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Dans tous les pays européens, des initiatives nouvelles et tous azimuts se développent concernant l’apprentissage. La question se pose du bon mix entre formation et travail, entre construction de compétences professionnelles bien adaptées aux besoins des entreprises et préparation de l’employabilité à long terme des apprentis. Jean-Raymond Masson fait la synthèse des travaux récents du CEDEFOP et de l’OCDE poursuivant ainsi pour Metis sa réflexion sur les défis actuels des systèmes de formation.

L’avenir de l’apprentissage est aujourd’hui une question majeure partout en Europe et en particulier en France, où ses effectifs ont augmenté significativement sous l’impulsion de la Loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018. Metis y avait déjà consacré plusieurs articles et notamment « La formation professionnelle en France : deux systèmes, deux réformes et toujours et toujours un problème », en septembre 2018 et « L’apprentissage en France : mission impossible ? » en octobre 2018. Mais à l’heure où les systèmes d’éducation et de formation se transforment progressivement en conformité avec les dispositions de la loi et où la crise sanitaire pénalise les jeunes engagés dans cette voie et qui peinent à trouver des entreprises d’accueil (voir dans Metis « Les apprentis face à la crise », mars 2021) il est important de s’interroger sur l’avenir de l’apprentissage en Europe.

Plusieurs travaux récents du Cedefop arrivent à point nommé afin de nourrir la réflexion. C’est ainsi qu’en partenariat avec l’OCDE, le Cedefop vient de publier une synthèse des travaux tenus à Paris en octobre 2019 lors d’un symposium consacré à l’avenir de l’apprentissage (« The next steps for apprenticeship », Cedefop/OCDE, 2021).

Ont été également publiés par le Cedefop dans les derniers mois une note d’information et un premier rapport sur la mise en œuvre de la recommandation du Conseil de 2018 relative à un cadre européen pour un apprentissage efficace et de qualité (European framework for quality and effective apprenticeship, EFQEA), une évaluation des effectifs d’apprentis dans les pays de l’Union européenne « How many apprentices are there un the EU ? » Estimates based on Cedefop database on apprenticeship schemes and reflections on available EU data sources, Cedefop, 2021), une note d’information sur l’apprentissage (« L’apprentissage un remède universel ? »), un rapport détaillé sur le financement de l’apprentissage au sein de l’UE, et enfin un rapport (« short description ») sur le système d’éducation et de formation professionnelle en Allemagne. Il n’est évidemment pas question dans cet article de traiter la totalité des éléments de cette « bibliothèque ». Nous nous contentons de reprendre les principales conclusions du symposium OCDE/Cedefop tout en les nourrissant çà et là d’éléments pertinents piochés dans les autres ouvrages, et nous reviendrons plus tard sur les autres sujets cruciaux tels que le financement et les mécanismes d’assurance qualité.

Deux groupes de pays

Il convient d’abord de rappeler les enseignements de l’étude comparative conduite en 2016 par le Cedefop (« Apprenticeship schemes in European countries. À cross nation overview ») et qui distinguait deux groupes de pays où l’apprentissage recouvre des réalités très différentes.

Dans le premier, l’apprentissage est un système en soi, distinct de la formation sous statut scolaire, et qui constitue l’essentiel de l’offre de formation professionnelle initiale au niveau secondaire supérieur (niveau V et IV). Se présentant comme un programme, il fournit l’ensemble des compétences nécessaires à l’exercice d’une profession sans constituer pour autant un prérequis pour un emploi précis ; la qualification attribuée est spécifique à la modalité d’apprentissage, de même que les référentiels sur lesquels elle s’appuie ; sa valeur tient donc à la fois à son contenu en même temps qu’aux modalités de son acquisition. La qualification obtenue signale sa source (l’apprentissage) et constitue ainsi un atout sur le marché de l’emploi. C’est le cas en particulier du système dual allemand, mais aussi de l’apprentissage dual en Autriche, au Danemark ou en Suisse. Ce modèle se retrouve en Irlande, en Croatie, en Islande, en Norvège et en Pologne.

Au sein du second groupe, l’apprentissage est partie intégrante du système formel d’enseignement et de formation professionnels au sein duquel il constitue une modalité parmi d’autres du parcours visant l’acquisition d’une qualification ; dans ce cas, la qualification tient aux acquis d’apprentissage (learning outcomes) et non aux modalités de ces acquisitions. C’est le cas le plus fréquent en Europe, comme en France où les diplômes et autres certifications nationales peuvent être acquis par la formation initiale de type scolaire, par l’apprentissage, par la formation continue ou encore par la VAE. Dans ces pays, l’apprentissage s’organise souvent en complémentarité — voire en concurrence — avec la formation en alternance sous statut scolaire, s’adressant aux mêmes élèves et aux mêmes entreprises. Au sein de ce groupe figurent aussi les dispositifs d’apprentissage mis en œuvre en Belgique (Flandre) et au Royaume-Uni (Angleterre et Écosse) ; dans ces pays, il s’agit de parcours qualifiants complets. Mais on y trouve aussi l’Italie, la Finlande, la Suède et la Belgique francophone où les parcours d’apprentissage peuvent aussi être partiels, intégrés à des parcours complets incluant d’autres modalités de formation. Les Pays-Bas et le Portugal constituent des cas à part dans la mesure où tout en étant intégré au système général, l’apprentissage est organisé en programmes du type de ceux du premier groupe.

Plus récemment, le rapport « How many apprentices are there in the EU ? » donne une première vision comparative sur les effectifs d’apprentis dans les différents pays. S’appuyant sur les données nationales collectées en 2019 (en vue de bâtir une base de données européennes sur l’apprentissage) en référence aux définitions de l’apprentissage utilisées dans chaque pays, il rassemble des éléments hétérogènes. Il est cependant intéressant de prendre en compte ces données qui donnent des ordres de grandeur et permettent de relativiser certaines conclusions exprimées ci-après. L’Allemagne arrive en tête avec près de deux millions d’apprentis, suivie du Royaume-Uni avec 850 000 (dont 740 000 en Angleterre, 56 000 au Pays de Galle et 42 000 en Écosse), de la France avec 660 000 (où ces chiffres cumulent les contrats d’apprentissage et les contrats de qualification), les Pays-Bas 120 000, le Danemark 109 000, l’Autriche 100 000, la Pologne 99 000, la Finlande 57 000, la Hongrie 51 000, la Norvège 44 000, la Belgique 25 000, le Portugal 22 000, l’Espagne 20 500, etc… Et si l’on rapporte ces effectifs à la population de chaque pays, tout en prenant l’Allemagne comme étalon en lui donnant le coefficient 10, le Danemark suit avec 8, l’Islande 7,5, le Royaume-Uni 5,5, l’Autriche et la Finlande 4,5, la France obtient 4, la Norvège 3,5, les Pays-Bas 3, le Luxembourg et la Hongrie 2,5, l’Irlande 1,5, la Belgique, la Pologne, le Portugal et la Croatie avec 1.

L’apprentissage : outil idéal pour coller aux besoins ?

Basé sur les présentations produites durant le symposium OCDE-Cedefop de 2019, le document (« The next steps for apprenticeship » s’intéresse aux politiques et aux projets mis en œuvre dans un ensemble de pays parmi lesquels une place prépondérante est donnée aux pays où l’apprentissage constitue la forme dominante de la formation professionnelle initiale (1). Malgré ce « biais », la plupart des analyses et des conclusions ont une portée générale et elles interpellent d’autant plus les pays qui sont tentés de donner plus d’importance à l’apprentissage. Selon les auteurs de la synthèse (Anthony Mann pour l’OCDE et Antonio Ranieri pour le Cedefop), l’apprentissage est de plus en plus vu comme un moyen privilégié pour assurer une bonne adéquation de la formation aux besoins du marché du travail ; mais ce faisant, il est confronté à des défis grandissants aux plans technologique, démographique et sociétal, et la pandémie du COVID-19 a encore renforcé l’urgence de les appréhender et d’y faire face. Cependant, face à l’accélération de la transformation des métiers due à l’automatisation et compte tenu de l’importance des périodes en entreprise qu’il suppose, l’apprentissage semble capable de s’adapter aux changements plus aisément que les formations de nature plus scolaire.

Cela ne va cependant pas de soi et l’apprentissage est aujourd’hui confronté à trois défis majeurs. Ainsi, les entreprises du numérique ont souvent tendance à s’appuyer sur le travail en plateformes et/ou sur des statuts d’auto-entrepreneur qui rompent la relation employeur/employé et vont limiter voire interdire le développement des approches traditionnelles de l’apprentissage. Le deuxième défi réside dans la diversification croissante des profils d’apprentis : c’est ainsi que l’apprentissage devient aussi une forme classique de formation professionnelle pour les adultes au travers d’initiatives de type AFEST en France, tandis qu’il accueille une population croissante de jeunes immigrés (de 17 % en 2003 à 23 % en 2015 dans l’ensemble des pays de l’OCDE, et les migrants représentant plus du tiers des apprentis en Irlande ou en Suisse) ; ces changements justifient pleinement l’intérêt des modalités d’apprentissage, mais ils vont exiger une attention accrue et une diversification des méthodes afin de répondre à la variété des profils. Enfin, troisième défi, les enquêtes PISA révèlent un intérêt croissant des jeunes pour des métiers qui relèvent de formations supérieures et auxquels les formations en apprentissage ne préparent pas dans la plupart des pays.

De nouveaux défis pour l’apprentissage

Au terme des travaux du symposium, Mann et Ranieri listent une série de messages clef relatifs à des initiatives en cours dans plusieurs pays.


L’apprentissage doit maintenir (ou trouver si ce n’est pas le cas) une identité forte, attractive pour les apprenants comme pour les employeurs. Il faut se départir d’une vision ciblée sur les emplois les moins qualifiés et les comportements « utilitaristes » de la part d’employeurs voyant dans les modalités d’apprentissage le moyen de diminuer les coûts de production. Il faut également construire des parcours suffisamment différenciés par rapport aux formations scolaires afin que les employeurs s’y retrouvent, contrairement à la situation qui prévaut actuellement en Suède et qui freine le déploiement de l’apprentissage (voir « Suède : la longue marche vers l’apprentissage » Metis, décembre 2018). Cela impose le renforcement des liens entre le système d’éducation et de formation avec le marché de l’emploi.

Cependant la question reste posée de l’existence de référentiels spécifiques ainsi que du caractère plus ou moins étendu des occupations ou des métiers auxquels ils correspondent. Le problème s’est posé au sein du Royaume-Uni (Angleterre) où sous l’influence des grandes entreprises, de tels référentiels ont été conçus dans une conception étroite inadaptée aux besoins des PME. Par ailleurs, de tels référentiels risquent d’être bâtis sans référence aux objectifs d’éducation générale, limitant ainsi les possibilités de reconversion et de poursuite d’études.

Les changements technologiques entrainent des rapprochements — voire la convergence — entre enseignements généraux et professionnels. La visée de l’éducation et de la formation tout au long de la vie (EFTLV) s’accompagne d’enseignements de plus en plus basés sur des compétences « transversales » permettant de répondre à l’instabilité croissante des marchés de l’emploi et de faciliter les processus de requalification et de reconversion. C’est ainsi que la formation professionnelle et en particulier l’apprentissage doit s’appuyer sur des compétences cognitives renforcées. Dans la liste des « rapprochements » on pourrait citer également la réforme de la formation professionnelle en Finlande où l’on ne distingue plus formation initiale et continue et où l’apprentissage tient une grande place [Voir « Formation professionnelle en Finlande : une toute nouvelle réforme » Metis, novembre 2019]

En liaison avec le message précédent, on assiste de plus en plus à l’émergence de cursus conduisant à des qualifications à des niveaux supérieurs, post-secondaire ou universitaire, et accueillant des apprenants issus de l’enseignement professionnel et/ou de l’enseignement général. Ces possibilités données aux diplômés de l’apprentissage de poursuivre leurs études sont de nature à en accroitre l’attractivité. L’exemple est donné avec la création au Royaume-Uni (Écosse) d’une filière de « graduate apprenticeship » dans le domaine de l’ingénierie, en coopération entre les industries correspondantes et l’université. Après une évaluation positive au bout d’un an, l’initiative a été étendue aux secteurs des TIC et des affaires (business). Dans ce contexte on pourrait aussi citer l’Allemagne dont le système dual accueille près de 30 % d’apprenants déjà titulaires de l’Abitur (en 2017), où il existe depuis 2020 des programmes relevant du système dual aux niveaux 6 et 7 du cadre européen des qualifications (EQF) et qui accueillent des diplômés de l’enseignement général, mais aussi des sortants du système dual « traditionnel » au niveau EQF 4.

Face au développement de nouvelles formes de travail et d’emploi associées aux entreprises de la nouvelle économie où le lien du travailleur avec l’employeur, l’apprentissage doit inventer de nouvelles modalités. Il peut être intéressant de s’appuyer comme en Australie sur des institutions intermédiaires mises en place à l’initiative des gouvernements, de certaines industries ou de façon indépendante, de manière à appuyer le développement de l’apprentissage dans des secteurs où les PME éprouvent des difficultés à assurer son déploiement. Une autre solution réside dans la mise en commun de places d’apprentissage au niveau local comme en Belgique (Région flamande) ; dans ce cas, la rotation des apprentis sur ces places peut rencontrer certains inconvénients au niveau local, largement contrebalancés au niveau macro grâce au pouvoir d’attraction de ce système auprès des employeurs et à la multiplication des possibilités d’apprentissage qu’il permet.

Le développement de l’apprentissage peut aussi susciter des innovations dans l’organisation du travail. [C’est là que les deux sens du mot « apprentissage » vont se confondre]. En Suisse, dans le secteur des TIC, l’adaptation des dispositifs d’apprentissage (apprenticeship) à l’acquisition des nouvelles compétences requises conduit des entreprises à modifier l’organisation du travail, de façon notamment à favoriser le développement des compétences transversales et d’une culture de l’apprentissage (learning) tout au long de la vie (travail en équipe, résolution de problèmes, pensée critique, autonomie, etc..). Plus généralement, la numérisation peut contribuer à l’amélioration des processus d’apprentissage et pas seulement dans les entreprises où l’automatisation est le plus développée. C’est ainsi qu’elle peut entrainer le développement de nouvelles compétences, favoriser la créativité et l’innovation et faire en sorte que les instructeurs deviennent des facilitateurs, comme tel est l’objectif du programme « Digitaler Wandel in überbetrieblichen Berufsbildungs-stätten und Kompetenzzentren » au sein de l’initiative « Berfufsbildung 4.0 (2016-2018) » en Allemagne.

Afin de maintenir son attractivité ou d’en enrayer le déclin, certains pays réfléchissent à l’introduction de procédures sélectives à l’entrée dans les filières d’apprentissage. Le Danemark en a conditionné depuis 2014 l’accès en instaurant des niveaux minimums de performance dans certaines matières d’enseignement général. Cependant ce dispositif semble avoir échoué selon les travaux de recherches rapportés lors du symposium. D’une part on ne constate aucune augmentation de l’accès parmi ceux qui avaient le niveau requis, d’autre part, on assiste à la diminution de l’accès pour les candidats des catégories sociales les plus défavorisées. Plutôt que sur des critères académiques, il semble préférable de baser d’éventuelles procédures sélectives sur les besoins des entreprises et sur les préférences des candidats. Il est aussi essentiel de mettre en place des dispositifs performants de conseil et d’orientation professionnelle associant les candidats potentiels, les entreprises et les responsables concernés des filières d’apprentissage. Une expérience positive de ce type était mentionnée au sein du Royaume-Uni où les apprentis étaient invités à venir promouvoir leurs activités au sein des écoles secondaires. En revanche, la récente introduction d’une taxe d’apprentissage au Royaume-Uni n’a pas eu plus de succès, probablement du fait des réticences des entreprises à investir individuellement plutôt que dans le cadre de négociations collectives.

Enfin comme on le voit en Suisse, l’apprentissage se révèle un outil puissant d’intégration des réfugiés dans le marché de l’emploi. À cette fin, le dispositif s’est enrichi de cours de langues, du développement du coaching et de la mise en œuvre de cours pré-EFP afin de faciliter l’entrée dans le système dual, dans des secteurs spécifiques où les besoins de main-d’œuvre étaient particulièrement marqués.


C’est ainsi que l’avenir de l’apprentissage va dépendre des choix de politique publique, du comportement des entreprises et de la responsabilisation des partenaires sociaux. Les dynamiques en cours sont telles que plusieurs écueils ou difficultés doivent être bien identifiés et surmontés. Trois scénarii problématiques se dégagent des tendances observées par les acteurs du symposium. Le premier consiste à privilégier les emplois les moins qualifiés et à encourager une visée purement utilitariste de la part de certains employeurs (réduction des coûts) ; dans ce cas, l’apprentissage doit être considéré comme une appellation trompeuse. À l’opposé, le second scénario correspond à des entreprises engagées dans le développement de qualifications de haut niveau non seulement en vue de recruter ces apprentis, mais aussi de leur donner des bases pour le développement de leur carrière dans un secteur donné ; ici, l’apprentissage résonne comme une marque valorisante et bien identifiée, mais les difficultés résident dans les limites de la coopération entre les acteurs de l’économie et de l’éducation ainsi qu’entre les contenus d’apprentissage des différents programmes. Dans un troisième scénario, l’apprentissage recouvre des situations hétérogènes relevant des deux premiers types, mais aussi de la coexistence, au sein des systèmes éducatifs, avec d’autres parcours basés sur l’école tout en s’appuyant sur des périodes de formation en entreprise, avec le risque d’engendrer de la confusion et de limiter l’intérêt des employeurs.

L’apprentissage en Europe : un chantier tous azimuts

Comme on l’a vu ci-dessus, l’importance accordée à l’apprentissage depuis une dizaine d’années a conduit à une floraison d’initiatives disparates portant sur les niveaux de formation, la conception et l’étendue des référentiels, les compétences mises en œuvre, les publics concernés, les statuts, la gouvernance, les critères d’accueil et les débouchés qui ont accentué l’hétérogénéité de l’ensemble. Parmi ces initiatives, certaines n’ont pas toujours garanti la qualité des formations et d’autres n’ont pas donné aux « apprentis » le bénéfice du droit du travail ni de la protection sociale, ce qui a conduit le Conseil européen à adopter en 2018 une recommandation relative à « un cadre européen pour un apprentissage efficace et de qualité » (European framework for quality and effective apprenticeship, EFQEA).

Parmi les objectifs listés dans ce cadre, on trouve :

  • L’existence de structures permettant la participation tripartite des parties prenantes à la conception et à la mise en œuvre de l’apprentissage.
  • Des accords écrits entre employeurs et employés incluant des références précises concernant les droits, obligations et conditions de travail et d’apprentissage.
  • Un temps passé sur le lieu de travail suffisant pour couvrir les besoins du secteur et ceux des apprentis, et d’au moins 50 % de la durée de la formation.
  • Des exigences sur les qualifications pédagogiques et professionnelles des formateurs et tuteurs en entreprise ainsi que sur leurs capacités à travailler en bonne coopération avec les établissements de formation.
  • Des référentiels décrits en termes d’acquis d’apprentissage (learning) et structurés de telle façon qu’ils guident efficacement la conception du volet « formation » sur le lieu de travail.

Un premier rapport vient d’être publié afin d’analyser la mise en place de ce cadre de qualité dans 27 pays, dont 19 pays membres de l’Union européenne (« EFQEA Implementation : A Cedefop analysis and main findings » Cedefop, 2021). Malheureusement, la France n’y figure pas de même que l’Allemagne, le Danemark et le Royaume-Uni. Nous y reviendrons ultérieurement.

 En conclusion

On peut reprendre la note d’information du Cedefop « L’apprentissage : un remède universel ? » dont le message central est que « l’apprentissage ne doit pas se limiter à l’insertion professionnelle des personnes, mais il doit également assurer leur employabilité à long terme ». Mais la question est de savoir si ces deux objectifs sont aisément compatibles. On retrouve là la tension entre les deux significations de l’apprentissage que la langue anglaise distingue : apprenticeship et learning. Comme on l’a vu, dans plusieurs cas, le développement de l’apprentissage s’est limité à l’objectif à court terme d’insertion professionnelle, le contrat d’apprentissage se réduisant à un contrat de travail ; à l’opposé (surtout dans les pays où la tradition d’apprentissage était le plus développée) d’autres initiatives ont visé l’employabilité à long terme et la formation tout au long de la vie. Dans le premier cas, l’apprenti est d’abord un travailleur débutant, dans le second il est surtout un apprenant. Cette ambiguïté se retrouve dans les contrats signés entre les apprentis et les entreprises, dans la rémunération et les droits dont ils bénéficient, dans l’équilibre entre les temps de formation et les temps de « travail » et plus généralement sur la qualité de la formation.

Dans ce contexte, le Cedefop a tenté d’identifier le plus grand dénominateur commun aux situations d’apprentissage sur lequel il serait possible de bâtir une conception européenne commune comme suit :

  • Le programme s’appuie sur un cadre juridique.
  • Il débouche sur une qualification formelle et transférable.
  • Il repose sur une alternance structurée entre la formation par le travail et l’apprentissage en milieu scolaire.
  • Il implique un engagement d’une durée minimale qui justifie l’alternance entre les deux types de formation.
  • L’entreprise et l’apprenant signent un type de contrat spécifique.
  • L’apprenant reçoit une rémunération.

Ces conclusions interpellent le système français d’apprentissage en pleine restructuration et doté de perspectives nouvelles en phase avec les changements en cours en Europe et qui peut trouver un grand intérêt à des échanges avec d’autres pays. Quelques questions semblent particulièrement importantes dans ce contexte :

  • Celle de l’attractivité du système ; la leçon danoise semble nous dire que l’introduction d’une sélection à l’entrée basée par exemple sur des niveaux minimums de formation en mathématiques ou en maitrise de la langue en fin de collège ne fonctionne pas et qu’elle est plutôt contre-productive. Dès lors, c’est plutôt dans les perspectives en termes d’emploi et/ou de poursuite d’études qu’il faut travailler.
  • Le rôle accru accordé aux branches professionnelles par la loi ainsi que les exigences renforcées en matière d’assurance qualité telle que France Compétences va les mettre en œuvre devraient permettre de mieux mobiliser les entreprises dans l’amélioration des conditions d’accueil et de formation des apprentis. Dans ce contexte, le cadre européen pour un apprentissage efficace et de qualité devrait constituer une référence.
  • De ce point de vue, on peut s’interroger sur les possibilités données aux entreprises de préparer des apprentis aux CQP ; cette ouverture ne risque-t-elle pas de tirer vers le bas l’apprentissage en limitant les perspectives de poursuite d’études que le Conseil européen suggère plutôt de renforcer ? ne faudrait-il pas plutôt mettre l’accent sur l’apprentissage au niveau supérieur en facilitant l’accès à ces formations à des titulaires des CAP ou Bac pro en apprentissage comme l’Allemagne semble l’organiser ?
  • Ces questions devraient être au centre des préoccupations en ce qui concerne l’élargissement de l’apprentissage aux adultes jusqu’à 30 ans. Dès lors, la question de savoir s’il convient de maintenir des frontières entre apprentissage et FPC (formation professionnelle continue) va se poser et il sera intéressant d’analyser les effets à court et moyen terme de la fusion mise en œuvre en Finlande. Dans cette perspective, les actions visant au rapprochement voire à l’intégration entre les GRETA et les CFA de l’éducation nationale devraient livrer de précieux enseignements.
  • L’accueil de jeunes immigrés dans les CFA devrait pouvoir se développer comme c’est le cas en Suisse, mais il faudrait absolument faire en sorte que ces jeunes qui sont motivés et donnent pleine satisfaction à leurs employeurs ne soient pas le cas échéant renvoyés dans leur pays d’origine dès qu’ils atteignent l’âge de 16 ans.
  • Plus généralement, les développements de l’apprentissage au sein de l’éducation nationale liés à la réforme des baccalauréats professionnels et à la multiplication de lycées des métiers dans le cadre de bassins d’emploi et de formation devraient bénéficier d’une nouvelle dynamique. Mais il va être essentiel de s’assurer que les différences entre les formules d’apprentissage sous statut salarié et de formation en alternance sous statut scolaire sont bien claires et bien perçues par les parties prenantes et en particulier les employeurs afin d’éviter les confusions que l’on observe en Suède.

(À suivre)

[1] Parmi les seize contributions, cinq concernent spécifiquement le Royaume-Uni (dont une l’Ecosse), quatre la Suisse, deux l’Allemagne, une le Danemark, l’Autriche, l’Australie et la Belgique (Flandre) et enfin une dernière couvre à la fois l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche et le Danemark.

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.