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Après deux semaines d’un déconfinement confiné, après votre 5e visioconférence du jour ou face à l’ennui qui s’installe, votre esprit vagabonde sans doute, comme le nôtre, autour de la question de « l’Après ». Pour nous rassurer, pour nous faire peur, pour préparer ce qui peut l’être. Des consultants d’Oasys Mobilisation tirent des leçons de cette période de management chamboulé. 

Plusieurs scénarios en débat

Les récits prospectifs sur l’organisation du travail en entreprise abondent et font osciller nos cerveaux déboussolés entre plusieurs hypothèses :

  • Un retour « as usual », que l’après 2008 et 2001 nous incite à envisager. De nombreuses tribunes dans la presse présageaient alors que « rien ne serait comme avant ». Elles ont été vite oubliées dès que la croissance, notre indicateur de référence, est revenue, même timidement… Dans ce scénario, nos routines de travail, rites à la fois rassurants et contraignants, en phase avec notre besoin de stabilité, reviendraient après cette parenthèse « désenchantée ».
  • Une généralisation du télétravail voire du « télémanagement », qui verrait la désynchronisation des temps s’installer pour toujours, avec son lot d’outils désormais éprouvés, de pratiques renforcées et de postures d’écoute et de dialogue solidifiées. La distanciation ainsi établie accélérerait la fin de l’unité de temps, de lieu et de management, amorcée avant la crise du COVID par le flex-office et le management par projet. Des pratiques renforcées en miroir de la digitalisation accentuée des activités. Dans ce nouveau contexte, la question de la réalité du lien social et du fonctionnement des collectifs serait posée.
  • Une transformation radicale de nos fonctionnements collectifs serait en marche. L’homo economicus, se sachant désormais vulnérable, ayant pivoté d’une course à la consommation à une course à l’attention, aux autres, à la nature, à la spiritualité. Il aurait du mal demain à mobiliser son énergie dans une entreprise collective, parfois déficitaire en sens et souvent riche en process et en normes. Un rapport au travail nouveau serait peut-être né.

Difficile de trancher à ce jour ! Parties de ces trois scénarios pourraient aussi coexister.

Les opportunités nées de la crise

Ce dont nous sommes certains, c’est que le bouleversement de nos vies, de nos repères que le COVID-19 a généré, est une source d’apprentissages immense. Voici quelques observations issues de notre accompagnement et de notre dialogue avec les dirigeants avec lesquels nous travaillons :

  • L’énergie mobilisée par les acteurs et notamment les managers depuis le 17 mars est intense. La crise donne du sens et fait monter l’adrénaline. Traiter les opérations urgentes vous fait vous sentir utile. Même épuisés par des réunions quotidiennes qui s’enchaînent, brouillant vision et ouïe, et dépassés par les enfants qui tournent en rond, les dirigeants, les managers et une grande partie des équipes sont là, droits, fidèles au poste.

La question pour l’Après : Comment capitaliser et maintenir cette énergie et cet engagement ? Reconnaître, célébrer, valoriser. Et puis maintenir l’évidence du sens de l’action et de l’engagement en évitant qu’avec un retour aux missions premières, ceux qui étaient le plus engagés deviennent frustrés, voire désengagés ou tirent de l’acrimonie à l’égard de ceux qui l’étaient moins.

Donner la possibilité aux individus d’exprimer leurs envies, talents, préoccupations voire doutes pour construire ensemble un plan de relance mobilisateur. En se focalisant sur l’activité, sur les produits/services essentiels dans les prochains mois à la fois pour les clients/usagers et pour la pérennité de l’entreprise. En étant également force de proposition quant aux potentiels de réduction de coûts.

  • La différenciation des collaborateurs n’aura jamais été aussi visible, créant des dynamiques, internes à l’entreprise, à plusieurs vitesses. Certains auront été sur le pont à toute heure de la journée, d’autres en dispense d’activité, d’autres enfin en activité partielle. Et puis, certains métiers de « première nécessité » auront été sur le devant de la scène et d’autres moins. Certaines fonctions régaliennes auront pu apparaître comme « hors sol ».

La question pour l’Après : Comment revoir la valeur relative des métiers sans nuire à l’unité des collectifs ?

Mieux reconnaître la contribution de certains métiers à la continuité de l’activité. Revoir certains modes de rémunération ou introduire de nouveaux critères dans ce qui fonde la hiérarchie des emplois et donc des salaires des entreprises.

  • Certaines normes, certains process contraignants, critiqués parfois avant par certains esprits jugés rebelles, en vain, ont été spontanément assouplis, voire balayés. Laissant les individus, avec leur libre arbitre et leur sens du bien commun, organiser une réponse personnelle au profit de l’activité et du client/de l’usager.

La ligne managériale s’est trouvée du jour au lendemain projetée dans un rôle (parfois nouveau) de soutien, dynamisation, support aux initiatives. Pour cela, elle a dû revoir les priorités et délaisser la production ou l’exécution de règles, processus, référentiels, qui minent l’initiative et la responsabilisation des équipes. Evaluant spontanément qu’ici et maintenant, il s’agissait d’être agile et moteur, sous le regard bienveillant des Directions Générales.

La question pour l’Après : Quelles règles collectives feront désormais sens et comment les refonder ?

Supprimer celles qui n’étaient que sédimentation historique ou protection du périmètre d’intervention de certains. En toiletter d’autres, rendues obsolètes en l’état. En définir de nouvelles aussi, importantes pour le collectif.

  • Dans une période où celui qui ne se sent pas bien peut de facto rester chez lui et réduire son rythme voire arrêter de travailler, la santé et le bien-être au travail deviennent de vraies préoccupations des managers et des directions. Tous confrontés à nos désordres psychiques, traversant des moments de démotivation, nous avons été bouleversés par une expérience intime, qui renforce notre empathie. Et cela bien au-delà des effets qu’avaient pu avoir les nombreux schémas directeurs, plans d’actions, débats en CHSCT, accord QVT… Qui n’a pas entendu ces dernières semaines qu’il n’est pas raisonnable de programmer une confcall à l’heure du déjeuner ou qu’il est essentiel de prendre le temps de demander des nouvelles personnelles à chacun de ses collaborateurs.

La question pour l’Après : Comment tirer parti de cette parenthèse douloureuse pour faire évoluer nos pratiques de management et de conduite du changement vers davantage d’empathie et de respect a priori des besoins psychologiques des collaborateurs ?

Être offensif tout en étant inclusif, un double défi pour les entreprises

Ces questions étaient présentes avant. Elles se poseront avec une acuité plus forte après, nécessitant de construire des réponses spécifiques à chaque entreprise.

En tout cas, les organisations et les collectifs qui sauront aborder et traiter ces questions profiteront d’une qualité et d’une vitesse de rebond supérieures et d’une vitalité différenciante.

Car l’enjeu du moment, en effet, si l’on veut qu’un Après soit possible est la construction d’un plan de relance.

Quatre axes pour conduire le changement

Dans ce cadre, quatre axes nous paraissent essentiels pour reconfigurer l’Après :

  1. Matérialiser ce qui s’est passé.

Faire œuvre de mémoire. Mettre des mots pour reconnaître, valoriser, célébrer et ne pas oublier. Reconnaître des personnes, reconnaître des métiers, reconnaître notre mission et ancrer notre fierté de ce qui a aura été réalisé. Canaliser les énergies galvanisées et regrouper celles qui auraient pu se distancer.

Organisons des murs d’expression, faisons des photos, des vidéos pour nourrir le souvenir, rappelons-nous les anecdotes mémorables, qui nous ont fait peur ou rire, qui nous ont rapprochés.

  1. Co-construire avec les équipes un plan de relance offensif et mobilisateur.

Mettre en place des task forces mobilisant des collaborateurs de plusieurs métiers. En missionner certaines pour identifier les produits/services accrocheurs dans la période actuelle et repenser les processus de commercialisation et de délivrance de ces derniers. Missionner d’autres task forces pour examiner les potentiels d’économie sur des domaines ciblés à impact élevé et rapide. Tout cela dans le cadre d’un dispositif inclusif où toutes les idées sont bonnes à prendre et les temps disponibles bons à exploiter.

Construisons en comité de direction quelques axes de travail à fort impact. Regroupons les bonnes volontés. Programmons les travaux pour obtenir 70 % des résultats à 3 mois et les 30 % restant à 6 mois. Et célébrons les petits succès, comme dans une convalescence après un accident.

  1. Identifier les nouvelles pratiques et processus à pérenniser.

Avec lucidité, regarder les pratiques qu’on croyait impossibles, voire impensables, et pourtant qu’en deux jours, on a mises en œuvre, tellement naturellement. Identifier celles qu’on souhaite pérenniser parce qu’elles servent l’activité, les clients/usagers et les équipes. Et distinguer celles qui sont le fruit de l’urgence et du mode survie.

Et repérer avec un œil bienveillant, sans souci de revanche, les « verrous » qui empêchaient, avant, de pratiquer ainsi. On verra sans doute des processus de contrôle zélés, des consignes et procédures compliquées.

Identifions notamment comment on peut autoriser la prise de décision locale, là où le problème se pose et donc où la solution s’explore puis s’expérimente. Identifions aussi comment les fonctions centrales et les lignes managériales intermédiaires peuvent soutenir la résolution de problèmes et la diffusion de la connaissance et de la compétence plutôt que de réglementer.

  1. Expliciter les nouvelles règles du fonctionnement collectif.

Il s’agit de commencer par reformuler le sens de la Mission, celui qui peut être incarné tant par les opérationnels que les fonctionnels, par les soldats du front et les autres.

Et ensuite de tirer les enseignements de la période récente pour énoncer les règles qui font sens pour l’équipe, pour chacun de ses membres, maintenant que nous avons expérimenté que nous pouvions nous passer de beaucoup des règles et normes du « temps d’avant ».

Discutons de la façon dont nous voulons travailler. Dans quels espaces ? A quels horaires ? Pour quels vrais objectifs ? Avec quels systèmes de pilotage ? Avec quel besoin de transparence ? Avec quelle répartition de la richesse créée ?

Au-delà, une fois l’Après immédiat sécurisé, il s’agira, nous disent l’essentiel des dirigeants, de repenser le socle d’activités des entreprises et les compétences critiques dont elles ont besoin. En effet, préparer le moyen terme, ce sera traduire l’ADN de l’entreprise en le passant au tamis des enjeux rénovés, le soutien aux clients/usagers dans la sortie de crise, le renforcement de sa souveraineté, la responsabilité sociétale…

Ce sera aussi identifier les métiers/compétences requises pour soutenir ce projet ajusté. Et donc, faire les bons choix entre internalisation et externalisation, et entre localisation en proximité et délocalisation, choix parfois faits à ce stade au regard d’un critère de coût prédominant.

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