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Par Christine, Propos recueillis par Fanny Barbier

Portraits, parcours : c’est aussi une manière de réfléchir sur la manière dont se font les choix de travail, de statut, d’emploi, et de mobilité. Voici ce que Christine m’a raconté de son parcours, mais surtout des enseignements qu’elle en tire. Aucun commentaire supplémentaire n’est nécessaire. Tout ce que vous allez lire, elle me l’a dit lors de nos entretiens. À part les sous-titres.

Jardin partagé du square des Cardeurs, Parie 20e, conception et maîtrise d’oeuvre Arpents paysages

« En raison de mes difficultés scolaires, liées à une dyslexie non détectée, j’aurais dû intégrer une classe de 6e pro comme si j’étais née dans un milieu moins favorisé. C’est ma famille qui a obligé l’Education nationale à réinterroger mon orientation. Par la suite, les mathématiques m’ont sauvée puisque j’ai eu un bac C, par facilité, mais sans passion. Après le bac, j’hésitais entre sciences éco, sociologie et psycho. A l’époque, je n’avais personne pour m’aider à choisir ou pour m’informer sur les inscriptions à la fac. Je pensais qu’en m’inscrivant dans les trois disciplines, je pourrais y réfléchir pendant l’été et faire mon choix à la rentrée. Mais, je me suis retrouvée en sciences éco parce que c’est là que je m’étais inscrite en premier. Si j’avais habité plus près de la Sorbonne, j’aurais fait de la sociologie !

J’ai poursuivi en économétrie pour retrouver les mathématiques qui me rendaient les études plus faciles, à défaut d’un réel intérêt. Une fois diplômée, ayant eu la chance d’avoir choisi une matière toute nouvelle et très demandée, j’ai trouvé un poste bien placé dans une grande banque française. Dès la seconde année, sans la demander, j’ai bénéficié d’une augmentation de salaire et la troisième année, on m’a fait une proposition de promotion extrêmement valorisante. Mais je ne me voyais pas passer ma vie à faire des modèles statistiques dont je pressentais la toxicité pour notre société, j’ai donc demandé à faire partie du plan de licenciement que la banque engageait à ce moment-là. Cela m’a été refusé, logiquement. J’avais un emploi dont pouvait rêver toute personne possédant une maîtrise d’économétrie. Pour un début de carrière, je gagnais beaucoup d’argent, et mon poste allait être encore valorisé. Personne ne comprenait que je veuille le quitter. On me disait que je ne retrouverais jamais mieux ailleurs.

Sortir de la cage dorée

Le fait de ne pas avoir dû courir après le succès et la réussite m’a permis de prendre conscience que :

  • Je m’ennuyais dans ce que je faisais ;
  • Je n’en voyais plus le sens, pire, je ne voulais plus cautionner le système pour lequel je travaillais. La modélisation dans la banque consiste à trouver comment maximiser les profits en minimisant les risques et toujours au détriment des clients ;
  • Je n’avais plus rien à prouver. Parce que j’avais eu la chance d’être là à la bonne période, on m’a tout de suite offert un plateau doré.

Tout cela m’a donné l’assise nécessaire pour trouver la force, le courage de vouloir changer. J’avais 27 ans, c’était le bon moment, avant les enfants et les crédits, à un âge où on a encore l’énergie et les rêves de la jeunesse.

Par crainte de me retrouver prisonnière dans cette cage dorée, j’avais décidé de refuser la promotion qu’on me proposait. Je n’avais pas d’autre projet que “je préfère être fleuriste”, mais je savais ce que je ne voulais plus. Puisqu’on ne m’acceptait pas dans le plan social, j’ai dû négocier un licenciement à l’amiable. Rétrospectivement, je me rends compte que j’ai été sans concession avec mes employeurs. “Si vous ne me laissez pas partir, vous ne serez jamais certains que je produise de bons modèles !” En exigeant un licenciement, je m’autorisais à faire deux années d’études aux frais de la société…

Rencontrer la bonne personne au bon moment

Mon licenciement conclu, j’ai été sur une plateforme d’orientation mise à disposition des étudiants afin de m’informer sur les études qui me permettraient de devenir fleuriste. J’y ai rencontré une personne qui, après avoir comparé le parcours inscrit sur mon CV et le CAP de fleuriste, m’a plutôt encouragée à rencontrer un conseiller en orientation afin de faire un bilan plus approfondi pour conforter mon choix. Sur ces conseils et sans trop savoir à quoi m’attendre, j’ai pris rendez-vous et rencontré une personne bienveillante et investie dans sa mission, qui m’a beaucoup aidée. Quand elle a su que mes parents étaient architectes, elle m’a suggéré d’entrer à l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles. “Vous avez le niveau culturel pour espérer réussir le concours”, me dit-elle. Ce à quoi je lui ai répondu que je redoutais de passer un concours compte tenu de mes difficultés à l’écrit ! Finalement, elle m’a parlé d’un BTS agricole “Aménagements paysagers”.

Ce furent deux années d’études très intéressantes, à l’issue desquelles j’ai été recrutée par une paysagiste que mes parents connaissaient et pour laquelle j’éprouve beaucoup de gratitude. C’est elle qui m’a appris le métier. Créer des lieux de vie me passionnait. Dans cette agence, j’avais un collègue avec qui j’ai eu un grand plaisir à travailler, formant une équipe de choc, exerçant des responsabilités de chefs de projet. Nous nous investissions sans compter dans nos projets, aussi quand l’un d’eux n’a pu se concrétiser en conséquence d’un mauvais choix de la responsable d’agence, nous avons tous les deux décidé de passer le concours de l’Ecole du paysage de Versailles, et l’avons tous les deux réussi ! Je lui en serai toujours reconnaissante.

Un métier qui me plaît

En 1999, je suis rentrée à l’Ecole de Versailles. J’ai mis toute mon énergie pour concilier une double vie d’étudiante et de mère de deux enfants, en charge du foyer et, en contrepartie, à la charge financière de mon mari. En 2003, je suis sortie de l’Ecole de Versailles, et là encore, j’ai eu de la chance. Je ne souhaitais pas être salariée et cherchais des missions d’étude paysage quand j’ai rencontré Laurence qui cherchait un ou une partenaire. Installée depuis 5 ans, elle cherchait quelqu’un pour travailler en libéral sur des contrats dont la charge était trop lourde pour une personne seule, mais qui ne lui permettaient pas de recruter des salariés.

Nous avons travaillé ensemble pendant 13 ans, de 2003 à 2016. On nous a confié beaucoup de belles missions, nous avons gagné des concours, nous avons élargi nos références et augmenté le nombre de missions d’étude paysage. Nous aurions pu nous agrandir, recruter et courir après le travail, mais nous avons fait le choix de rester une petite structure. Toutes les deux, nous avons toujours privilégié la variété des missions d’étude et l’investissement personnel dans chacune d’entre elles à la rentabilité. En 2015, en raison de la diminution des dotations aux collectivités territoriales, nous avons commencé à connaître des difficultés. Laurence a passé un concours administratif pour devenir fonctionnaire et paysagiste à la Ville de Paris. Redoutant de me retrouver à travailler seule, j’ai songé à me reconvertir, encore une fois.

Pendant deux années scolaires, je me suis essayée à être professeur d’économie pour des classes de secondes générales. J’ai imaginé passer le CAPES, mais la perspective de ne pas pouvoir choisir mon lieu de travail et de ne pas être bien payée m’a fait prendre conscience que je n’y étais pas prête du tout. Et c’est ainsi que j’ai réussi à accepter le départ de mon associée et retrouvé le plaisir de travailler en tant que paysagiste conceptrice. C’est ce que je fais toujours aujourd’hui. En profession libérale. J’en suis très heureuse. Je changerais peut-être encore de métier. Je pratique le Tai-chi, alors peut-être l’enseignerais-je un jour ? Qui sait ?

Des conseils, de l’information et des moyens pour réussir orientation et reconversion

Mare, quartier Bel Air, Montreuil, Arpents paysages

Rétrospectivement, je remercie la conseillère d’orientation qui a pris le temps de faire un bilan approfondi et de réfléchir avec moi pour m’orienter vers le métier de paysagiste. Elle m’a permis de faire le bon choix. Avant de la rencontrer, j’étais dans les mauvais choix. Le bon choix est de bien s’orienter non seulement par rapport à des rêves, mais aussi par rapport à la réalité de ce que l’on est, à un moment donné. Dans la majorité des cas, je pense qu’il est important d’être aidé pour construire un projet réaliste, un projet qu’on mènera jusqu’au bout, qui vient au bon âge et au bon moment. Il devrait y avoir une prise de conscience que, d’un mauvais choix, peuvent découler des coûts importants pour la collectivité. En effet, une mauvaise orientation peut induire un faible investissement dans le travail et une efficacité moindre (coût pour l’entreprise), des maladies et des dépressions (coût pour le système de sécurité sociale), une incapacité à s’insérer durablement dans le monde du travail et du chômage (coût pour la collectivité sous forme d’aides sociales), etc.

La société devrait investir beaucoup plus dans l’information, l’orientation, l’aide à la décision, à destination des jeunes et des moins jeunes. Par exemple, il est capital d’investir davantage pour aider les jeunes à se repérer quand ils s’inscrivent sur Parcoursup ou lorsqu’ils choisissent leurs options en fin de seconde. Certains ne reçoivent aucune aide de leur entourage à ces périodes clés où leur devenir est en jeu (exemples rencontrés à travers ma courte expérience de professeur de SES).

Il est capital d’investir pour aider à se reconvertir des personnes qui ont choisi un métier à 20 ans, l’ont exercé avec plaisir, mais qui, 20 ou 30 ans plus tard, ont du mal à le supporter encore. C’est le cas, par exemple, de nombreux enseignants dans l’Education nationale. Il est capital d’investir pour aider ceux qui veulent changer de métier parce que celui-ci ne leur convient pas, mais aussi pour aider ceux qui doivent en changer parce que leur envie ou leur métier a disparu.

La réorientation devrait être questionnée de manière beaucoup plus générale, cela permettrait d’éviter des coûts importants pour la société. Combien paie-t-elle pour tous les étudiants qui ont été mal orientés ? Pour les salariés qui sont en souffrance, en arrêt maladie ou qui se désinvestissent de leur travail ? Il est primordial de donner les moyens financiers à ceux qui veulent se reconvertir. Cela coûtera toujours moins cher que la souffrance ou le désinvestissement. »

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Fanny Barbier, éditrice associée au sein de la Smart Factory d’Entreprise&Personnel (réseau associatif qui mobilise, au service de ses adhérents, les expertises de consultants RH et la recherche en sciences humaines). Elle étudie en quoi les évolutions de la société ont un impact sur le travail et les organisations et propose des pistes pour la transformation heureuse de ces évolutions au sein des entreprises. Elle dirige le service de veille et recherches documentaires d’E&P. Elle a co-créé et animé des think tanks internes au sein d’E&P, BPI group et Garon Bonvalot et publié de nombreux ouvrages et articles sur le travail et le couple travail/société.