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par Arnaud Chéron

À l’heure du débat sur la réforme de l’assurance chômage en France, il ne semble pas inutile de procéder à une comparaison des systèmes aujourd’hui en place en Europe. La tâche est ardue, car le degré de « générosité » de l’assurance chômage, qualificatif souvent employé pour caractériser tel ou tel autre système, recouvre une multitude de dimensions : montant, durée, dégressivité, plafond, conditions d’éligibilité, critères de sanctions en cas de refus d’offre, pour ne citer que les principales.

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En règle générale, cette générosité est résumée par un indicateur synthétique : le ratio de remplacement net. Ce ratio rapporte le revenu moyen au chômage (sur une période donnée) au précédent revenu en emploi. Le raisonnement en termes « net » souligne que sont pris en compte non seulement l’allocation chômage, mais aussi l’ensemble des transferts sociaux (prestations logement et familiales), ainsi que les variations d’imposition induites par le changement de statut sur le marché du travail.

Selon les chiffres les plus récents fournis par la direction générale du Trésor (données OCDE 2016), la France se situe au niveau de la moyenne européenne, avec un ratio de remplacement moyen qui équivaut 67 % en début de période d’indemnisation. Ce chiffre est proche de celui calculé pour l’Allemagne, supérieur aux 54 % obtenus pour le Royaume-Uni, et trois fois plus élevé qu’aux États-Unis. Ce ratio moyen « dans la moyenne » masque toutefois une importante hétérogénéité sous-jacente, notamment celle relative à la situation familiale et au précédent niveau de revenu.

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Ainsi, en France, on note une faible dépendance à la configuration familiale du ratio de remplacement en début de période, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne, mais surtout le Royaume-Uni où les allocations et crédits d’impôt familiarisés dépendent largement du statut sur le marché du travail : le ratio de remplacement d’un célibataire sans enfant en France est ainsi de 68 % contre 66 % pour un couple mono-actif avec deux enfants, ces chiffres étant respectivement de 58 % et 77 % en Allemagne, et de 39 % et 68 % au Royaume-Uni, avec donc une forte dépendance à la structure familiale dans ces deux derniers pays.

Des conceptions « philosophiques » différentes

En revanche, la France se caractérise par le taux de remplacement le plus élevé pour les travailleurs dont les rémunérations sont les plus importantes : 68 %, contre 59 % en Allemagne et 32 % au Royaume-Uni (48 % en moyenne pour l’OCDE). Ainsi, un célibataire sans enfant en France peut toucher au maximum une allocation de 7 130 euros, pour seulement 2 450 euros en Allemagne, et 615 euros au Royaume-Uni. Enfin, les durées de versement des indemnités diffèrent elles aussi substantiellement (deux ans en France, un an en Allemagne et six mois au Royaume-Uni) mais aussi les conditions d’éligibilité : il suffit d’avoir travaillé quatre mois au cours des 28 derniers pour être éligible en France, ce rapport 4/28 devant être comparé à celui de ½ dans la majorité des pays.

On l’aura donc compris, derrière des ratios moyens de remplacement finalement assez proches se cachent d’importantes différences en matière d’indemnisation, dont une des plus flagrantes est certainement celle tenant à l’absence de dégressivité du ratio de remplacement en France avec le niveau de rémunération, contrairement à ce qui est observé dans la plupart des autres pays.

Ceci fait écho à une différence de conception presque d’ordre « philosophique » du système de couverture des risques de carrière : on oppose traditionnellement la logique universaliste telle retenue au Royaume-Uni (dite beveridgienne, en référence aux travaux de l’anglais Beveridge au milieu du XXe siècle qui promeut un principe d’universalité et d’uniformité de l’aide apportée aux chômeurs) qui consiste à garantir un revenu minimal financé par l’impôt, à la logique assurantielle (dite bismarkienne, en référence au système initié par le chancelier allemand Bismarck à la fin du XIXe siècle) où le revenu de remplacement est directement lié à l’exercice précédent d’une activité professionnelle avec un financement assuré par des cotisations sociales, et un dispositif géré par les syndicats.

Universalité et assurance

Dans le premier cas, il résulte que les travailleurs avec des rémunérations élevées voient leur revenu substantiellement chuter lors d’une perte d’emploi, car les allocations – quoique dépendantes de la structure familiale – sont très largement forfaitaires. Dans le second cas, comme en France et en Allemagne, la logique d’assurance prédominant, on observe des ratios de remplacement qui demeurent très élevés pour les travailleurs à hauts salaires.

Cette remise en question fondamentale a finalement été mise sur la table par le gouvernement français qui s’est avancé sur le terrain d’un revenu universel d’activité. Cette proposition a été reprise dernièrement par le Medef qui promeut, d’un côté la mise en place d’une couverture universelle gérée et financée par l’État, et de l’autre une assurance complémentaire obligatoire pilotée par les syndicats. Elle fait déjà suite à la suppression des cotisations salariales à l’assurance chômage qui est effective et a changé la donne, avec une partie du système d’assurance chômage dorénavant financé par l’impôt (CSG).

Si l’indemnisation du chômage en France intègre déjà une logique beveridgienne, avec par exemple l’allocation de solidarité spécifique pour les chômeurs en fin de droit, la question posée est donc celle du poids relatif accordé à l’universalité vis-à-vis de l’assurance. Limiter l’indexation sur les précédents salaires, augmenter la base forfaitaire de l’allocation chômage, et/ou réduire le plafond des indemnités, auraient pour conséquence d’accroître le poids de la composante universelle, et donc de la redistribution, au détriment de l’assurance.

Du point de vue de l’efficacité économique, ces options méritent d’être discutées, car une partie des travailleurs susceptibles de rapidement basculer dans une trappe à chômage correspond précisément à ceux aux revenus moyens qui, du fait de l’indexation élevée sur les précédents salaires, sont en position de refuser certaines offres d’emplois (au risque de voir leur capital humain se déprécier). On le voit donc : les enjeux d’une nouvelle réforme de l’assurance chômage sont multiples et voient se juxtaposer considérations philosophiques, politiques et économiques.

– Cet article a été initialement publié par le site The Conversation France le 22/02/2019 –

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