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À Marseille, comme ailleurs, la pandémie comme le confinement, comme le boulot, poursuivent leur saison 1 : voici la semaine 5.

Marseille confinement

Et j’ai criéé, criééé…

Le week-end dernier mon journal m’en avait fait baver. Jusqu’à lundi midi, j’ai enchaîné mille et une ratures, bavures, écritures et autres relectures. Alors ce samedi 18, j’ai décidé de me reposer. Et de donner à mon journal quelques jours de RTT ! Entre le risque de vous décevoir et celui de vous ennuyer, j’ai choisi le premier. Un récit light, une version allégée. Foin aujourd’hui de la chronologie. Et place à la potinologie !

Y avait déjà un mois, quand IL nous a dit : « encore un mois » ! On avait eu beau s’en douter, ça nous a quand même fait ch.. r ! Certes dans mon Panier, j’ai le confinement privilégié. Mais a-t-on vraiment pensé, pesé le sort de ceux pour qui leurs quatre murs, c’est no future ? De ceux pour qui ce confinement c’est une sorte de bombe à retardement ? Enfants, ados, parents chez certains c’est déjà le gros temps. Certes, derrière le double enfermement, IL s’est voulu moins arrogant, et nous le jouer autrement. « Il va falloir se réinventer, moi le premier ». Rien que ça, Manu ? T’as intérêt à assurer ! Sinon certains vont s’en charger. Ils ont même commencé. Travailler plus, en voilà une nouveauté… Merci encore à Geoffroy de Mesdeux pour sa stimulante créativité.

Cette semaine, les masques sont enfin tombés. Ou plutôt, ont commencé à arriver. Ils ne sont plus réservés aux personnels de santé. Établissements sociaux, médico-sociaux, métiers et activités exposés, ça commençait à gronder, parfois même à exploser. Chez mes Edmonds aussi tout le monde ou presque s’y est mis. Notre visio-apéro avait un air de bal masqué ce mercredi. Blancs, colorés ou tachetés, il y en avait pour toutes les fantaisies. Certains assez douteux, d’autres si ce n’est fashion du moins très élégants. Chacun y allait de son truc, de son ingrédient. Tout y passait : chaussettes, slips et autres soutifs. Et même des couches ! À mettre sur la bouche. Cela vous donne une sacrée touche. Mais tout est bon contre la souche. Moi désormais avec Lotus, je dis stop au virus !

La pandémie ? On nous dit qu’elle ralentit. N’empêche, c’est encore un tsunami. En Belgique, en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni. Sans même parler des États-Unis. Bonjour le sort réservé à nos aînés, même si, maigre consolation, ils pourront finalement être « accompagnés ». Bonjour aussi les inégalités. Plus pauvres, plus « basanés », plus exposés. En Angleterre, les BAME (Black, Asian and Minority Ethnic people) auraient été frappés de manière très disproportionnée. Chez nous ce ne sera pas facile à chiffrer. Car sur les statistiques ethniques on reste toujours bloqué.

Chez les célébrités, certains ont eux aussi morflé. Jeudi, deux d’entre eux nous ont quittés. Le Chili abrita une dictature. Mais aussi des géants de l’écriture. Pablo Neruda n’avait pas longtemps survécu à l’avènement de Pinochet. Luis Sepulveda s’y était lui durement confronté. « Raconter, c’est résister», ne cessait de dire cet auteur engagé. De sa production je ne connais que L’Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, dont on a tiré moult dessins animés. Il est parti lui aussi. Comme celui qui nous fit danser, chanter et parfois pleurer. Adieu Christophe, Aline et tes mots bleus. Et j’ai criéé, criééé…

Dans les mails reçus, je retiens celui de Nathalie. Noyée dans le boulot, elle rêve d’ennui. Désespérément. Elle me dit que rien ou presque ne change dans le travail. Que si les outils sont modernes, les modalités, elles, restent obsolètes. Et que c’est toujours vitesse, vitesse. Écouter son corps ? Le sien, malade quand elle était toute petite, a failli y passer. Mais moins l’autre, le grand corps médical contre lequel elle a dû souvent lutter. Comme nous, comme moi, elle interroge les lendemains. « Est-ce pire d’hésiter ou d’être pétri de certitudes ? Qui fait avancer le monde ? » Impression de se faire voler le débat par des gens trop sûrs d’eux. Nos menus l’ont fait saliver. Une invitation à dîner. À condition que ce soit nous qui venions cuisiner !

Citoyens du « foutur »

Vous pensiez que je vous épargnerais la case boulot ? Bingo ! Pourtant il y eut ces derniers jours une nouveauté dans nos audios et vidéos. Avec le temps, nous nous détachons progressivement des urgences de l’instant. Pour tenter de nous projeter sur l’après, sur un avenir dont rien ne dit qu’il sera brillant. Premières réflexions autour des chantiers économiques et sociaux à ouvrir. Que faire une fois que les multiples mesures qui ont tant bien que mal tenté de nous mettre à l’abri auront cessé ? Comment raccrocher tous ceux qui auront scolairement, professionnellement, socialement décroché ? Quelles priorités, comment s’organiser ? Quid des flots d’argent qui vont se déverser ? Et d’une commande publique où il faudra sans doute batailler pour faire primer le mieux sur le moins-disant ? Premières interrogations aussi sur le devenir de la mobilisation citoyenne et de la réserve civique qui s’est ainsi développée. Gros enjeux, grands et petits leviers. Nul ne sait vraiment ce qui nous attend. Dans notre manière de survivre collectivement, il y aura sans doute des errements, des tâtonnements. Mais les premiers pas n’en seront pas moins déterminants. Pour notre avenir et celui de nos enfants.

Voilà pour mon job côté administration. Mais j’œuvre aussi avec mon association. Collège de France, été 2018, colloque sur l’avenir de l’Europe et de ses solidarités. Soudain une idée, Citizens Campus, le campus de la citoyenneté. Depuis, avec un noyau d’amis fidèles et engagés, nous avions commencé à la concrétiser. Une école hors les murs pour les jeunes engagés comme pour les fameux invisibles de nos cités. De France et d’ailleurs. Un pied à Marseille, l’autre dans le monde. Grandir et s’épanouir. Se former et s’équiper. Développer des solidarités, en proximité comme entre sociétés. Aujourd’hui, devant nous, des choix, des opportunités. Moment critique pour la citoyenneté, qui pourrait avancer, mais hélas aussi reculer. À nous de voir comment en jouer. Je reviendrai vous en parler.

Cette semaine a connu aussi des heures, des moments « sans » envies. Entre deux sorties à Monoprix. Pas de vraies promenades. Aucun livre. Pas lu Chomsky, ni tel ou telle. A-maîtrise du présent ? Annonces du Président ? Ces multiples incertitudes que je ressens ? Parfois le mal-être du monde me pénètre. Me stresse et me traverse. Je suis comme envahi de pensées qui n’arrivent pas à se poser. Alors je tourne en rond. La tête ne sait pas où aller, le corps où se poser. Ranger ma table, ma chambre ? Je préfère procrastiner. En cuisine alors je me suis souvent réfugié. Là au moins mes mains avaient un but : découper, mélanger, saler, arroser, assaisonner, plaisir de goûter avant de déguster. Mais à vrai dire il n’y a que mon lit où, volets et yeux fermés, je cesse parfois de m’agiter.

Ce soir, avant de m’arrêter, quelques lignes pour vous remercier. Pour vos retours, vos mots, vos photos, vos vidéos. Qui inspirent, alimentent, et parfois agrémentent ce journal. Qui me donnent la force de persévérer, même en période de RTT. Merci d’abord au vélotypiste de l’Elysée pour son « foutur ». Une aventure, cette mandature ! Merci à Olivier pour les textes de ses étudiants, migrants et sans papiers. À Lionel qui nous régale chaque jour ou presque de croquis exquis, signés Sempé. À Didier et à Martine pour leurs brins de muguet tout frais. Aux Edmonds pour leurs tonnes d’amitié et de baisers. À tous ceux qui nous font profiter de leurs moments musicaux. À vous qui nous proposez ici un vers, là un documentaire, ou bien un simple commentaire. Tout ce trésor qui s’échappe de nos WhatsApp. Et dans lequel je vais puiser pour terminer. Hommage à ceux qui nous on précédé et qui sont de loin les plus touchés, hommage donc à l’Italie…

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