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Hier la Conférence citoyenne pour le climat, aujourd’hui le Comité citoyen pour la vaccination, le président Macron se serait-il converti à la démocratie participative ? Le débat sur les différentes formes de démocratie et leur légitimité est loin d’être clos.

De nombreux commentateurs ont vu dans ces initiatives d’appel à des citoyens tirés au sort un moyen de répondre aux insuffisances de la démocratie représentative. Peu importe que le Comité citoyen pour la vaccination se soit constitué après les débuts de celle-ci ; peu importe qu’après s’être engagé à reprendre les propositions de la conférence citoyenne pour le climat « sans filtre » à deux ou trois jokers près, le président ait finalement choisi de faire son marché, à la baisse, et de réécrire nombre de propositions. Les plus fervents partisans de ces assemblées citoyennes y verront un défaut de jeunesse, en tout cas le début d’une réinvention de la démocratie.

L’expérience du Grand débat national, inventé pour répondre au mouvement des Gilets jaunes et tenter une sortie « citoyenne », aurait dû alerter sur les intentions réelles du pouvoir. Confiée à l’origine à la Commission nationale du débat public, sa présidente en démissionnait au bout d’un mois, accusant le gouvernement de ne pas respecter (déjà !) son engagement de laisser le débat ouvert, en imposant le choix des thèmes et un questionnaire fermé. Ses partisans diront que même si le débat s’est trouvé réduit à une simple consultation, cela ne réduisait en rien l’intérêt et la portée des réponses. Pour sortir de ce cafouillage initial, un collectif de 350 personnalités, dont Cyril Dion et Magali Payen, fondateurs de la campagne « on est prêt », avait proposé en janvier 2019 qu’une Assemblée citoyenne décortique les réponses au grand débat et face des propositions à choix multiples qui seraient à référendum. Le président n’en fit rien, mais retint l’idée pour reprendre la main sur la question climatique.

Le sort réservé à la Commission nationale du débat public n’est nullement anecdotique. Il constitue, au contraire, le nœud du quiproquo qui entoure ce concept d’Assemblée citoyenne comme socle d’une démocratie rénovée, qui donne une large place à la participation citoyenne. Pour conforter leur enthousiasme, les défenseurs du concept invoquent généralement les assemblées citoyennes mises en place au niveau local. Cette comparaison ne vaut pas. Les assemblées locales ne se prononcent pas sur les politiques municipales. Elles s’inscrivent dans un processus de consultation sur des sujets spécifiques, qui impactent en général leur vie quotidienne, pour recueillir un avis plus large que celui des seules organisations professionnelles et associations locales.

Avec les conférences citoyennes, il ne s’agit plus d’additionner des points de vue, mais de contourner des acteurs légitimes. Pour en saisir l’enjeu, il faut s’arrêter sur la composition de la Commission nationale du débat public. Ses 25 membres ne sont pas simplement des « acteurs venus d’horizons différents » comme le dit le site de la Commission, ils représentent différents corps sociaux : parlementaires et élus locaux, grands corps d’État, syndicats et organisations patronales, associations et deux personnalités qualifiées. Les membres tirent donc leur légitimité non pas d’eux-mêmes comme dans une conférence citoyenne, mais des organisations qu’ils représentent. On peut évidemment discuter de la façon dont les organismes concernés choisissent leurs représentants et du choix même de ces organismes et associations. Les Gilets jaunes pouvaient considérer que cette Commission qui devait piloter le Grand débat ne les représentait pas plus d’ailleurs que les élus locaux. Pour eux, seule l’expression directe des citoyens, à travers par exemple le référendum d’initiative citoyenne (RIC), est susceptible de répondre à leurs aspirations.

Bref, une démocratie directe sans filtre. C’est à quoi le président Macron s’était engagé auprès des citoyens membres de la Conférence citoyenne sur le climat, engagement que finalement il n’a pas été capable de respecter. L’engagement était, il est vrai imprudent, et bien naïfs ceux qui y ont cru. Bien que le gouvernement ait demandé aux membres de la Conférence de traduire leurs propositions en termes législatifs, ceux-ci n’ont pas été complètement dupes : cela ne faisait pas d’eux des législateurs. Ils attendaient, comme ils l’ont écrit, « du gouvernement et des pouvoirs publics une prise en compte immédiate de leurs propositions », ce qui laissait à ceux-ci une certaine latitude dont ils se sont emparés sans doute au-delà de ce que les citoyens de la Conférence pouvaient redouter. Même si le président avait respecté son engagement de reprendre les propositions « sans filtre », le fait d’avoir à passer par une loi redonnait in fine la main aux députés et aux sénateurs pour amender et réécrire autant qu’ils le souhaiteront chacune des propositions. Les partenaires sociaux, qui voient régulièrement le Parlement réécrire telle ou telle disposition d’un accord interprofessionnel pourtant dûment négocié entre syndicats et patronat et rédigé au trébuchet, en savent quelque chose. D’où l’appétence pour le référendum qui permet de contourner les parlementaires.

La démocratie a-t-elle été enrichie par cette Conférence citoyenne, la future loi climat sortira-t-elle meilleure que si ce débat citoyen n’avait pas eu lieu ? La question posée à la Conférence citoyenne pour le climat aurait parfaitement pu l’être au Conseil économique, social et environnemental dont c’est la mission. Mieux encore que la Commission nationale pour le débat public, l’Assemblée du Palais d’Iéna réunit les différentes organisations représentatives des groupes d’intérêts qui composent la communauté nationale. Comme la composition de la CNDP, celle du CESE n’est pas exempte de défauts. Mais l’une et l’autre sont infiniment plus représentatives et légitimes que 150 citoyens tirés au sort « selon une génération aléatoire de numéros de téléphone » (un autre mode de tirage au sort ne les rendrait pas davantage légitimes).

Comme pour le Grand débat national, le choix de la Conférence citoyenne marque avant tout une défiance à l’égard des corps intermédiaires. Cette appétence du président Macron pour les assemblées citoyennes plutôt que pour les Assemblées qui regroupent les corps intermédiaires ne devrait étonner personne. Encore simple candidat à la présidentielle, il s’en était expliqué en mars 2017 devant la presse économique et sociale à propos des syndicats : il avait jugé que ceux-ci « ne sont pas à la bonne place, ne jouent pas dans la bonne pièce », qu’ils ne sont pas légitimes à penser les réformes nécessaires au pays, mais qu’au contraire, « ils sont le principal obstacle à la transformation du pays ».

Ce qui est en cause dans cette opposition entre des assemblées citoyennes et des assemblées de corps constitués, c’est bien un conflit de légitimité, deux visions opposées de la démocratie. La démocratie représentative, peut-on dire en paraphrasant Winston Churchill, est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. Elle organise la confrontation pacifique des intérêts des différents groupes sociaux et permet la construction des coopérations nécessaires à la vie de la communauté nationale. En ce sens elle reconnait l’existence du conflit au sein de la société. Les assemblées citoyennes n’existent que comme négation des conflits sociaux et des divergences d’intérêt entre groupes sociaux. Elles s’inscrivent dans une vision irénique de la société, au-delà de la droite et de la gauche, du conservatisme et du progrès, une société où finalement les experts — qui appuyaient les membres de la Conférence et leur « soufflaient » parfois les « bonnes » propositions — sont les vrais législateurs. Elles ne sont que le nom des démocraties illibérales et du bonapartisme. Vous avez dit, Conférence citoyenne, attention danger !

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