À la veille des élections européennes, la question qui anime les débats est celle des conditions de la refondation du projet européen et de ses finalités. Il est clair qu’une réactualisation de l’idée des pères fondateurs d’une fédération européenne ne suffira pas à rassembler une majorité d’Européens. Les candidats aux élections l’ont d’ailleurs bien compris. Si la forme politique et institutionnelle de la construction européenne a longtemps concentré les débats, ce sont surtout les moyens d’accomplir sa mission de protection qui interrogent aujourd’hui.
La question des moyens renvoie à celle des compétences et de sa répartition entre les États membres et l’Union européenne. Cette répartition est définie dans l’article 5 du traité sur l’Union européenne (TUE), aussi appelé traité de Maastricht, par le principe de subsidiarité selon lequel, « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres ».
L’Union européenne dispose donc de moyens limités pour agir dans des domaines tels que l’immigration, la protection sociale, la lutte contre le terrorisme, etc. Pourtant, c’est sur ces questions relatives à la protection de leurs intérêts stratégiques, de leurs modes de vie, et de leurs préférences en termes de modèles économiques et sociaux que les citoyens attendent davantage de leur appartenance à l’UE, comme le révèle un sondage Eurobaromètre réalisé en septembre 2018 par le Parlement européen.
Un objectif qui ne date pas d’hier…
Pour répondre à ce besoin de protection, France Stratégie a publié en avril 2019 une note d’analyse intitulée « Refonder l’Europe de la solidarité », dans laquelle elle préconise une coordination renforcée et accrue dans plusieurs domaines, afin de répondre à quatre objectifs principaux : « écarter la tentation du moins-disant en matière sociale, fiscale et salariale ; mieux accompagner les mutations ; encourager la mobilité ; privilégier l’action en commun lorsque l’efficacité l’impose ».
Si la note précise que les compétences de l’UE ne peuvent pas s’étendre à l’ensemble des politiques sociales, elle incite néanmoins à revoir la répartition des rôles entre les niveaux nationaux et européens dans un souci d’efficacité, notamment pour permettre une meilleure convergence des systèmes fiscaux et sociaux des États.
S’il ne parlait pas explicitement d’une harmonisation sociale, il reconnaissait néanmoins la nécessité d’approfondir le « dialogue avec les gouvernements et les partenaires sociaux en vue de s’assurer que les opportunités offertes pour l’achèvement du marché intérieur soient accompagnées de mesures appropriées pour atteindre les objectifs de la communauté en matière d’emploi et de sécurité sociale ».Cet objectif de convergence – terme qui est souvent préféré à celui d’harmonisation – ne date pas d’aujourd’hui. Dès 1985, Jacques Delors, président de la Commission, publiait son Livre blanc sur l’achèvement du marché intérieur, dans lequel il préconisait notamment « l’harmonisation des règles et le rapprochement des législations et des structures fiscales ».
Systèmes de protection sociale en concurrence
Certes, de nombreuses avancées ont été réalisées en matière d’harmonisation des droits sociaux, notamment dans le domaine du droit du travail et l’égalité hommes-femmes, ou encore par le biais des libertés de circulation. Mais des blocages subsistent. Ils sont de trois ordres :
- Juridique : la Cour de Justice de l’UE lève les entraves nationales à la libre circulation au détriment parfois des politiques sociales des États membres ;
- Économique : la règle d’or budgétaire limite les dépenses publiques des États, donc le financement des politiques de solidarité et des mécanismes de redistribution ;
- Politique : la diversité des modèles fiscaux et sociaux des États membres rend laborieux le chemin vers un modèle social européen unique.
Ces trois facteurs, conjugués au primat de la libre concurrence dans le droit européen, provoquent une course au moins-disant en matière fiscale et sociale qui a pour effet de mettre en concurrence les systèmes de protection sociale des États membres. Par exemple, les taux d’imposition sur les sociétés en Irlande et en Hongrie sont plus bas qu’ailleurs en Europe, ce qui pousse un grand nombre d’entreprises à se délocaliser dans ces pays.
Le Brexit complique la donne
En matière sociale, la directive sur les travailleurs détachés a fait couler beaucoup d’encre : celle-ci permettait aux entreprises européennes de détacher leurs travailleurs dans d’autres États membres, au même salaire et suivant les règles de protection sociale en vigueur dans le pays d’origine. La révision en 2018 de cette directive témoigne de la volonté de lutter contre les pratiques de dumping social et fiscal en Europe.
Mais le chemin vers l’harmonisation sociale et fiscale, s’il n’est plus aussi utopique aujourd’hui qu’hier, sera vraisemblablement encore long. La perspective du Brexit n’arrange pas les choses. En effet, si la sortie des Britanniques de l’UE présente un avantage certain dans la reprise des discussions sur la question de l’harmonisation (car ils s’y sont toujours fermement opposés), elle interroge toutefois sur le financement qu’impliquerait une telle convergence des systèmes sociaux et fiscaux. L’harmonisation a un coût, surtout si on souhaite qu’elle se fasse par le haut. Or, le Brexit aura un impact non négligeable sur le budget communautaire, le Royaume-Uni étant l’un des principaux contributeurs nets.
Alors que faire ? Si les moyens existent, notamment par le biais des coopérations renforcées introduites par le traité d’Amsterdam en 1997, reste à trouver la ou les volontés politiques qui auront le courage de les mettre en œuvre. L’impulsion nécessaire viendra peut-être de la société civile elle-même : en février 2019, les deux principales organisations patronales françaises ont lancé un appel en faveur d’une convergence fiscale dans l’UE. Reste à voir maintenant si cet appel sera repris par d’autres organisations patronales et syndicales à travers l’Europe.
Joséphine Staron, doctorante en philosophie politique à la faculté des Lettres de la Sorbonne, Teacher Assistant à Sciences po Paris, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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