sur les enjeux d’emploi, et non de travail (N. Greenan et al. (2024) « L’IA dans les entreprises : que révèlent les accords négociés ? », Connaissance de l’emploi Cnam Ceet n°200
[3] Designer, post-doctorante au médialab de Sciences Po dans le cadre du projet Shaping AI.






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